Menaces sur le château de La Barben (10/13) : La complicité des politiques

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1. Le château de La Barben
Photo : Didier Rykner
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Le 30 juin 2021, c’était la fête au château de La Barben, à l’occasion de l’ouverture au public du parc d’attraction de Rocher Mistral dont la vidéo peut être vue sur Youtube. L’assistance était nombreuse et les invités de marque. Qu’on en juge ! On trouvait parmi eux un membre du gouvernement, le secrétaire d’État au tourisme Jean-Baptiste Lemoyne, le président de la région PACA, Renaud Muselier et de nombreux élus municipaux, départementaux et régionaux, ainsi que des parlementaires dont nous n’avons pas le détail mais que saluait Jean-Baptiste Lemoyne dans le discours qu’il a prononcé à cette occasion. Si le préfet des Bouches-du-Rhône, qui est aussi celui de la région PACA, Christophe Mirmand, était absent, il était néanmoins représenté par le sous-préfet, Bruno Cassette. La présidente du conseil départemental des Bouches-du-Rhône était absente, mais ce n’était certes pas pour désapprouver un projet qu’elle soutient, comme on l’a vu, à hauteur près de 2,3 millions d’euros (voir l’article). On trouvait même dans cette auguste assemblée un évêque, celui de Fréjus Toulon, et l’armée représentée par le général Dominique Arbiol, directrice générale de l’École de l’air et commandant de la base aérienne 701 Salon-de-Provence, accompagnée de 140 militaires de l’Armée de l’Air et de l’Espace ainsi que de la Marine nationale ! Mieux encore : la patrouille de France, rien de moins, survola les lieux

Nous avons interrogé le ministère des Armées sur cette présence étrange de la patrouille de France et d’un général pour célébrer ce qui n’était pourtant qu’un événement privé : l’ouverture d’un parc d’attraction. Fallait-il payer pour obtenir ce privilège ? Ou pourquoi tant d’honneur ?
La réponse est terriblement drôle. Elle vint en fait en deux temps. La première, du service de presse de l’armée de l’air, fut pour expliquer la présence de la patrouille de France : « La Patrouille de France réalisait à la même date des démonstrations aériennes à l’occasion d’une "journée famille" sur la base aérienne de Salon-de-Provence. Ils ont profité de cette occasion pour survoler le rocher Mistral, afin de soutenir cette initiative locale ; ce passage était par conséquent gratuit. »
La seconde répondait à notre question sur la présence du général et émanait d’un autre service de communication du ministère, qui ne s’est manifestement pas concerté avec le premier. Car en voici l’explication : « Le général Arbiol était présent à l’inauguration du rocher mistral le 30/06 pour les raisons suivantes : 1/ Invitation des organisateurs ; 2/ Proximité géographique entre l’École de l’air et de l’espace et la commune de La Barben qui se trouve à quelques kilomètres ; 3/ La Patrouille de France a survolé le Rocher mistral (la PAF implantée sur le site, il est normal que le commandant de base y assiste également). »

Nous en déduisons donc que la patrouille de France qui faisait des démonstrations aériennes non loin de là a fait un détour, en voisin, pour saluer Rocher Mistral. On en conclut que le général commandant de la base où se trouve la patrouille de France a également fait un détour, en voisin ! L’histoire ne dit pas comment il s’est rendu aller et retour entre l’endroit où avait lieu les démonstrations aériennes et le château de La Barben.
Si tout cela n’est guère sérieux, il démontre que le soutien dont bénéficie ce projet est en réalité très important et à un très haut niveau.

2. Jean-Baptiste Lemoyne,
secrétaire d’État au tourisme
Photo : Bobbysano (CC BY-SA 4.0)
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Reprenons les différentes interventions en poursuivant par celle de Jean-Baptiste Lemoyne. Celui-ci a apporté non seulement son soutien propre, mais bien celui du gouvernement comme son discours ne le cache pas : « je suis fier que le gouvernement que j’ai l’honneur de représenter aujourd’hui salue et encourage ce projet ». Nous aurions aimé savoir si le ministère de la Culture, que le secrétaire d’État englobe forcément dans le soutien du gouvernement, soutient effectivement un projet qui met à mal le code du patrimoine et en est fier, mais malheureusement, pas davantage ce ministère que Jean-Baptiste Lemoyne n’ont accepté de nous répondre. Pour ce dernier, en tout cas, cette inauguration fut « un moment magique », rien de moins. « Rocher Mistral n’est pas un projet comme les autres » ajoute-t-il. Nous serions tenté d’ajouter heureusement, mais ce n’était évidemment pas le sens du discours du secrétaire d’État, tellement amphigourique et truffé d’erreurs historiques qu’il défie l’analyse et que celui de Renaud Muselier, qui l’a suivi, en a paru presque sobre. Il est vrai que ce dernier a prouvé son amour de Rocher Mistral par des espèces sonnantes et trébuchantes, pas moins de 3,7 millions d’euros de subventions comme nous l’avons détaillé ici.

Le soutien des politiques, le soutien de l’État, c’est aussi celui du sous-préfet Bruno Cassette. Alors que celui-ci ne pouvait ignorer toutes les irrégularités que nous avons décrites article après article, il a osé déclarer au quotidien La Provence du 17 juillet 2021 que « aujourd’hui Rocher Mistral a toutes les autorisations nécessaires », une déclaration dont évidemment les promoteurs du projet se sont immédiatement emparé : dans Le Monde du 23 juillet, Frédéric de Lanouvelle, le directeur adjoint du parc, affirme ainsi que la seule réponse qu’il souhaite faire à ses détracteurs « c’est que le sous-préfet dit que nous avons toutes les autorisations nécessaires ».
Bruno Cassette n’a pas donné suite à nos questions [1], mais le préfet nous a répondu que les propos du sous-préfet ne concernaient que les autorisations relatives à l’ouverture du site, à savoir l’aspect sécurité. Si tel était le cas, on se demande pourquoi celui-ci n’a pas apporté de démenti aux propos qui ont été rapportés, et pourquoi il n’a pas voulu répondre au Monde ni à La Tribune de l’Art en précisant sa pensée, à savoir qu’il n’avait jamais dit que le projet avait toutes les autorisations nécessaires autres que celles de sécurité.


3. Vue du potager vers le château le 31 mars 2019. Cette photo et la suivante, qui montre ce qu’est devenu le lieu, témoignent bien de la manière dont les abords du château, monument classé, ont été traités
Photo : La Tribune de l’Art
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4. Vue du potager vers le château
le 25 août 2021
Photo : Didier Rykner
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La position du préfet des Bouches-du-Rhône et de la région, Christophe Mirmand, est plus nuancée que celle du sous-préfet. Il est d’abord, et nous le remercions pour cela, le seul à avoir répondu à nos questions. Il reste que sa position est ambiguë. Certes, il affirme que les services de l’État veillent au respect des règles « sans complaisance » et qu’ils ne feront pas preuve d’une « quelconque mansuétude ». Mais il s’avère que les « nombreux contrôles » effectués depuis le démarrage du site ne démontrent pas vraiment ces bonnes intentions.
Le préfet reconnaît que ses services ont constaté des infractions au code du patrimoine et au code de l’urbanisme dont certaines ont fait l’objet de procès-verbaux transmis au procureur (ill. 3 et 4). Mais plusieurs travaux qui n’ont pas été autorisés, notamment ceux effectués dans le château pour l’installation des attractions de la révolte des Cascavèus et de Forbin, ou dans le jardin, ne semblent pas avoir fait l’objet de PV qui n’ont donc pas été transmis au procureur (voir ce document). Pourquoi cette « mansuétude » ?

Pourquoi, par ailleurs, le préfet considère-t-il que « certaines des infractions constatées sont susceptibles d’être régularisées » et que « d’autres nécessitent de disposer du projet d’aménagement global et définitif pour pouvoir statuer » ? Régulariser des infractions, n’est-ce pas faire preuve de « mansuétude », voire de « complaisance », surtout quand ces infractions sont aussi graves que celles que nous avons pu constater dans nos différents articles ?

Pourquoi les services de l’État n’ont-ils pas dressé de PV pour les aménagements dans les souterrains du château qui, outre les dégâts causés au monument (code du patrimoine), ont perturbé une espèces protégée de chauves-souris (code de l’environnement) ? Sur ce point, Christophe Mirmand nous répond que la DREAL [2] « avait dès l’automne 2020 [...] indiqué au porteur de projet la nécessité d’obtention d’une dérogation à l’interdiction de destruction ou de perturbation de ces espèces ou pour les déplacer ». Pourquoi les travaux menés en l’absence de dérogation n’ont-ils pas abouti à un PV transmis au procureur ?
Le préfet ajoute que grâce aux poursuites menées par un certain nombre d’associations « le juge sera ainsi en situation de déterminer l’importance et la portée de ces infractions ». N’est-il pas choquant que l’État se repose sur des associations pour faire le travail qu’il serait de son devoir de faire lui-même ?

Nous nous garderons néanmoins de jeter la pierre au préfet qui reste soumis aux directives gouvernementales. Sa position n’est pas simple quand un secrétaire d’État ose se déplacer pour assurer que le gouvernement « saluait et encourageait » le projet... Il est donc légitime de s’inquiéter de la suite des travaux dont nous parlerons dans le prochain article : qu’ils aient été retoqués une première fois signifie-t-il qu’ils le seront une seconde, pour un projet que le gouvernement « salue et encourage » ? Et comment être sûr que le chantier ne commencera pas sans autorisation puisque cela semble être la façon de procéder à La Barben ?

Fort heureusement, quelques signaux font espérer que le soutien des élus au projet commence à flancher. Le journal en ligne Gomet’ a en effet révélé dans un article paru le 6 octobre - confirmant des bruits qui nous avaient déjà été rapportés - que le soutien de Renaud Muselier commence à flancher et que les 3 millions de subvention (dont on apprend que rien n’a encore été versé) pourraient finalement être annulés. Le président de la région - dont nous rappelons qu’il a toujours refusé de nous répondre - a déclaré à Gomet’ : « J’ai toujours été clair sur le sujet. S’il s’avère qu’il y a un manquement à la loi, nous retirons notre soutien »... L’article nous apprend également que « selon plusieurs sources la gendarmerie aurait elle-même ouvert une enquête sur l’irrégularité des travaux entrepris par la SAS Rocher Mistral ». Incontestablement, des vents contraires soufflent sur le Rocher Mistral. Mais ce sont des vents favorables pour le château de La Barben.

Didier Rykner

P.-S.

Nous avions interrogé le préfet à propos des travaux menés sans autorisation sur les souterrains du château, qui ont manifestement entrainé des dégâts sur un monument classé. Nous avons reçu en fin d’après-midi une réponse que nous n’avons pas vue avant de publier cet article. Nous y ajoutons donc cette réponse, particulièrement intéressante : « Concernant les travaux réalisés sans autorisation, des contrôles assortis de procès-verbaux de constatations d’infractions ont été réalisés par la DRAC et la DDTM, et transmis au Procureur de la République. Des plaintes ont également été déposées par des associations. Le Parquet a décidé de les instruire. L’instruction est en cours. Les services de l’Etat (DDTM, DRAC, DREAL, OFB) ont été réquisitionnés pour faire les constats qui se sont déroulés le 17 septembre dernier. A ce stade, ce sont les seules informations que nous pouvons communiquer puisqu’une enquête est en cours. »
Le 17 septembre, c’est après que nous avons reçu la première réponse du préfet, ce qui signifie donc qu’il s’agit de constats d’infractions qui se sont ajoutés à ceux qui nous avaient déjà été signalés, et que les choses commencent à bouger sérieusement.

Notes

[1Précision du 12/10/21 : en réalité, nous avons compris depuis que le préfet étant le chef de l’administration locale, les réponses du sous-préfet passent par son intermédiaire. Contrairement à ce que nous avions écrit, nous ne pouvons donc pas dire que le sous-préfet ne nous a pas répondu.

[2Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement.

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