Musées en danger (2) : le Cabinet des Médailles de la Bibliothèque Nationale

1. Salle des colonnes (espace inférieur)
Cabinet des médailles
Paris, Bibliothèque nationale, site Richelieu
Photo : Didier Rykner
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Jusqu’où ira la vague de vandalisme officielle qui s’abat depuis quelque temps sur notre pays ? C’est aujourd’hui le Cabinet des Médailles, le musée français le plus ancien, l’un des plus prestigieux, dont les richesses considérables n’ont d’ailleurs jamais été mises en valeur comme elles le méritent, qui voit son existence gravement menacée.

Rappelons brièvement son histoire. Le Cabinet est issu, comme le Louvre, des collections royales. On y trouvait essentiellement des monnaies, des médailles, des camées et des intailles, ainsi que divers objets de curiosité. L’inventaire après décès de Charles V recensait déjà environ 4000 œuvres, et de nombreux rois continuèrent à l’enrichir, notamment François Ier et Louis XIV. Ce dernier installa la collection au Louvre, avant de la transférer rue Vivienne en 1666 puis à Versailles en 1684. C’est sous Louis XV, en 1720, que le Cabinet revint définitivement à la Bibliothèque royale [1]. Au XVIIIe siècle, des collections archéologiques entrèrent au Cabinet du roi par achats et par dons. Au XIXe siècle arriva notamment la collection d’antiques du duc de Luynes, l’une des plus importantes dans ce domaine conservée en France. En 1917, les travaux menés par l’architecte Jean-Louis Pascal depuis la fin du XIXe permirent l’installation du Cabinet à l’endroit où il se trouve aujourd’hui. Des aménagements pas très heureux (création de mezzanines) qui lui donnèrent son aspect actuel furent effectués au début des années 1980.

2. Salon d’Angle (espace inférieur)
Cabinet des médailles
Paris, Bibliothèque nationale, site Richelieu
Photo : Didier Rykner
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Aujourd’hui, le musée ne dispose que de deux salles, chacune coupée en deux par une mezzanine, ce qui équivaut donc à quatre espaces d’exposition. A l’entrée, en haut du grand escalier, on pénètre dans la salle des Colonnes (ill. 1) ; la suivante est appelée le Salon d’Angle (ancienne salle du Grand Camée ; ill. 2) ; la troisième est la mezzanine du Salon d’Angle, qui donne accès au quatrième et dernier espace formé par la mezzanine de la salle des Colonnes. La superficie totale, de 540 m2, est évidemment trop faible pour permettre d’exposer correctement la collection et la muséographie est particulièrement désuète. Le Salon d’Angle s’ouvre sur le Salon de Luynes (ill. 3) qui conserve une partie de la collection offerte par le duc de Luynes et qui est actuellement fermée au public. Au delà, on trouve la salle de lecture puis le Salon Louis XV aux boiseries dessinées par Robert de Cotte et dont le décor peint est dû à François Boucher, Carle Van Loo et Charles Natoire.

3. Salon de Luynes
Cabinet des médailles
Paris, Bibliothèque nationale, site Richelieu
Photo : Didier Rykner
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Le 23 janvier, devant le Comité Français d’Histoire de l’Art, Jacqueline Sanson, directrice générale de la Bnf, expliquait que le musée « ne serait pas maintenu » et que les salles d’exposition actuelles du Cabinet des Médailles n’existeront plus. Elle ne faisait que confirmer en public ce que les dirigeants de la Bibliothèque nationale avaient affirmé en interne depuis plusieurs semaines. En 2009, lors d’une réunion d’information du personnel, Marie de Laubier, chef du projet Richelieu, avertissait : « L’entité musée n’existera plus ». Le 3 décembre 2009, Denis Bruckman, le directeur des collections, disait au personnel du département du cabinet des Médailles (une vingtaine de personnes) qu’il fallait que celui-ci « fasse son deuil du musée ». Enfin, en début d’année 2010, lors d’une réunion de présentation aux syndicats, le même Denis Bruckman répétait que : « le musée a[vait] fait son temps ».

Ces déclarations, les responsables de la Bibliothèque nationale se gardent bien de les mettre par écrit. Aucune réunion n’a fait l’objet de comptes rendus. Elles nous ont pourtant été confirmées par plusieurs sources internes, ainsi que par des participants à l’assemblée générale du Comité français d’histoire de l’art [2].
Nous avons rencontré Jacqueline Sanson. Manifestement très mal à l’aise devant nos questions précises, elle n’a pas hésité à nous dire le contraire de ce qu’elle déclare par ailleurs, tout en affirmant n’avoir qu’un seul discours.

Comment le projet est-il présenté par la direction de la Bibliothèque nationale au sein de l’institution ?

1. Le musée n’existera plus en tant que tel, même si le Cabinet des médailles subsistera pour la consultation des chercheurs.

2. Les œuvres seront presque entièrement conservées en réserve [3].

3. Seule la salle de Luynes, qui présente une partie des collections léguées par le duc de Luynes (notamment d’importants vases grecs), et dont la présentation est une obligation du legs, sera conservée et accessible au public.

4. Rome, deuxième quart du Ier siècle après J. C.
Grand Camée de France
Sardonyx - 31 x 26,5 cm
Paris, Cabinet des Médailles
Photo : Wikimedia Commons
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4. Une dizaine d’objets majeurs, les plus connus (Trône de Dagobert, Grand Camée - ill. 4, Jeu d’échec de Charlemagne...), seront exposés, avec des œuvres provenant d’autres départements, dans la galerie Mazarine qui deviendra une « Galerie des Trésors ». Devant le Comité français d’histoire de l’art, Jacqueline Sanson a par ailleurs ajouté que des expositions pourraient être organisées dans la galerie Mazarine : même cette Galerie des Trésors ne sera donc pas visible en permanence.

5. Le Salon d’Angle et la Salle des colonnes, qui forment aujourd’hui l’essentiel des espaces affectés au musée (sur deux niveaux grâce à des mezzanines installées dans les années 1980) deviendront des lieux de passage après suppression des mezzanines et pourront être utilisées pour des activités diverses ou pour des locations.

Que nous a dit Jacqueline Sanson ?

 Elle nous a confirmé les points 3 (salle de Luynes) et 4 (Galerie des Trésors), sans nous préciser que la galerie Mazarine pourrait être utilisée ponctuellement comme salle d’exposition temporaire.

 Le musée subsiste comme entité.

 Le Salon d’Angle et la salle des Colonnes deviendront des espaces de circulation après suppression de la mezzanine, mais ces deux salles continueraient à exposer des objets des collections, sans davantage de précisions sur le programme, celui-ci devant être discuté avec les conservateurs dans des réunions dont la première aura bientôt lieu. La salle des Colonnes pourrait être utilisée pour des « conférences ».

 Une salle d’expositions temporaires sera aménagée en sous-sol (sous la salle des Colonnes).

La médiatisation de la fermeture du musée semble inquiéter la direction de la Bnf qui est prête à dire aux journalistes l’inverse de ce qu’elle affirme hors de leur présence. Rien n’est cependant plus flou ni plus paradoxal que le projet que nous a présenté Jacqueline Sanson. Elle proclame en effet qu’elle souhaite : « mettre mieux en valeur les collections », mais devant nos interrogations elle concède que cette mise en valeur se ferait « avec moins d’œuvre et dans moins d’espace »... Lorsque nous lui avons demandé de nous confirmer qu’il y aurait bien des œuvres présentées dans le Salon d’Angle et la salle des Colonnes, elle nous a répliqué : « il n’est pas acté qu’il n’y aura pas d’œuvres dans ces salles », ce qui peut également se comprendre [c’est nous qui traduisons] : « il est possible qu’il n’y ait plus d’œuvres dans ces salles », ce qui serait plus fidèle au projet défendu en interne. Plus probablement, certaines œuvres pourraient être exposées contre les murs, l’essentiel étant qu’elles n’empêchent pas la circulation ni la location des salles [4] .

5. Pierre-Jean David d’Angers
Adèle Hugo
Plâtre
Paris, Cabinet des Médailles
Photo : Didier Rykner
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Un projet digne de ce nom ne chercherait pas à diminuer encore les surfaces d’exposition, déjà bien trop réduites : ses 540 m2 ne lui permettent d’exposer, dans des conditions médiocres, qu’une très petite partie de son fonds (seules 1 500 œuvres sont actuellement présentées). S’il est difficile de montrer des monnaies en trop grand nombre, ses ensembles de vases grecs (la seconde collection en France après le Louvre), de camées, de médailles de toutes époques (médailles baroques romaines, médaillons romantiques dont un ensemble exceptionnel de plâtres par David d’Angers - ill. 5...), d’antiquités égyptiennes ou proche orientales, de statuettes en bronze, de bijoux, de pierres gravées, etc. mériteraient d’être montrées plus abondamment. Certaines collections données avec la condition d’être présentées au public ne le sont pas, alors qu’il s’agit d’une obligation juridique. Comment peut-on songer à restreindre l’espace dévolu au musée, voire à le fermer complètement, alors que le réaménagement en cours aurait dû être l’occasion, au contraire, de lui donner enfin la place qu’il mérite au sein du Quadrilatère Richelieu.

En vérité, cela fait longtemps que le musée n’a plus les moyens nécessaires pour fonctionner normalement, comme s’il gênait le fonctionnement de la bibliothèque. Cela fait quatre ans qu’aucune exposition n’a été organisée faute de moyens et d’espaces, les expositions forçant le musée à vider une partie des vitrines. Aucun guide des collections n’est disponible pour le public. Jamais la Bibliothèque nationale n’a réellement communiqué sur ces richesses : aucun affichage ne signale, ne serait-ce que dans le bâtiment, l’existence d’un musée, ignorée d’ailleurs par la plupart des parisiens, sans parler des touristes.

6. Jean-Louis Pascal
Escalier menant au Cabinet des Médailles
Paris, Bibliothèque nationale, site Richelieu
Photo : Didier Rykner
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Une Association pour la sauvegarde du Musée des médailles et antiques (voir son site Internet [5]) s’est créée pour contrer les noirs desseins de l’administration. Une pétition est lancée et nous invitons tous les lecteurs de La Tribune de l’Art à la signer et à la faire signer.
Les menaces qui pèsent sur le Cabinet des médailles ne sont qu’une parmi d’autres à la Bibliothèque nationale. Plusieurs aménagements proposés par l’architecte Bruno Gaudin ont été critiqués par la Commission du Vieux Paris (nous y reviendrons sans doute prochainement). Jean-Michel Leniaud dénonce dans un article paru dans la revue Livraisons d’histoire de l’architecture et que l’on peut lire ici la dénaturation de la façade construite par Jean-Baptiste Pascal sur le jardin Vivienne.
L’escalier (ill. 6) qui mène au Cabinet des médailles (et qui était protégé comme monument historique) va être supprimé (voir notre article). Il est à cet égard étrange de lire la réponse donnée par Marie de Laubier à ceux qui s’inquiètent de cette destruction : il s’agirait notamment, je cite : « d’améliorer la visibilité de la salle Ovale [6] ». Or, la salle Ovale (qui est actuellement la salle de consultation de la bibliothèque Jacques Doucet) n’a pour le moment aucune affectation dans le projet du Carré Richelieu [7] ! Et quand bien même ? Les lecteurs actuels semblent parfaitement trouver le chemin de cette salle sans qu’il y ait besoin pour cela besoin de démolir l’escalier. Quel paradoxe que de vouloir détruire cette œuvre de Jean-Louis Pascal et de prétendre simultanément rendre la salle des Colonnes, du même Pascal, à ses volumes d’origine pour en magnifier l’architecture ! Il paraît - seule bonne nouvelle - que le hall d’accueil de la bibliothèque, conçu par Labrouste et dénaturé il y a une vingtaine d’années, serait remis dans son état originel. Va-t-on détruire l’escalier pour s’apercevoir dans quelques années qu’il faut le rétablir ?

L’entrée principale de la rue de Richelieu donne sur la salle Labrouste qui sera affectée demain à l’INHA. La Bibliothèque nationale, qui au fond, semble n’avoir jamais réellement accepté de partager ses murs avec cette institution, veut avoir aussi son entrée monumentale, via les jardins Vivienne. Est-ce la raison pour laquelle on se débarrasse à la fois du musée et de l’escalier ?
Il est toujours surprenant que les pires attaques contre les monuments historiques viennent du ministère de la Culture, et dans ce cas d’une institution dont la conservation du patrimoine constitue la raison d’être. Comment dire mieux l’absurdité du souhait présidentiel de vouloir créer un Musée de l’Histoire de France quand on choisit sciemment d’éliminer un musée qui est l’Histoire de France. Comment ne pas voir le scandale qu’il y a à parler d’identité nationale lorsque l’on s’acharne, mois après mois, à détruire le patrimoine national.

Didier Rykner

Notes

[1Celui-ci déménagea deux fois dans le bâtiment mais resta rue Vivienne.

[2François Queyrel cite les déclarations de Jacqueline Sanson dans une interview donnée sur Fréquence Protestante le 6/2/10.

[3Il était d’ailleurs question dans un premier temps que ces réserves soient envoyées hors de Paris, projet auquel il semble que la direction ait effectivement renoncé

[4Notre article était à peu près terminé lorsque nous avons pris connaissance d’un communiqué diffusé sur l’Intranet de la BnF par la direction, « sur l’avenir du département des Monnaies, médailles et antiques ». Ce document souhaite répondre « à divers échos au sujet de la prétendue disparition du Musée du Cabinet des médailles ». On y retrouve pour l’essentiel ce que nous a dit Jacqueline Sanson, c’est à dire le même projet vague et insatisfaisant. La faible fréquentation du musée n’est pas mise sur le compte de l’absence de communication, ni de la faiblesse des moyens accordés, mais s’explique uniquement par sa « muséographie désuète ». Il confirme la création d’une Galerie des Trésors, l’ouverture de la salle de Luynes et se montre particulièrement peu précis pour le devenir de la salle des Colonnes, le Salon d’Angle étant simplement passé sous silence.

[512/9/22 : Le site a depuis disparu, nous mettons le lien vers sa sauvegarde sur Webarchives.

[6Réponse donnée sur l’Intranet de la Bnf

[7On sait seulement qu’elle veut en faire une salle de consultation tout public. Mais la BnF, à l’exception des aménagements de haut-de-jardin de Tolbiac, n’a pas vocation à recevoir le grand public dans ses espaces de lecture. Il s’agit d’une bibliothèque de recherche, réservée aux chercheurs.

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