Paris, ville maudite

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Un dénommé Benjamin Djiane, ancien collaborateur de Manuel Valls et conseiller PS du troisième arrondissement, nous explique sur sa page Facebook (et sur Twitter) qu’il « veut du soleil » (sic) « et une place de la Bourse toute verte 🌴🍀🌿🍀🌼🌷 ! ».

Du soleil, avec le réchauffement climatique, il en aura probablement (et il devrait lutter contre, nous ne sommes pas à une contradiction près). Une place de la Bourse « toute verte », force est de constater que ce n’est pas le cas aujourd’hui et que cela ne l’a jamais été depuis la construction de ce monument au début du XIXe siècle. Son architecte, Alexandre-Théodore Brongniart, qui conçut l’édifice comme une libre interprétation de la Maison Carrée à Nîmes, avait prévu une place entourée de colonnes, toute minérale bien entendu. Son décès prématuré - l’édifice fut finalement terminé par Éloi Labarre assisté d’Hippolyte Lebas [1] - fut sans doute la cause de l’inachèvement du projet. Il reste que, comme tout bâtiment inspiré par les temples grecs, le Palais de la Bourse n’a pas été prévu pour avoir un jardin devant lui, ni être «  végétalisé » le dernier grand mot à la mode (non, il ne s’agit pas de l’enduire de végétaline), ici remplacé par « verdissement » [sic], pas davantage que l’Assemblée Nationale et la Madeleine ne se trouvent reliées par un jardin (mais pas d’impatience, il est évident que ce sera la prochaine étape). Tout cela démontre simplement l’inculture absolue des gens qui le proposent, leur haine de tout ce qui fait une ville, de l’urbanisme et de l’architecture.

Benjamin Djiane est un élu de la majorité d’Anne Hidalgo, que peut-on en attendre pour Paris se dira-t-on ? Eh bien non. Si l’individu en question était bien un élu de la majorité municipale, il s’est désormais rapproché de l’impayable Gaspard Gantzer, ancien conseiller de François Hollande, qui a décidé de se lancer lui aussi dans la bataille. Pour faire, manifestement, exactement la même politique qu’Anne Hidalgo (il veut par ailleurs supprimer le périphérique). C’est à croire que cette ville est maudite. Car bien entendu, l’équipe actuelle, sentant qu’elle se faisait déborder dans sa politique allaisienne de mettre la ville à la campagne, a aussitôt surenchéri sur Twitter :

C’est une « forêt urbaine », terme encore plus grotesque, que propose sans rire Ariel Weil, actuel maire du quatrième arrondissement qui cherche désormais à s’emparer des trois autres arrondissements qui ont été fusionnés avec le sien. Ariel Weil, que nous avons déjà rencontré, nous était pourtant apparu comme quelqu’un d’un peu plus sage que d’autres. Manifestement nous nous trompions.

Qu’on se rassure : la course à l’échalote continue entre les deux rivaux, Benjamin Djiane rétorquant que c’est son idée, et que ses ex-compagnons de route la lui ont piquée (et c’est pas beau).

Certains pourraient s’interroger : comment planter une « forêt urbaine  » (nous pouffons, rien qu’à l’écrire) sur une place dont le sous-sol est occupé par un parking. Les solutions existent comme le proclame avec son doux sourire Benjamin Djiane. Et Ariel Weil (ou du moins son équipe) la donne :

Voilà une bonne idée (et pas coûteuse du tout à réaliser) : mettre en pleine terre le premier étage du parking. On attend la riposte de Benjamin Djiane qui, après avoir dit qu’il avait déjà cette idée (c’est ainsi, dans les cours de récréation), ne va pas manquer de proposer qu’on aille jusqu’au deuxième sous-sol, afin de planter de plus grands arbres. Ou qu’on fasse pousser du lierre sur la façade de la Bourse, ou qu’on transforme celle-ci en serre tropicale.


1. Place de la Bourse avec le palais de la Bourse
Photo : Didier Rykner
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2. Place de la Bourse, entrée du parking souterrain
Photo : Didier Rykner
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On remarquera qu’une fois de plus, le ministère de la Culture est absent de tous ces débats, et que tous ces candidats chefs de classe dissertent comme s’il n’existait pas, comme si le Palais de la Bourse n’était pas un monument historique protégé et comme si son environnement immédiat ne l’était pas. Mais l’avis d’un architecte des bâtiments de France, qui s’en soucie ? D’autant qu’on a pris l’habitude à Paris d’avoir des ABF pas très gênants qui autorisent à peu près tout ce que la mairie entreprend (quand on leur demande leur avis, ce qui semble assez aléatoire).
Regardons la place de la Bourse telle qu’elle est aujourd’hui avec ses réverbères anciens, exceptionnellement en bon état (ill. 1). Des améliorations sont évidemment possibles et souhaitables : aménager l’entrée du parking qui la balafre (ill. 2) semble une nécessité. Y rajouter quelques bancs (de vrais bancs parisiens, pas des bouts de bois de récupération comme la municipalité les adore) pourrait être un plus… Et cela suffirait parfaitement. Remarquons qu’il y a peu encore, un kiosque à journaux ancien modèle donnait un cachet supplémentaire à ce lieu. Il a été impitoyablement supprimé au profit du nouveau kiosque sans aucune qualité esthétique.

Voilà où en est réduite la campagne électorale à Paris. Et on ne voit pas bien d’où pourrait venir le salut, une fois éliminés les extrêmes. De Benjamin Griveaux, candidat LREM, ancien d’Unibail (la société de promotion immobilière que la Ville a toujours chérie et à qui elle a livré les Halles ou la porte de Versailles), qui souhaite « végétaliser une rue par quartier » ? De Rachida Dati, candidat LR, qui souhaite « végétaliser les toits de Paris » ? En être réduit à choisir le candidat qui proposera la végétalisation minimum [2].… Oui, nous confirmons, cette ville est décidément maudite.

Didier Rykner

Notes

[1Voir Irène Delage et Chantal Prevot, Atlas de Paris au temps de Napoléon, Parigramme, p. 154-155.

[2Comprenons bien qu’il ne s’agit pas de dire qu’il ne faut pas de verdure dans la ville. Mais celle-ci doit prendre place dans les jardins et squares qui existent déjà et dont certains sont en triste état, et dans la création de nouveaux jardins qui doivent se substituer aux opérations immobilières qui ne cessent de densifier Paris.

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