Mesdames et messieurs les parlementaires, et si vous vous penchiez vraiment sur le financement du patrimoine !

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Hémicycle de l’Assemblée Nationale (en 2009)
Photo : Richard Ying et Tangui Morlier (CC BY-SA 3.0)
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L’Assemblée Nationale vient donc de rétablir la taxation appliquée au loto du patrimoine dont le Sénat avait voté la suppression, provoquant une fois de plus la colère justifiée de Stéphane Bern qui se bat depuis de longs mois pour pérenniser cette source supplémentaire de financement du patrimoine. Le prétexte invoqué par les députés est court : « Cette exonération totale est excessive et créé un précédent inopportun en matière de jeux de hasard ».

Remarquons que cela ne met pas en cause le déblocage pour 2018 des 21 millions qui viendront s’ajouter au montant obtenu grâce au loto patrimoine de cette année (voir la brève du 21/10/18), mais que cela s’appliquera en 2019 pour la prochaine édition du loto patrimoine. Inutile de dire que cela ne va pas encourager les joueurs occasionnels nombreux à avoir participé pour transformer cette première édition en réussite.
Mais sans doute faut-il prendre les parlementaires à leur propre jeu. Ils ne veulent pas d’exonération ? Il ne veulent pas créer une situation d’exception ? Très bien. Qu’ils instaurent alors, comme pour le sport, une taxe de 1,8% sur les recettes de la Française des Jeux ! Car en jouant pour le patrimoine, il faut savoir comme nous l’avions déjà signalé (voir ce précédent éditorial), que les joueurs financent aussi le sport, comme pour chaque tirage du loto, ou chaque jeu d’argent organisé par la Française des Jeux.

Ces 1,8% pourraient être récupérés sur l’argent redonné aux joueurs via les lots gagnants. Faisons un calcul simple (avec les chiffres de 2016 dont nous disposons) : les recettes totales de la FDJ étaient de 14,3 milliards d’euros, sur lesquels 9,6 milliards étaient reversés aux joueurs. 1,8% de 14,3 milliards représentent 257,4 millions d’euros qui pourraient être affectés au patrimoine (presque autant que le budget actuel dédié aux monuments historiques, soit 300 millions [1]). Si ce montant était prélevé sur les gains des joueurs, cela signifie qu’au lieu de leur reverser 9,6 milliards, on ne leur donnerait plus que 9,343 milliards ! Soit 2,7% en moins pour les gagnants. Cela serait-il, réellement, de nature à menacer les jeux de hasard ? Évidemment non. Et encore moins de provoquer une révolte populaire.

Allons plus loin : une autre piste prometteuse, comme nous l’avons déjà écrit (voir cette brève), serait l’augmentation de 0,50 € par nuitée de la taxe de séjour. Soit une taxe qui toucherait de manière dérisoire (3,50 € pour un séjour en hôtel d’une semaine !) les touristes, français ou étrangers. Cette taxe une nouvelle fois indolore et juste (les touristes visitent, pour une grande majorité, les monuments historiques ou les musées qui pourraient bénéficier de cette manne) rapporterait, sur une base annuelle de 429 millions de nuitées, 215 millions d’euros supplémentaires. Cela serait-il, réellement, de nature à menacer l’industrie du tourisme ? Évidemment non. Et encore moins de provoquer une révolte populaire.

Inutile de se battre, donc, pour l’exonération des taxes sur un loto patrimoine par an qui, lui, resterait l’exception et une mauvaise raison pour refuser de s’attaquer vraiment au problème. Le Parlement pourrait permettre - « sans créer de précédent inopportun » (ni de révolte populaire) - trouver chaque année 472 millions d’euros supplémentaires pour le patrimoine, auquel on pourrait ajouter les musées et plus généralement toute la mission patrimoine du ministère de la Culture, qui bénéficie, si l’on ose dire, au total de 9% seulement de son budget, soit 900 millions annuels (en gros, 300 millions pour les monuments historiques, 300 millions pour les musées, et 300 millions pour le reste, c’est-à-dire notamment les archives, l’archéologie, les bibliothèques…). Et donc, un budget augmenté de plus de 50% par an pour le patrimoine pris dans son acception la plus large ce qui résoudrait à peu près tous les problèmes actuels. Chiche ?

Didier Rykner

Notes

[1Ce chiffre est ce qui est effectivement consacré chaque année aux monuments historiques, bien inférieur aux autorisations d’engagement et aux crédits de paiement qui ne correspondent jamais au budget mis en œuvre (voir cet article).

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