Place du Palais-Royal et place de la Concorde : comment la Mairie de Paris privatise l’espace public

La transformation pendant une nuit des catacombes en chambre à coucher pour la communication d’Airbnb (voir l’article) n’est qu’un des aspects de la vente effrénée aux marques de l’espace public par la Mairie de Paris.
Actuellement, deux places parisiennes au moins sont livrées ainsi à la publicité déguisée sous l’aspect faussement honorable d’expositions temporaires.


1. Place du Palais-Royal, état le 6 octobre 2015
entre deux installations
Photo : Didier Rykner
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2. Place du Palais-Royal avec l’« exposition » Printemps
On notera également, outre l’élégante poubelle transparente
à droite, d’un modèle que l’on voit partout à Paris (seule capitale
à infliger cela à ses habitants et aux touristes) que les bacs poubelles
sont installés sur la place à 14 h 30, heure de prise de cette photo.
Tout cela fait un ensemble charmant !
Photo : Didier Rykner
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3. Place de la Concorde, le 30 septembre 2015
avec les tentes « Forum pour l’emploi 2015 »
Photo : Didier Rykner
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D’abord, la place du Palais-Royal. Située entre le Conseil d’État, monument classé, et le Louvre, monument classé, cette place parisienne est désormais transformée régulièrement en showroom pour différentes marques ou pour la promotion de régions ou de pays, qui se succèdent à un rythme régulier. Début septembre, c’était l’Azerbaïdjan, d’ailleurs pays hautement démocratique, qui venait faire sa publicité en annexant la place. Puis il y a eu encore on ne sait combien de ces foires marketing, au moins une en tout cas car voilà l’état dans lequel la place se trouvait le 6 octobre dernier (ill. 1), après le démontage d’une d’entre elles. Et, actuellement, c’est le Printemps qui fête ses 150 ans (ill. 2) avec une « exposition dédiée à l’élégance française [1] » : « 66 images tirées des catalogues ou des affiches produites par le grand magasin racontent cette histoire ». Et avec qui l’exposition se fait-elle ? Avec Jean-Claude Decaux, l’un des partenaires les plus actifs de la Mairie de Paris, qui remplit la ville de son mobilier urbain et de ses panneaux publicitaires toujours plus envahissants. Quelle surprise !


4. À gauche et à droite, deux des pavillons « Sensations Futures »
Place de la Concorde, 19 octobre 2015
Photo : Didier Rykner
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5. À gauche, un des pavillons Sensations Futures
à droite, au second plan, « Phares », de Milène Guermon
en construction
Place de la Concorde, 20 octobre 2015
Photo : Didier Rykner
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La place de la Concorde, l’une des plus belles places du monde, théoriquement archiprotégée [2], devient elle aussi un champ de foire. Au début du mois d’octobre, c’étaient des tentes « Forum pour l’emploi 2015 » qui s’installaient (ill. 3), puis c’est une exposition de quatre pavillons « Sensations Futures » (sic), tout à la gloire de l’entreprise Saint-Gobain (ce n’est pas son 150e anniversaire, mais le 350e !) qui vient envahir l’espace (illl. 4 à 6) du 15 au 30 octobre (sans compter les périodes de montage et de démontage). Une grande construction temporaire s’y ajoute, pour vanter la maison mère (ill. 7). Ajoutons à cela les grandes bâches publicitaires qui cachent les échafaudages de la façade de l’Automobile Club de France (un chantier qui dure depuis de nombreux mois...), et une nouvelle construction en cours, « Phares » (qui ressemble d’avantage à une pyramide en acier), une œuvre de Milène Guermont (ill. 8 et 9) qui devait à l’origine s’installer (pour la Nuit Blanche et jusqu’au 16 février 2016) autour de l’obélisque, mais qui sera montée finalement à côté en raison du refus de la Commission nationale des monuments historiques. Le ministère de la Culture, évidemment, n’est pas allé jusqu’à l’interdire. Bien mieux, on apprend à la lecture du procès-verbal de la Commission nationale des monuments historiques que Fleur Pellerin avait apporté dans une lettre son soutien à l’opération prévue à l’origine. Précisons que les débats de la CNMH démontrent que cela menaçait gravement la sécurité et la conservation de l’obélisque.


6. Un des pavillons « Sensations Futures »
Place de la Concorde, 19 octobre 2015
Photo : Didier Rykner
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7. Stand de promotion Saint-Gobain, place de la Concorde
19 octobre 2015
Photo : Didier Rykner
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Tout cela : pyramide en acier de Milène Guermont, publicité sur le monument de Gabriel (seule pollution visuelle dont la Ville de Paris n’est pas directement responsable), côtoiera joyeusement jusqu’en février la grande roue de Marcel Campion qui, une fois de plus, va venir s’installer sur la place de la Concorde. Et, comme l’a révélé le Parisien et le Canard Enchaîné du 7/10/15, cette occupation du sol aura lieu cette année au moins jusqu’en juillet 2016, avec une roue encore plus grande qu’auparavant, et un écran de télévision célébrant la Coupe d’Europe de football placé en son centre !


8. « Phares, » de Milène Guermont, en cours de construction
à l’origine, l’œuvre devait enchâsser l’obélisque
Place de la Concorde, 20 octobre 2015
Photo : Didier Rykner
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9. « Phares, » de Milène Guermont, en cours de construction
Place de la Concorde, 20 octobre 2015
Photo : Didier Rykner
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On pourrait à bon droit critiquer Marcel Campion dont le Canard révèle une nouvelle fois les pratiques discutables et la manière dont il a ensuite tenté d’intimider son journaliste (voir le numéro du 14/10/15). Mais les vrais responsables sont ceux qui lui déroulent un tapis rouge, soit la Mairie de Paris, et ceux qui laissent faire, soit le ministère de la Culture qui semble se moquer comme d’une guigne qu’on défigure ainsi, même temporairement (et d’un temporaire qui dure et qui se renouvelle chaque année), la place de la Concorde. La Mairie de Paris est bien celle qui passe commande chaque année d’une grande roue à cet endroit, elle est bien celle qui a demandé qu’elle soit encore plus haute que les années précédentes, et elle est bien celle qui a prévu - dans un appel d’offre auquel seul Marcel Campion a répondu ! - qu’elle reste encore plus longtemps que les années précédentes. Pourquoi pas toute l’année d’ailleurs, on finira bien par y arriver puisque c’est ce que souhaite le « roi des forains » comme il nous l’a d’ailleurs confirmé.

Cette privatisation de l’espace public et des plus belles places de Paris en faveur de manifestations publicitaires ou commerciales est mise en place de manière très insidieuse. À aucun moment la Mairie de Paris n’a annoncé clairement son projet de transformer la place du Palais-Royal ou, maintenant, celle de la Concorde, en champs de foire. On en organise une, puis une autre, puis encore une autre. Il faut passer régulièrement par ces endroits pour prendre la mesure du caractère répétitif de ces événements organisés sous le regard complice du ministère de la Culture. Résultat : personne ne parle de la lente transformation de Paris en foire à Neu-Neu (tiens, encore une affaire Marcel Campion). On pourrait parler aussi de la fête foraine au cœur du jardin royal des Tuileries (Marcel Campion à nouveau), du marché de Noël des Champs-Élysées (Marcel Campion toujours)... Rien n’arrête la maire de Paris.

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