Philippe de Buyster : nouvelles interrogations, nouvelles attributions

Plusieurs éléments nouveaux viennent enrichir ou corriger notre étude sur Philippe de Buyster que la Tribune de l’Art avait mise en ligne le 25 octobre 2007 , ainsi que notre « Plaidoyer pour un sauvetage », publié par la même Tribune le 26 novembre 2016.
Cet essai concerne trois établissements parisiens :
 Le musée du Louvre, avec les quatre cariatides qui soutenaient la châsse de sainte Geneviève dans l’église éponyme
 L’église de Saint-Nicolas-des Champs
 L’église du Val-de-Grâce
Et une discussion à propos d’une attribution.

MUSEE DU LOUVRE : QUATRE CARIATIDES SOUTENANT LA CHASSE DE SAINTE GENEVIEVE

1. Attribué à Abraham Bosse
Descente de la châsse de sainte Geneviève
Gravure au burin
Paris, Bibliothèque Sainte-Geneviève
Photo DR
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Ces quatre statues en bois que nous appellerons A, B, C, D (ill. 5, 6, 7, 8), primitivement dorées, sont conservées au musée du Louvre depuis 1850 [1]. L’histoire de leur provenance ne présente aucun mystère. Elles supportaient la châsse de sainte Geneviève dans le chœur de l’église de l’abbaye Sainte-Geneviève, derrière l’autel (ill. 1) ; d’une main, elles soutenaient la terrasse de la châsse, de l’autre elles tenaient un flambeau. La châsse fut brûlée en place de Grève le 3 décembre 1793 par les révolutionnaires, mais Alexandre Lenoir avait sauvé les cariatides [2], « figures d’un goût délicieux …. condamnées au feu », et les abrita au dépôt des Petits Augustins.

2. Tombeau de Diane de Poitiers, Duchesse de Valentinois (détail)
Mine de plomb, plume
Paris, musée du Louvre
Photo : DR
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De 1795 à 1816, il les utilisa dans une salle du musée des Monuments français pour soutenir le tombeau factice qu’il avait constitué pour Diane de Poitiers (ill. 2), couvrant alors leur dorure d’un badigeon coloré [3]. Après la dispersion du musée, elles restèrent dans un dépôt de l’École des Beaux-Arts d’où Louis-Philippe les tira pour les transporter à Versailles et les présenter dans un nouvel arrangement factice. C’est alors que disparurent leurs bras qui, dès l’origine, étaient des éléments rapportés. En 1850, elles revinrent au Louvre, où elles furent restaurées et débarrassées à la fois de leur badigeon et de leur dorure.


Se posent à leur sujet deux questions : la date de leur exécution, l’identification de leur auteur.

3. Antonio Fantuzzi
Figure féminine
Eau forte
BNF Estampes, recueil École de Fontainebleau
Photo : DR
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Alexandre Lenoir les tenait pour des œuvres de Germain Pilon, attribution maintenue par Landon en 1833 et par Clarac, mais se faisant moins affirmative par la suite. Selon Babelon en 1927, Pilon ou son école ; selon Terrasse en 1930, un imitateur de Pilon ; pour Michèle Beaulieu en 1978, suite de Germain Pilon. En 1964, Henri Zerner les mit en rapport avec des eaux-fortes de Fantuzzi datées de 1544-1545 (ill. 3), leur assignant une datation autour de 1580, que retint en 1974 Olga Raggio qui voyait en elles une variante tardive du style de Pilon [4].
Cependant, en 1961, Cécile Giteau dans sa thèse de l’École du Louvre [5], suggéra une autre piste : ces statues feraient partie des travaux entrepris par le cardinal de La Rochefoucauld entre 1619 et 1645 pour transformer le chœur de l’église Sainte-Geneviève. Par leur allure robuste, plus rubénienne que proche de Germain Pilon, elles seraient dues à l’un de ces artistes venus des Flandres dans les années 1620-1630 tels que Van Obstal, Lestocart, ou surtout Buyster, et c’est à ce sculpteur que Cécile Giteau proposa finalement de les attribuer. En 1998, résumant ces données, Geneviève Bresc-Bautier [6] les situa dans le premier quart du XVIIe siècle, mais sans leur attribuer d’auteur.
Lorenzo Pericolo a brillamment étudié le rôle joué par le cardinal François de La Rochefoucauld dans la transformation de l’église abbatiale. Nommé en 1619 abbé commendataire de l’abbaye, le cardinal en confia l’opération à l’architecte Jacques Lemercier. Pericolo analyse en particulier la réfaction de la crypte qui abritait le tombeau de sainte Geneviève et le complet réaménagement du chœur [7] travaux qui se déroulèrent entre 1620 et 1625 et commencèrent par la crypte. Dans le chœur, Lemercier aligna sur un même axe, derrière le jubé, le tombeau de Clovis, puis l’autel et enfin la châsse de sainte Geneviève en les plaçant à niveau de plus en plus élevé, selon une scénographie permettant de les voir dès le jubé.
La châsse sommait un édicule composé d’un socle rectangulaire portant quatre colonnes de marbre d’ordre ionique, hautes de plus de 3 mètres, dont deux avaient été offertes par Louis XIII, supportant la terrasse ; sur cette terrasse se dressaient les quatre cariatides « plus grandes que nature » qui soutenaient d’une main la châsse, scintillante des pierres précieuses dont le cardinal l’avait enrichie. Plusieurs dessins et gravures anciennes rendent compte de cette disposition. Lors des nombreuses processions qui se déroulèrent dans la ville, seule la châsse était descendue de son haut édicule (ill. 1) et promenée jusqu’à Notre-Dame.
L’exécution des chapiteaux des colonnes, se conformant à un dessin fourni par Bordoni, fut confiée aux sculpteurs Nicolas Le Brun et Michel de La Perdrix, aux termes du marché du 13 mars 1620 publié par Alexandre Gady [8].

4. Germain Pilon
Monument du cœur de Henri III (détail)
Marbre 1561-1566
Paris, musée du Louvre
Photo : Françoise de La Moureyre
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Toutefois Gady, se rangeant aux propositions de Zerner et d’Olga Raggio, pensait que les cariatides avaient été sculptées à la fin du XVIe siècle, opinion à laquelle nous refusons de nous rallier pour plusieurs raisons. Certes, le drapé de leur tunique et de leur manteau et leur attitude rappellent la Renaissance bellifontaine d’un Antonio Fantuzzi dans ses eaux fortes des années 1544-45, montrant des figures féminines inspirées par Primatice [9] (ill. 3). Leur vêtement et leur coiffure élaborée ont certainement été inspirés par des œuvres de Germain Pilon (les Trois Grâces du Monument du cœur d’Henri II (ill. 4), ou les Trois Parques au musée d’Écouen). En revanche elles contrastent avec celles-ci par leurs proportions beaucoup plus amples, leur visage aux joues pleines, leurs vêtements moins complexes traités avec des aplat, de longs plis et des cassures ; enfin les attitudes, deux d’entre elles tournant la tête à gauche, A et B (ill. 5 et 6), les deux autres la tournant à droite, C et D (ill. 7 et 8), et la gestuelle de leurs bras soutenant la châsse et tenant un flambeau ne s’expliquent que par leur disposition spécifique voulue par le cardinal de La Rochefoucauld et Lemercier.

Description des Cariatides


5 et 6. Cariatides A et B
Bois autrefois doré - H. 190 cm chacune
Paris, Musée du Louvre
Photo : Françoise de La Moureyre
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7 et 8. Cariatides C et D
Bois autrefois doré - H. 190 cm
Paris, Musée du Louvre
Photo : Françoise de La Moureyre
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Le canon de nos Cariatides, avec une tête relativement petite sur un très grand corps qui s’élargit aux hanches, a pour cause la correction de l’effet perspectif de ces sculptures juchées à plus de 3 mètres de hauteur. Leur auteur a fait preuve ici d’une réelle maîtrise. Leur réalisation manifeste aussi une recherche de sophistication dans tous les détails, un grand souci d’harmonie et une réelle variété dans la disposition très soignée du vêtement et des coiffures.
La ceinture de A et B (ill. 5 et 6) serre le buste au-dessus de la taille, laissant deviner le modelé rond des seins sous le tissu gonflé, ce qui n’est pas le cas pour C et D (ill. 7 et 8).


9. Cariatide A détail : la jambe gauche
Bois autrefois doré - H. 190 cm
Paris, Musée du Louvre
Photo : Françoise de La Moureyre
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Chez A (ill. 5, 9), une seule robe la revêt et deux motifs en forme de cabochons (ornés jadis d’une pierre de couleur), fixés dans le tissu bien au-dessus du genou droit, dégagent tout le reste de la jambe. Le haut de la robe, fermé par une sorte de broche, est bordé autour de l’encolure d’une rangée de petits cubes figurant des petites pierres (ill. 10). Les trois autres femmes portent une tunique au-dessus de leur robe (ill. 6, 7, 8).


10. Cariatide A détail : le buste
Bois autrefois doré - 190 cm
Paris, Musée du Louvre
Photo : Françoise de La Moureyre
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11. Cariatide B détail : le buste
Bois autrefois doré - H. 190 cm
Paris, Musée du Louvre
Photo : Françoise de La Moureyre
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12. Cariatide D, détail : la partie supérieure du corps
Bois autrefois doré - H. 190 cm
Paris, Musée du Louvre
Photo : Françoise de La Moureyre
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Celle de D est élégamment bordée de pompons (ill. 12). Elle est retenue chez C et B sous l’encolure par un bijou en forme de médaillon (ill. 10) ou de cabochon (ill. 11) et, sur l’épaule droite de D et l’épaule gauche de B (ill. 11 et 12) par un autre cabochon. Les mouvements, les chutes et les cassures des drapés sont chez toutes quatre très élégants. La tunique de B (ill. 6) claque au vent.


13. Cariatide A détail : l’arrière de la tête
Bois autrefois doré - H. 190 cm
Paris, Musée du Louvre
Photo : Françoise de La Moureyre
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14. Cariatide C détail : l’arrière de la tête
Bois autrefois doré - H. 190 cm
Paris, Musée du Louvre
Photo : Françoise de La Moureyre
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Les coiffures diffèrent aussi chez chacune. Constituées de bouclettes serrées chez A et C (ill. 5, 7, 10 et 13), ou de longues mèches ondulantes chez B et D (ill. 6, 8, 11 et 12), maintenues par un diadème chez D (ill. 12), elles peuvent se prolonger par une natte chez A (ill. 13) et C (ill. 14), qui se terminent en chignon sur le haut du crâne de A et B (ill. 10, 11).
L’expression pensive des visages aux traits réguliers, au nez droit, aux yeux baissés, diffère légèrement de l’une à l’autre. Le visage de C (ill. 12) se distingue par un beau volume.

Proposition d’attribution à Philippe de Buyster

Quel sculpteur le cardinal de La Rochefoucauld, Lemercier ou les Génofévains auront-ils choisi pour les réaliser ? Nous sommes hélas mal renseignés sur l’œuvre des sculpteurs qui travaillaient le bois à Paris dans les années 1620. Nous ne retiendrons pas Nicolas Le Brun, père de Charles Le Brun, sculpteur de second ordre, qui reçut en 1618 la commande d’un Saint Pierre en bois pour l’église du Sépulcre mais se spécialisa plutôt dans les pierres tombales. Parmi d’autres artistes comme Pierre Magnier, Claude Buirette, Jean Blanchard, on n’a malheureusement aujourd’hui pu identifier aucune œuvre en bois de leur main.


15. Thomas Boudin
Saint Gervais, 1624
Bois
Paris, église de Saint-Gervais
Photo : Thierry Prat
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16. Thomas Boudin
Saint Protais, 1624
Bois
Paris, église de Saint-Gervais
Photo : Thierry Prat
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Il y eut aussi Thomas Boudin (1567/70-1637). Fils de Guillaume Boudin, « maître tailleur d’antiques en menuiserie », Thomas eut plusieurs occasions de sculpter le bois [10]. Les belles statues de Saint Gervais et Saint Protais au maitre autel de Saint-Gervais sont les seules sculptures en bois de sa main qui existent encore (ill. 15, 16). Datant de 1624, elles sont contemporaines des Cariatides de Sainte-Geneviève, mais en diffèrent : exécutées elles aussi avec grand soin, leurs proportions sont plus larges, leur canon moins allongé, leur visage plus expressif et fortement modelé ; leur vêtement avec le plissé serré de l’aube et le drapé large, sans plis cassés de la chasuble, est tout autre. Ces remarques obligent à écarter Thomas Boudin de la commande des Cariatides.

Examinons de plus près la candidature de Philippe de Buyster, proposée en 1961 par Cécile Giteau.
Notons que tout au long de sa carrière, Buyster a sculpté le bois.
Né à Anvers en 1595, dès l’âge de 11 ans il est inscrit dans la guilde de sa ville, apprenti du huchier Gilles Papenhoven. Formé donc à Anvers entre 1606 et 1620, comme tous les artistes anversois il n’aura pas échappé au nouveau courant que développait Rubens au cours des années 1609 à 1621 dans son atelier extrêmement renommé d’Anvers. Il aura eu tout loisir de contempler ses immenses toiles peintes dans la ville pour la cathédrale Notre-Dame, pour les jésuites ou pour les dominicains.
De Gilles Papenhoven, le maître de Buyster, tailleur d’antiques, c’est à dire sculpteur de mobilier en bois, on n’a pratiquement rien retrouvé. En revanche la production d’un Hans van Mildert (1588-1638), ami de Rubens et très actif à Anvers et dans les Flandres à partir de 1617, de même que celle de ses concurrents Robrecht, Hans et Andries de Nole, ne concerne qu’une statuaire en marbre, en pierre ou en albâtre, pas en bois. Ces sculpteurs ont développé un esprit que l’on qualifiera de « baroque » dans les Pays-Bas méridionaux, et dont Buyster fut aussi certainement tributaire. Les drapés deviennent amples et soignés, les attitudes expressives.
Vers 1622, à peine arrivé à Paris, nous savons par son biographe Guillet de Saint-Georges que Buyster travaille le bois pour des ornements de carrosse chez divers maîtres. Rubens se trouve également dans la capitale, triomphant au palais de la reine mère du Luxembourg avec son grand cycle de Marie de Médicis. Dès 1623, le talent de Buyster est reconnu, ce qui lui permet d’être reçu dans la communauté des maîtres. Il pourra dès lors exercer son art en toute indépendance et recruter des apprentis. Deux importants établissements religieux de la rue Saint-Honoré, proches de son domicile, lui passent aussitôt commande : les jacobins pour une Annonciation en pierre, les feuillants pour des reliefs en bois au portail de leur façade où travaille un autre sculpteur bien établi, Simon Guillain.
Par la suite, concurremment à la pierre et au marbre, Buyster ne cessera d’être requis pour ses compétences dans la sculpture du bois : 1624 donc au portail des feuillants ; 1625, un contretable d’autel ; 1631, le maître autel chez les carmélites de la rue Chapon ; 1637, des sculptures au maître autel de l’église Saint-Eustache ; 1638, le tabernacle de l’église Saint-Georges de Vendôme ; 1647, les sculptures au banc d’œuvre de Saint-Nicolas des Champs ; 1648 au maître autel des filles du Calvaire au Marais ; 1655 au retable de l’autel du Grand Séminaire de Saint-Sulpice ; 1665 : des angelot et des chérubin aux portes intérieures du Val de Grâce ; 1665, des modèles pour l’église du Saint-Sépulcre ; 1665, des ornements pour une galère du roi.

Nos Cariatides reflètent-elles une sensibilité à l’esthétique rubénienne ? Dans une certaine mesure, certainement. Nos quatre femmes vêtues de robes au drapé large et vivant, au visage plein, diffèrent considérablement, non dans l’iconographie, mais dans le traitement plastique, des Grâces de Germain Pilon au visage émacié et vêtues de robes au drapé tourmenté (ill. 4). Elles font davantage écho aux femmes de Rubens (par exemple, cette mère portant un bébé dans ses bras, coiffée d’une natte relevée sur le haut de la tête par un petit chignon, dans ses Miracles de Saint Ignace), avant que le peintre ne rende leurs chairs débordante.
Était-ce l’architecte Lemercier qui donna au sculpteur le dessin des cariatides ? Pour les lignes générales, c’est probable, mais le sculpteur qui les réalisa, artiste manifestement de tout premier ordre, dut régler lui-même les détails.
Une interrogation demeure : dans quelle mesure retrouve-t-on dans ces Cariatides le style de Buyster ?

17. Attribué à Philippe de Buyster
Madeleine de Crèvecoeur en priante, vers 1634
Marbre
Soissons, cathédrale
Photo : Thierry Prat
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Ses premiers ouvrages n’ayant pas été identifiés ou ayant disparu, ce n’est que vers 1634 que l’on peut lui attribuer avec quelque certitude une sculpture en marbre : la figure en priante de Madeleine de Crèvecoeur, conservée dans la cathédrale de Soissons [11] (ill. 17). Nous avons là une femme âgée, représentée agenouillée, mains jointes. Le drapé de sa robe est ample et offre des creux et des cassures assez proches de celles que l’on a observées dans nos Cariatides. Son visage est modelé avec fermeté et sensibilité, coiffé sous la cornette très soignée de mèches parallèles, comme celles des cariatides B et D. Des remarques quelque peu analogues peuvent être faites à propos de certaines de ses sculptures en pierre de Wideville - en dépit d’une influence manifeste du sculpteur Jacques Sarazin [12] - et même beaucoup plus tard, en 1656, dans son monument funéraire des Laubespine [13].
Rappelons en outre que lorsque les religieux de Sainte-Geneviève commandèrent en janvier 1656 pour leur église l’ambitieux Monument funéraire de François de La Rochefoucauld, en marbre, c’est à Philippe de Buyster qu’ils s’adressèrent . Cette remarque n’est pas une preuve mais pourrait tout au plus fournir un indice, dans le cas où les religieux se seraient souvenus que Buyster était l’auteur des Cariatides.

Aussi, à défaut de la découverte d’un document venant confirmer cette proposition, nos arguments tant historiques que stylistiques inclinent à attribuer ce sculpteur, qui deviendra l’un des meilleurs de sa génération, la réalisation des Cariatides de l’abbaye Sainte-Geneviève.

SAINT-NICOLAS DES CHAMPS : SCULPTURES EN BOIS

La thèse que monsieur Michel Dargaud a soutenue en 1975 à l’École des Chartes : « L’église Saint-Nicolas des Champs à Paris. Étude historique et archéologique », renouvelle non seulement tout ce que l’on savait sur cette église mais elle apporte aussi des éléments majeurs sur la participation de Buyster.

Le banc d’œuvre

D’une part, il faut rectifier la datation de 1628 que nous avions suggérée pour le décor en bois du banc d’œuvre qui lui était dû, banc d’œuvre disparu à la fin du XVIIIe siècle [14].
Ce sera en réalité vingt ans plus tard, en 1647, que le marché de menuiserie, découvert et analysé par M. Dargaud, sera passé par les marguilliers de l’église avec Adrien Le Paultre, maître menuisier [15]. Ce marché détaille les parties décoratives du banc d’œuvre : « Au-devant de chacun des deux piliers un terme en forme de vertu de six pieds de haut ou environ (environ 2m) posé sur un pied d’estail, … et au-dessus de lad. corniche au milieu d’icelle sera mis deux anges assis, conformément au dessin, derrière lesquels y aura un dosme et au milieu desd. Anges, ung vaze sur ung balustre, lesquels anges … ». « lesd. Anges et les deux termes à faire par le sieur Bistere (sic) sculteur et le reste des ornemens par habilles sculteurs ».
Quelques modifications furent apportées en cours de réalisation, ce qui apparaît dans la description de Guillet de Saint-Georges, biographe de Buyster : les « Vertus posées sur des piédestaux » figurant, dit-il, la Religion et la Sagesse n’avaient pas, semble-t-il, la forme de termes. Et ce n’est pas un vase que Guillet décrivit entre les anges, mais un bas-relief circulaire représentant « saint Nicolas distribuant trois bourses pour le mariage de trois filles nécessiteuses », adjonction sans doute demandée par l’un des marguilliers commanditaires [16].
Rappelons que la famille Lepautre, ou Le Paultre, comptait des menuisiers, des maçons, des architectes (dont Anthoine, fils d’Adrien), des serruriers, des graveurs (Jehan I, Pierre), des peintres, et un sculpteur (Pierre) [17]. Adrien Le Paultre, maître menuisier né dans les années 1580 et dont l’activité est connue entre 1614 et 1647, habitait rue du Vert-bois sur la paroisse Saint-Nicolas. Michel Dargaud précise qu’en outre, son frère Jean avait fourni en 1601 le jubé de l’église et en 1623, les stalles et la clôture du chœur.
La disposition du banc d’œuvre et sa décoration, dont le dessin général revenait à Adrien Le Paultre, avait certainement été discutée et mise au point par les marguilliers et probablement aussi avec Buyster, sculpteur déjà célèbre en 1647.
Adrien Le Paultre s’engageait à ce que le banc d’œuvre fût exécuté dans un délai de quatre mois, pour un montant de 2500 livres.

18. Adrien Le Paultre et exécution attribuée à Philippe de Buyster
Plafond du porche, 1649
Bois
Paris, église de Saint-Nicolas-des-Champs
Photo : Françoise de La Moureyre
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Le porche

Mais le rôle d’Adrien Le Paultre ne s’arrêtait pas là. Michel Dargaud a découvert que celui-ci fut également responsable du décor du porche de l’église, ce que prouve l’expertise en date du 17 août 1649 demandée par les marguilliers et Adrien pour « priser et estimer les augmentations de menuiserie que led. Lepautre a faicte à l’œuvre de lad. église, construction du porche et autres menuiserie en icelle [18]
Le décor sculpté de la menuiserie de ce porche, au revers de la façade principale, à l’ouest, est heureusement toujours en place [19]. Élaboré par Adrien Le Paultre qui fait preuve d’un grand talent pour l’invention des motifs, il semble logique de penser qu’il ait sollicité encore Philippe de Buyster pour le réaliser, ainsi que le suggère M. Dargaud.


19. Adrien Le Paultre et exécution attribuée à Philippe de Buyster
Plafond du porche : tête grotesque en cul de lampe, 1649
Bois
Paris, église de Saint-Nicolas-des-Champs
Photo : Françoise de La Moureyre
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20. Adrien Le Paultre et exécution attribuée à Philippe de Buyster
Plafond du porche : tête grotesque en cul de lampe, 1649
Bois
Paris, église de Saint-Nicolas-des-Champs
Photo : Françoise de La Moureyre
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Le plafond (ill. 18) semble soutenu par deux Termes féminins ailés, en guise de consoles, qui s’élancent obliquement de chaque côté de la fenêtre sur rue. Aux angles du plafond, de remarquables culs de lampe où sont appliqués des têtes grotesques sont tout à fait dans la veine de Buyster (ill. 19, 20), rappelant ses masques de satyre au fronton de l’aile Lemercier du Louvre, au linteau d’une petite porte du château de Maisons, ou encore le profil de son fameux Poème Satyrique de Versailles.


21. Adrien Lepautre et exécution attribuée à Philippe de Buyster
Plafond du porche : partie centrale, 1649
Bois
Paris, église de Saint-Nicolas-des-Champs
Photo : Françoise de La Moureyre
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22. Adrien Lepautre et exécution attribuée à Philippe de Buyster
Plafond du porche : tête féminine à la partie centrale, 1649
Bois
Paris, église de Saint-Nicolas-des-Champs
Photo : Françoise de La Moureyre
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La partie centrale du plafond, en carré (ill. 21), contient un cercle mouluré d’oves et fers de lance, sur lequel se répète une ornementation extrêmement élégante avec quatre délicates têtes de femmes dans une sorte de cartouche à volutes. Chaque visage féminin obéit à un modèle un peu différent (ill. 22), qui rappelle les têtes féminines en pierre que Buyster sculpta dans la cour carrée du Louvre, au-dessus des fenêtres de l’avant-corps et du gros pavillon. Au milieu de ce cercle pend un culot orné de feuilles d’acanthe.

23. Adrien Le Paultre et exécution attribuée à Philippe de Buyster
Plafond du porche : Terme féminin ailé, 1649
Bois
Paris, église de Saint-Nicolas-des-Champs
Photo : Françoise de La Moureyre
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Les deux termes féminins ailés (ill. 23) ne constituent pas la partie la plus réussie du décor. Leur visage est certes très beau, les festons de fleurs bien venus, les plumes des ailes ouvragées rappellent celles des chérubins que Buyster sculptera aux portes du Val de Grâce. Pourtant, on constate ici une certaine raideur dans la forme de leur gaine et beaucoup de lourdeur dans leur bassin malgré les guirlandes. Faut-il imputer ces défauts à un ouvrier réquisitionné pour achever le travail dans les temps requis ? Ils surprennent dans un ensemble de cette qualité où se manifestent tant de finesse et de maîtrise. Seul, un éminent sculpteur spécialiste de la sculpture en bois pouvait le réaliser : Philippe de Buyster, donc, très vraisemblablement, accompagné d’ouvriers et d’un sculpteur spécialiste de l’ornement pour les volutes, les roses et le culot central couvert d’acanthes.

ÉGLISE DU VAL-DE-GRACE : SAUVETAGE ET REINTEGRATION DE HUIT ANGES DRAPES ET DE SEIZE ENFANTS AILES

Dans notre « Plaidoyer » que la Tribune de l’Art avais mis en ligne le 26 novembre 2016, nous nous interrogions sur le sort réservé aux vingt-quatre statues d’Anges qui se trouvaient à l’extérieur de l’église sur ses parties hautes. Elles avaient été sculptées en 1661 par Buyster en pierre de Saint-Leu [20]. Pour les distinguer, nous désignerons sous le nom d’Enfants ailés les seize statues qui se trouvaient répartis autour du tambour du grand dôme, et sous le nom d’Anges drapés les huit qui se tenaient au-dessus de la chapelle du Saint-Sacrement.

24. D’après Philippe de Buyster
Ange drapé, copie de 1863 par Devaulx et restaurée en 2018 par Antonio Vico Vico.
Pierre de Saint-Leu - H. environ 195 cm
Paris, Val-de-Grâce, crypte de l’église
Photo : Françoise de La Moureyre
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En raison de leur dégradation due à la pollution, elles mettaient en péril leur propre conservation et la sécurité du public. Les Ministères des Armées et de la Culture étant responsables de l’entretien de leur patrimoine, les travaux s’inscrivent dans le cadre du Protocole Culture-Défense qui a chargé l’OPPIC des différentes opérations pour mettre ces statues à l’abri, puis restituer à l’église son aspect antérieur [21].
Dès l’année 1995, au cours de la restauration de la toiture de la chapelle du Saint-Sacrement, on avait déposé les Anges drapés dans la crypte sous la chapelle. En septembre 2011 furent descendus dans des cages métalliques individuelles les seize Enfants ailés, installés dans un appentis protégé. En juin 2017 ont commencés les opérations de nettoyage, restauration, copies et répliques, confiées à l’OPPIC.
Au cours de trois visites sur les lieux, l’une au printemps 2017, une autre le 26 juin 2018 et la dernière fin novembre 2018, il nous est apparu que ce travail, qui devrait s’achever vers la fin juin 2019, était mené avec soin et respect.


25. François-Théodore Devaulx
Tête très dégradée de l’Ange qu’il avait copié en 1863
Pierre de Saint-Leu, 1863
Paris, Val-de-Grâce, crypte de l’église
Photo : Françoise de La Moureyre
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26. Antonio Vico Vico
Nouvelle tête de l’Ange de 1863 proposée et validée
Plâtre, 2018
Paris, Val-de-Grâce, crypte de l’église
Photo : Françoise de La Moureyre
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Les huit Anges drapés, hauts d’environ 1m95, constituent deux groupes de deux paires qui surmontaient la chapelle du Saint-Sacrement, l’un au sud, l’autre au nord. Il faut noter que l’Ange le plus occidental du groupe nord date de 1863 (ill. 24) : c’est une assez belle copie qu’avait alors réalisée le sculpteur François-Théodore Devaulx, lequel n’avait malheureusement pas conservé la statue originale ; mais la pollution n’a pas épargné cette copie ; monsieur Antonio Vico Vico (atelier Sacra), chargé de la restauration des huit Anges drapés, a déjà dû lui refaire le visage (ill. 25, 26) et compléter quelques morceaux de draperie [22].


27. Philippe de Buyster
Ange drapé
Statue originale, 1661
Pierre de Saint-Leu
Paris, Val-de-Grâce, crypte de l’église
Photo : Françoise de La Moureyre
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28. D’après Philippe de Buyster
Ange drapé
Restitution en plâtre par Antonio Vico Vico 2018
Paris, Val-de-Grâce, crypte de l’église
Photo : Françoise de La Moureyre
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29. Philippe de Buyster
Ange drapé détail
Statue originale, 1661
Pierre de Saint-Leu
Paris, Val-de-Grâce, crypte de l’église
Photo : Françoise de La Moureyre
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30. Philippe de Buyster
Anges drapés
Statue originale, 1661
Pierre de Saint-Leu
Paris, Val-de-Grâce, crypte de l’église
Photo : Françoise de La Moureyre
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31. Philippe de Buyster
Anges drapés
Statues originales, 1661
Pierre de Saint-Leu
Paris, Val-de-Grâce, crypte de l’église
Photo : Françoise de La Moureyre
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32. Philippe de Buyster
Ange drapé
Statue originale, 1661
Pierre de Saint-Leu
Paris, Val-de-Grâce, crypte de l’église
Photo : Françoise de La Moureyre
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33. D’après Philippe de Buyster
Ange drapé
Restitution en plâtre par Antonio Vico Vico 2018
Paris, Val-de-Grâce, crypte de l’église
Photo : Françoise de La Moureyre
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34. Philippe de Buyster
Ange drapé
Statue originale, 1661
Pierre de Saint-Leu
Paris, Val-de-Grâce, crypte de l’église
Photo : Françoise de La Moureyre
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35. Philippe de Buyster
Ange drapé
Statue originale, 1661
Pierre de Saint-Leu
Paris, Val-de-Grâce, crypte de l’église
Photo : Françoise de La Moureyre
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36. Moulage posé sur la restitution en plâtre d’un Ange drapé
Plâtre
Paris, Val-de-Grâce, crypte de l’église
Photo : Françoise de La Moureyre
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Dans la crypte où les huit Anges ont été déposés se déroulent les différentes opérations. Tous les huit reçoivent d’abord un nettoyage (ill. 27, 29 à 32, 34 et 35). Mais, si l’on excepte cet Ange copié en 1863, les sept autres, originaux, sont très endommagés, leur manquant, comme on peut le constater, qui un bras ou une partie de visage, qui une jambe, un morceau de draperie. Ces statues originales reçoivent alors un premier moulage dans lequel est coulé du plâtre. Sur celui-ci est proposée une restitution en terre ou en plâtre des parties manquantes, restitutions examinées par l’architecte responsable et éventuellement corrigées jusqu’à donner satisfaction. Une fois validées, ces statues en plâtre ainsi complétées (ill. 33) font l’objet d’un nouveau moulage (ill. 36), positif, dans lequel on pourra couler un mélange de pierre reconstituée et tirer ainsi les nouvelles répliques.
Ces 7 répliques seront montées sur la chapelle du Saint-Sacrement à l’emplacement où se trouvaient les Anges originaux, de même que l’Ange copié en 1863.
Quant aux statues originales, on pourra les voir dans cette même crypte où elles seront présentées dans un esprit muséologique.

37. Vue d’ensemble de l’appentis où ont été installés les Enfants ailés originaux dans leur cage métallique
Val-de-Grâce, jardin
Photo : Françoise de La Moureyre
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Le traitement des seize Enfants ailés (H. environ 2,25 m) est différent. Tous installés en 1911 dans un appentis, chacun est resté dans sa cage métallique (ill. 37 à 41). Les plus dégradés sont les huit Enfants qui se trouvaient du côté méridional du tambour du dôme (ill. 38). Ces huit statues sont numérisées en 3D. Sur la base de ces images, on tire pour chacune une copie en mousse polyuréthane effectuée par un robot. Sur la base de ces copies, il est nécessaire de compléter les manques, opération très délicate car quelques originaux n’ont plus du tout de visage. Une fois l’opération validée, on peut entreprendre leur copie en taille directe dans du Saint-Leu.


38. Philippe de Buyster
Enfant ailé très dégradé
Pierre de Saint-Leu - H. environ 225 cm
Val-de-Grâce, jardin
Photo : Françoise de La Moureyre
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39. Philippe de Buyster
Enfant ailé en assez bon état de conservation
Pierre de Saint-Leu - H. environ 225 cm
Val-de-Grâce, jardin
Photo : Françoise de La Moureyre
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40. Philippe de Buyster
Enfant ailé en assez bon état de conservation
Pierre de Saint-Leu - H. environ 225 cm
Val-de-Grâce, jardin
Photo : Françoise de La Moureyre
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41. Philippe de Buyster
Enfant ailé en assez bon état de conservation
Pierre de Saint-Leu - H. environ 225 cm
Val-de-Grâce, jardin
Photo : Françoise de La Moureyre
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Les huit Enfants qui occupaient le côté septentrional du tambour du dôme sont moins dégradés (ill. 39 à 41). Il a fallu néanmoins réaliser pour chacun une copie en plâtre en complétant là aussi les parties manquantes, à partir desquelles on effectue leur copie en taille directe.

42. D’après Philippe de Buyster
Enfants ailés
Copies en taille directe, 2017-2018
Pierre de Saint-Leu
Val-de-Grâce, jardin
Photo : Françoise de La Moureyre
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Les copies des seize Enfants sont en cours de réalisation, beaucoup sont terminées. Nous avons pu les voir dans de nouvelles cages en fer dans le jardin. Elles nous ont paru vraiment réussies, proches des intentions de Buyster (ill. 42 à 47). L’opération une fois achevée, ces copies seront remontées autour du tambour du dôme à l’emplacement qu’occupaient les statues originales.
Quant aux huit statues originales en meilleur état, elles seront sorties de l’appentis et exposées au public dans le chœur des religieuses de l’église.
Les huit statues très dégradées demeureront, quant à elles, dans l’appentis.


43. D’après Philippe de Buyster
Enfants ailés
Copies en taille directe, 2017-2018
Pierre de Saint-Leu
Val-de-Grâce, jardin
Photo : Françoise de La Moureyre
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44. D’après Philippe de Buyster
Enfants ailés
Copies en taille directe, 2017-2018
Pierre de Saint-Leu
Val-de-Grâce, jardin
Photo : Françoise de La Moureyre
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45. D’après Philippe de Buyster
Enfants ailés
Copies en taille directe, 2017-2018
Pierre de Saint-Leu
Val-de-Grâce, jardin
Photo : Françoise de La Moureyre
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46. D’après Philippe de Buyster
Enfants ailés
Copies en taille directe, 2017-2018
Pierre de Saint-Leu
Val-de-Grâce, jardin
Photo : Françoise de La Moureyre
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47. D’après Philippe de Buyster
Enfants ailés
Copies en taille directe, 2017-2018
Pierre de Saint-Leu
Val-de-Grâce, jardin
Photo : Françoise de La Moureyre
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L’ensemble de ces travaux a été suivi par monsieur Xavier Tabbagh, ancien conservateur du musée du service de santé et maintenant commissaire de première classe chargé des relations publiques. Nous le remercions vivement pour le temps qu’il nous a consacré afin de nous montrer et nous expliquer les opérations de restauration de ces statues, nous ayant permis d’en suivre le déroulement.

Nous espérons pouvoir aller contempler les copies des 8 Anges drapés et des 16 Enfants ailés quand elles seront achevées, avant leur installation sur la Chapelle du Saint-Sacrement et sur le tambour du dôme.

Un livre est annoncé, qui fournira tous les détails de la restauration des sculptures extérieures de l’église.

VIERGE DE PITIE : SON ATTRIBUTION A PHILIPPE DE BUYSTER EST-ELLE JUSTIFIÉE ?

Dans la vente Sculptures et objets d’art européens qui eut lieu à Paris chez Christie’s le 19 juin 2018, le lot 19 concernait un groupe en terre cuite représentant une Vierge de pitié (ill. 48). Il a trouvé preneur chez un collectionneur privé pour le montant de 50 000 €.


48. Vierge de pitié
Terre cuite - 127 x 150 x 60 cm
Collection particulière
Photo : Christie’s
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49. Vierge de pitié vue de dos
Terre cuite - 127 x 150 x 60 cm
Collection particulière
Photo : Christie’s
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50. Vierge de pitié vue latérale
Terre cuite - 127 x 150 x 60 cm
Collection particulière
Photo : Françoise de La Moureyre
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Lorsque Charles Avery, il y a une quinzaine d’années, avait proposé de l’attribuer à Philippe de Buyster, le groupe se trouvait au château d’Autricourt (Côte-d’Or), appartenant alors à Mme Treil de Pardailhan.
Conçu comme un groupe d’applique (ill. 49 et 50), sa composition est triangulaire. Une robe et un voile revêtent la Vierge, couvrant son chef et son dos et retombant devant elle sur son bras gauche. Elle est assise, bras grand ouverts, une de ses jambes étant repliée, l’autre étendue, contre laquelle s’appuie le torse dénudé du Christ, dont une draperie ne couvre que les reins et le ventre.
Peut-on dater du milieu du XVIIe siècle ce groupe, qui semble bien français ? Rien dans ce que l’on connaît de la carrière de Buyster ne se réfère à la commande d’une Vierge de pitié. L’attribution est-elle recevable sur le plan stylistique ?


51. Vierge de pitié détail : le buste de la Vierge
Collection particulière
Photo : Françoise de La Moureyre
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52. Vierge de pitié détail : le visage du Christ
Collection particulière
Photo : Christie’s Ltd, 2018
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Dans les années 1635-1648 au cours desquelles il œuvrait dans l’équipe de Jacques Sarazin, son style se fait monumental, pouvant être un peu lourd comme à Wideville. La Vierge de pitié est monumentale plus que lourde. Le visage de Marie (ill. 51), beau, expressif, ainsi que celui du Christ (ill. 52), dont le corps est vigoureusement modelé, n’ont, à notre connaissance, aucun équivalent dans l’œuvre de Buyster et pas davantage chez ses contemporains comme Jacques Sarazin ou Gilles Guérin. Seul, le grand mouvement giratoire des draperies se retrouve parfois chez ceux-ci.
Mais avons-nous réellement affaire à une création du XVIIe siècle ?
Bien plus tard, au XIXe siècle, plusieurs Vierges de pitié sont sculptées, dont la composition triangulaire et une sorte d’inspiration grand siècle font penser à notre groupe. On observe ces caractères à l’église de La Madeleine de Besançon dans une Vierge de pitié d’Auguste Clésinger, par ailleurs auteur d’une autre Vierge de pitié beaucoup plus animée dans la chapelle des Âmes du Purgatoire de l’église parisienne de Sainte-Marguerite. Luc-Breton en avait déjà sculpté une en 1783 pour l’église Saint-Pierre de Besançon, mais dans un esprit beaucoup plus déclamatoire et baroque.
Il dut en exister d’autres.
La Vierge de pitié qui nous occupe, plutôt qu’une œuvre improbable du XVIIe siècle, ne serait-elle pas une œuvre créée au milieu du XIXe siècle qui marque un retour au néo-classicisme, ce qui n’aurait rien de péjoratif ? La question est posée.

Françoise de la Moureyre

Notes

[1MR 3555-3558 ; H. 1,900 ; L. 0,680 ; Pr. 0,425.

[2Archives du musée des Monuments français, II, p. 102

[3Maintes fois représentées dans cet arrangement : par Hubert Robert (musée du Louvre, RF 1952.32, et dans plusieurs dessins du département des arts graphiques du Louvre : un dessin anonyme, inv. RF 5280.89 (ill. 2), ainsi qu’un dessin, une aquarelle et une huile sur toile de Jean-Lubin Vauzelle inv. RF 5279.33 et RF. 28831 et au musée Carnavalet, inv. P 2074. cf. Un musée révolutionnaire. Le musée des Monuments français d’Alexandre Lenoir, sous la direction de Geneviève Bresc-Bautier et Béatrice de Chancel-Bardelot, ouvrage accompagnant l’exposition du Louvre, 7 avril-4 juillet 2016, fig. 53 et cat n°20, 24 et 23, repr. p. 123, 171, 257 et 111.

[4C. Landon, Annales du Musée, école française moderne. Sculpture, t. 2, 1833 ; Comte de Clarac, Musée de sculpture antique et moderne, t. 5, 1851, n° 2607 ; F. Babelon, Germain Pilon, 1927, p. 19, cat. n° 33, p. 70, pl. II et III ; Ch. Terrasse, Germain Pilon, 1930, p. 99 ; H. Zerner, « L’eau-forte à Fontainebleau », dans Art de France, t. 4, 1964, n° 96, 100, 107, 109 ; O. Raggio, « Problèmes bellifontains », dans Revue de l’Art 1974, n° 23, p. 78 ; M. Beaulieu, Description raisonnée des sculptures du Musée du Louvre, t.II, Renaissance française, 1978, p. 176, n°235-238.

[5Cécile Giteau, L’abbaye de Sainte-Geneviève de Paris, thèse inédite de l’École du Louvre 1961, p. 141 et suiv. (Arch. du Louvre F8 1961, 4 février).

[6Catalogue Louvre. Sculpture française. II- Renaissance et Temps modernes, sous la direction de J.R. Gaborit, vol. 2, p. 695.

[7« L’or, le marbre et le jaspe. Jacques Le Mercier et l’église Sainte-Geneviève-du-Mont », dans Revue de l’Art, n° 126, 1999-4, p. 73-82.

[8Jacques Lemercier, architecte et ingénieur du Roi, Paris, 2005, fig. 152 p. 228.

[9Bnf Estampes, recueil Ecole de Fontainebleau.

[10En 1606 pour la cheminée de la chambre du roi au Louvre, en 1614-166 avec seize statues au chœur de Saint-Germain l’Auxerrois.

[11F. de La Moureyre, Philippe de Buyster, 2ème partie, n° 7.

[12Ibid, 2è partie, n° 10 (par exemple dans ses figures de L’Amitié, et de Flore).

[13Ibid., 4è partie, n° 30

[14Ibid., 1ère partie, n° 3. Monsieur Didier Rykner nous a mise en relation avec M. Dargaud qui nous a très aimablement communiqué sa thèse.

[15Marché du 2 septembre 1647, AN, Minutier central, XC, 80.

[167 octobre 1690, Mémoire historique sur les principaux ouvrages de Philippe Buyster dans Conférences de l’Académie royale de Peinture et de Sculpture, éd. critique, dir. Jacqueline Lichtenstein et Christian Michel, t. II, vol. 1, 2008, p. 295.

[17Se reporter à ce sujet à l’arbre généalogique des Lepautre qui figure en fin du volume II des French Sculptors.

[18AN, Minutier central, XC, 84.

[19« vrai portique d’une rare magnificence de menuiserie et de sculpture », selon l’abbé Pascal, dans Inventaire Plon, p. 402-403.

[20Philippe de Buyster, Catalogue raisonné mis en ligne par la Tribune de l’Art en octobre 2007, 4ème partie, n° 37 a et c.

[21Les travaux, confiés à l’OPPIC, ont commencé en juin 2017 et devraient s’étaler sur 39 mois. L’ensemble constitue 12 lots. Le Lot 6, qui réalise les Scan 3D pour les modèles d’étude par procédé numérique des 16 Enfants ailés, est assuré par le Groupement SNBR (mandataire), Léandro Berra, Nathalie Pruha et Xavier Llener, 2 rue Alcide de Gaspéri, 10300 Sainte Savine. Le Lot 2, confié à Socra – Zae de Saltgourde, av. du château, 24430 Parsac sur l’Isle, concernant la restauration des 8 Anges drapés et leur copie en pierre reconstituée, est assurée par Antonio Vico Vico. Les Lots 3 à 5, pour la restauration et les copies en taille directe des 16 Génies, sont confiés à trois entreprises : le Groupement Louis Geneste (mandataire), H. Chevalier, Florent Lebon et Benoit Mesnier, 30 rue de Gutenberg, 63100 Clermont Ferrand ; Tollis, 183 boulevard Jean Mermoz, 94550, Chevilly-Larue ; l’Atelier Jean-Loup Bouvier, 9 rue du Ponant BP 212, 30133 Les Angles. Les travaux de charpente et menuiserie, maçonnerie et pierre de taille, l’analyse des matériaux, la manutention, le transport et la mise en place des statues, l’électricité et le chauffage/ventilation sont répartis sur les autres lots. Les dossiers peuvent être consultés à la direction régionale des affaires culturelles d’Ile-de-France, 47 rue Le Peletier, 75009 Paris.

[22Notons que dans notre catalogue raisonné, nous avions commis une erreur en identifiant cet ange avec celui placé à l’est de ce groupe.

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