Menaces sur le château de La Barben (6/13) : des subventions qui posent question

Le château de La Barben en juin 2019
Photo : La Tribune de l’Art
Voir l´image dans sa page

L’affaire du château de La Barben est si complexe, et englobe tellement de sujets, que nous publions ici un article qui ne faisait pas, à l’origine, partie du plan de notre enquête, mais qui s’est bien vite imposé à nous [1]. Les subventions accordées par la région PACA et par le département des Bouches-du-Rhône au projet Rocher Mistral dans le château de La Barben posent en effet un certain nombre de questions que nous aimerions lister ici, faute d’avoir pu obtenir des réponses des principaux concernés : Renaud Muselier le président de région, et Martine Vassal, présidente du conseil départemental. Nous reprendrons ensuite le cours de notre visite du château de La Barben tel qu’il se présente aujourd’hui.

Subventions de la région PACA

Notre analyse se base sur les documents en notre possession, que l’on trouve d’ailleurs sur le site de la région. Le premier est la convention passée par celle-ci et la société Rocher Mistral. Le second est le résultat de la délibération du 17 décembre 2020 qui approuve cette convention et autorise le président à la signer [2].
On lit dans la convention que le projet subventionné, « création et développement d’un parc à thème Rocher Mistral au Château de la Barben en Provence », consiste en :

 la création de deux spectacles de déambulation à l’intérieur du château restauré : la révolte des Cascavéous et Forbin,
 l’animation d’espaces dans l’enceinte des remparts (jardins à la française,…) : videomapping immersif en Provence,
 la création d’un grand spectacle en soirée les weekends d’été sur les pas de Frédéric Mistral, Marcel Pagnol, Alphonse Daudet et Jean Giono,
 la création d’un grand spectacle diurne sur Napoléon et les Cent Jours,
 l’ouverture de restaurants en collaboration avec des chefs provençaux,
 la reconstitution d’un village provençal au XIXe siècle qui accueillera un condensé de l’art et de l’artisanat provençal.

Pour ce programme, la Région attribue donc une subvention de 3 350 000 € pour un montant subventionnable de 19 525 336 €HT.

De cette somme, il est indiqué que 70 % seront versés à la notification de la convention. Il semble donc que 2 345 000 € auraient déjà été versés par la région à Rocher Mistral, mais Renaud Muselier n’a pas répondu à notre question à ce sujet, pas davantage qu’aux autres.

Le projet subventionné à cette hauteur par la Région correspond à ce que la DRAC, dans un document envoyé par la préfecture, sépare en trois projets : la restauration et l’aménagement du château, la création d’un parc de loisirs et la construction d’une zone commerciale autour de la reproduction d’un village provençal. Si la restauration du château a fait l’objet d’autorisations pour la toiture, les terrasses et les écuries, aucun des autres travaux exécutés dans le château - notamment les travaux lourds réalisés dans les « souterrains » - n’a été autorisé. Quant à la création du parc de loisir et la construction d’une zone commerciale, elles n’ont pas été non plus autorisées.

Aux 3 350 000 € de subvention au parc d’attraction, la Région ajoute une subvention de 350 000 € pour le « projet agroécologique du Rocher Mistral [3] ».
Décrit sur le site de Rocher Mistral cela consiste à « développer un projet environnemental et agricole de protection de la biodiversité et de préservation des savoir-faire des paysans provençaux ». Il compte pour cela lancer une activité agricole, en plantant notamment 8 hectares de vigne.

Mais cette activité agricole (au moins pour la partie vignes) n’est pas davantage autorisée que l’installation d’un parc d’attraction. Le village de La Barben ne dispose pas d’un Plan Local d’Urbanisme, c’est donc le Règlement National d’Urbanisme qui s’applique, et qui reprend les zones naturelles de l’ancien Plan d’Occupation des Sols. Or, et cela apparaît très clairement dans la réponse de la mairie à qui nous avons posé la question : la zone concernée est entièrement naturelle [4] et elle ne peut être cultivée. Rappelons également que ce territoire est classé zone Natura 2000.
[Addendum (1/10/21) : remarquons toutefois que le préfet des Bouches-du-Rhône a, malgré le classement en zone D1, néanmoins autorisé le défrichement d’un bois d’une superficie de 4 900 m2 (soit pratiquement un demi-hectare) en vue de la création de parcelles viticoles, une opération présentant un « caractère expérimental ». Nous avions questionné le préfet en soulignant l’impossibilité d’une exploitation agricole, et celui-ci, dans la réponse qu’il nous avait faite, n’avait pas démenti. Il reste qu’une autorisation d’une expérimentation sur un demi-hectare ne permet pas la plantation de 8 hectares.]

La question posée à Renaud Muselier, qui n’a pas daigné y répondre, est donc celle-ci : comment la Région PACA a-t-elle pu accepter d’accorder des subventions d’un tel montant à des projets qui sont manifestement irréguliers [5] ?

Subventions du département

Le 23 octobre 2020, le conseil départemental des Bouches-du-Rhône a voté une subvention de 2 290 150 € au profit de la société Rocher Mistral dans le cadre des attributions du département s’agissant de l’aide à la conservation des monuments historiques classés ou inscrits. Un crédit de paiement pour 2020 a été voté pour la somme de 1 200 000 €, ce qui signifie que cet argent a déjà été versé, tandis que le solde de 1 090 150 devait être versé en 2021 [6].

Les seuls travaux autorisés sur ce monument historique menés jusqu’à présent concernent le château et les écuries [7] (nous ne parlons pas ici, bien entendu, des travaux non autorisés).

Le montant subventionnable des travaux autorisés sur le château et les écuries est au total de 2 035 784,51 € et la subvention du département est égale à 40 % de cette somme, soit 814 313,80 € [8]. Ces travaux de restauration ont eu pour objectif premier de transformer les écuries en restaurant.

Or, les règles du département des Bouches-du-Rhône sont claires (voir le document) : le taux de subvention accordé pour les travaux classés monuments historiques est de « 25 % maximum », sauf pour les travaux d’urgence qui semblent ici très peu importants, concernant manifestement seulement quelques travaux en façade [9] pour lesquels la subvention peut se monter à 33 %.

Ajoutons que les travaux de restauration de l’écurie ont surtout eu pour objectif de la transformer en restaurant.

Les questions posées à Martine Vassal, qui n’a pas cru bon d’y répondre, sont donc :

 Pourquoi le département a-t-il accordé des subventions de 40 % au projet Rocher Mistral alors que le taux maximal est 25 %, et au mieux 33 % [10] ?
 À quoi correspond la différence entre les 1 200 000 € versés et les 814 313,80 € dépensés [11] ?
 La subvention accordée aux écuries au titre de la restauration d’un monument historique correspond-elle en partie à des travaux liés à la création d’un restaurant, ce qui semblerait discutable ?

Le département des Bouches-du-Rhône et la région PACA apportent donc un soutien considérable, près de 6 millions d’euros, à un projet privé dont nous avons déjà montré à quel point il est choquant (et sur lequel nous avons encore beaucoup de choses à publier). Que ces subventions publiques puissent être en outre mises en cause dans leur régularité devrait amener les responsables, c’est-à-dire Renaud Muselier et Martine Vassal, à se justifier. Ils préfèrent ne pas répondre à nos questions. Ils ont toujours le loisir de le faire après la publication de cet article : nous publierons avec intérêt leurs explications.

Didier Rykner

Notes

[1Il n’est pas impossible, du coup, que le nombre d’articles de notre enquête soit supérieur à 13...

[2Nous joignons également les documents à cet article au cas où les liens ne fonctionneraient plus (convention et délibération).

[3Cette subvention est attribuée à la SCEA du Château de la Barben.

[4Il s’agit d’une zone ND1, c’est-à-dire intégralement protégée. Les seules constructions qui y sont admises sont : les constructions et installations strictement nécessaires à l’entretien des exploitations et domaines, ainsi qu’à la protection et l’entretien du milieu naturel, à condition qu’elles n’entraînent aucune possibilité nouvelle de résidences ou d’activités, et les ouvrages techniques divers nécessaires au fonctionnement des services publics (source : règlement du POS de La Barben). Le potager et les zones prévues pour les parkings sont en zone NC, c’est-à-dire zone de richesses naturelles à protéger en raison notamment de la valeur agricole des terres.

[5La convention ne précise aucune condition suspensive qui conditionnerait le paiement des subventions à l’autorisation des projets par les autorités compétentes.

[6Nous ne savons pas s’il l’a déjà été, le département n’ayant pas répondu à nos questions.

[7Interrogée sur les travaux autorisés par la DRAC dont la mairie est informée, cette dernière nous a expliqué que ceux-ci concernaient : la restauration des toitures, la restauration des terrasses, des travaux d’urgence en façades, la reprise du complexe d’étanchéité des voûtes localisées sous la terrasse engazonnée surplombant le jardin à l’Est, la restauration de la façade sur jardin, des travaux sur la tour de poterne, les réseaux extérieurs et du sol de la rampe du château, et les écuries.

[8Dans le détail, le montant subventionnable des travaux sur le château est égal à 1 444 039,55, la subvention (40 %) est de 577 615,82 € ; le montant subventionnable des travaux sur les écuries est égal à 591 744,96,96 €, la subvention (40 %) est de 236 697,98 €.

[9Voir la note 6.

[10Marsactu, qui a déjà soulevé ce point dans un article publié hier, ajoute qu’« en remontant les délibérations votées au cours des cinq dernières années, [il] n’a pas retrouvé trace d’un projet de restauration privée qui ait pu bénéficier d’un tel taux de subvention ».

[11Soit 385 686,20 €.

Mots-clés

Documents joints

Vos commentaires

Afin de pouvoir débattre des article et lire les contributions des autres abonnés, vous devez vous abonner à La Tribune de l’Art. Les avantages et les conditions de cet abonnement, qui vous permettra par ailleurs de soutenir La Tribune de l’Art, sont décrits sur la page d’abonnement.

Si vous êtes déjà abonné, connectez-vous.