Notre-Dame : Interview d’Alain Marinos par Véronique Veston

Nous avons reçu cette interview d’Alain Marinos, délégué national des Petites Cités de Caractère et ancien directeur de l’École de Chaillot, par Véronique Veston, architecte du patrimoine, qui nous ont proposé de la publier. Nous le faisons dans la rubrique Débats puisqu’il s’agit d’une initiative indépendante de La Tribune de l’Art (nous aurions, par exemple, rebondi sur l’allusion à la flèche de Saint-Denis...), mais qu’il nous paraît intéressante de faire connaître, les deux auteurs étant des professionnels de la restauration des monuments historiques.

Un mois après le drame de l’incendie de Notre-Dame de Paris, alors qu’un projet de loi précipite la restauration de la cathédrale en 5 ans, nous nous interrogeons sur le sens et les perspectives à donner à ce chantier.

Sous le choc de l’incendie de Notre Dame de Paris, pour rassurer et tenter d’échapper au traumatisme, la réaction spontanée de nos politiques, fut d’annoncer la réhabilitation de l’édifice au plus vite, en l’occurrence en 5 ans, pour les Jeux Olympiques. C’est compréhensible au regard du choc subit, mais sorti de cet état, avec un peu de recul, d’autres perspectives apparaissent, plus réfléchies, plus sages mais également plus intéressantes pour notre capitale et par rayonnement pour la France. L’heure de la réflexion et des choix a aujourd’hui sonné.


© Anne-Isabelle Sigros
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Les réactions suite aux dommages causés au monument historique affirment la place et le rôle du patrimoine dans l’identité des territoires. Quelles seraient les conséquences d’une restauration en 5 ans ?

Notre-Dame de Paris, monument exceptionnel, mérite des égards et une restauration exemplaire. Déroger ouvertement aux règles de l’art et aux lois actuelles pour pouvoir exposer une œuvre terminée en 2024, risque de conduire à bâcler les travaux. Le « JO washing », le grand lessivage qui précède les Jeux Olympiques, a montré dans le passé ses effets négatifs avec la restauration à la hâte de monuments emblématiques dans plusieurs villes ayant accueilli les jeux.

La forte mobilisation des experts du patrimoine des dernières semaines, montre qu’il y a d’autres alternatives pour le patrimoine. Il faut accorder à Notre-Dame le temps de la réflexion et de l’analyse. Que nous apporterait le choix du temps ?

Présenter un projet mûrement réfléchi en cours de réalisation serait une richesse pour tous. Nous pouvons, en exposant un beau chantier de restauration, poursuivre l’histoire, accueillir et afficher nos processus de créations et nos savoir-faire. Nous pouvons imaginer une pause partielle des travaux pendant les JO, et mettre en scène une partie de ce chantier. Il serait possible d’ouvrir partiellement l’édifice (l’intérêt sera d’autant plus grand que certaines parties resteront cachées) pour présenter à des gens venus de tout le pays, voire du monde entier, qui ont tous été émus pas l’incendie, les compétences et les savoir-faire exceptionnels de nos artisans, de nos entreprises, de nos architectes, de nos filières. Rien de plus simple alors de présenter parallèlement les écoles où ils ont été formés et à travers elles, un enseignement et des formations exceptionnels que l’on ne trouve que dans un tout petit nombre de pays dans le monde.


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Notre-Dame est une œuvre humaine, collective. Sa restauration nous offre a nouveau cette chance par la mise en lumière de nos territoires riches de savoir-faire innovants. Est ce enfin le temps de dépasser les débats entre les anciens et les modernes pour s’ouvrir sur une nouvelle ère ?

Oui ! Réfléchissons encore, mettons un mouchoir sur nos égos et nos querelles intestines, soyons pragmatiques : ce n’est pas l’édifice qui pourra être exporté à l’étranger, mais les compétences et savoir restaurer que nous avons en France et que de très nombreux pays nous envient. Peu de gens venus voir Notre Dame, pendant, avant ou après les Jeux Olympiques, sauront lire sur un édifice fini, totalement restauré, la somme de travail qu’il aura fallu pour en arriver là. Or, pendant le chantier, il est encore possible de montrer différentes étapes de la mise en œuvre, de voir des artisans au travail... Des processus semblables ont été engagés, ou le seront prochainement, sur plusieurs édifices historiques, allant de la flèche de la Basilique Saint-Denis au Château de Guédelon. Ne pourrait-on pas imaginer tirer des leçons de l’histoire pour proposer aux instances internationales une réflexion commune pouvant ouvrir sur une nouvelle charte internationale rédigée à Paris ? Mesdames et Messieurs les politiques, faites confiance à nos professionnels, débattez avec eux, mettez en place un processus de restauration, de pédagogie et de mise en valeur, prenez le temps de bien faire les choses : « Labourez, prenez de la peine, c’est le fond qui manque le moins »

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