Menaces sur la citadelle de Lille

Parmi tous les combats, tous les sièges que la grande citadelle de Lille, construite à partir de 1667 par le jeune Vauban sur ordre de Louis XIV, a eu à subir, celui-ci qui se déroule sous nos yeux depuis 2002 n’est sans doute pas le moins dangereux.

Rappelons-en les ingrédients. En 1975, la mairie de Lille, sous le mandat de Pierre Mauroy, construit illégalement sur les glacis de la citadelle un stade de 20.000 places (« Grimonprez-Jooris »), d’une laideur un peu bête. Ce stade vient abîmer un site pourtant protégé par la loi de 1913, puisque la citadelle est classée parmi les Monuments historiques depuis longtemps.

On connaît le succès actuel du football, et l’investissement que, bien légitimement, les grandes municipalités font dans « leurs clubs ». Lille n’échappe pas à cette logique, et dès 1999, il a été entendu que la mairie pousserait à la réalisation d’un équipement public plus important (33.000 places). Où ? Parmi les différentes solutions envisagées, c’est comme par malchance la plus mauvaise qui a été retenue par la nouvelle municipalité élue en 2001 : le stade de 1975, dont les fondations seraient ainsi remployées, et dont la hauteur serait portée à 30 mètres (contre 9 aux ouvrages de Vauban).

A cette fin, le projet mis au point par un cabinet d’architectes lyonnais, L’atelier de la Rize, a dû être soumis au ministère de la Culture, en raison de la proximité du monument classé. La Commission supérieure des Monuments historiques, par 26 voix contre et 6 pour, a repoussé ce projet (séance du 2 septembre 2002). On sait qu’elle n’est que consultative et conseille le ministre dans les dossiers patrimoniaux. Ceux qui se réjouissaient de voir la procédure, violée en 1975, respectée trente ans plus tard, en furent pour leur frais : le ministre de la Culture, alors J.-J. Aillagon, délivra contre toute attente l’autorisation de construire (21 mars 2003).

Devant cette défaillance scandaleuse de l’Etat, qui ne suscita que de rares réactions dans la presse [1], il ne restait que la société civile pour lutter contre la dénaturation d’un site admirable, tant sur le plan bâti que paysager. Le permis de construire délivré par la mairie de Lille en juin 2003 a donc été attaqué par deux associations, la « Renaissance du vieux Lille », et surtout l’association « Sauvons la citadelle de Lille » créée ad hoc, et présidée par l’énergique M. Courmont. A l’audience du Tribunal administratif le 1er juillet 2004, le commissaire du Gouvernement a demandé l’annulation du permis, en pointant plusieurs irrégularités dont un problème grave de sécurité du public. Si le jugement a été remis à la rentrée, les mêmes associations ont obtenu le 8 juillet suivant un référé suspension (nouveau nom du sursis à exécution) qui interdit de commencer les travaux lourds pendant l’été. Belle preuve que la volonté et la ténacité payent, mais aussi que la justice administrative tend à devenir le lieu où se vident de plus en plus souvent les querelles patrimoniales.

Mais comment ne pas voir que, dans cette affaire, beaucoup d’énergies et d’argent auront été dépensés pour un mauvais projet parce que, comme trop souvent, le ministère de la Culture, pourtant armé juridiquement et peuplé de fonctionnaires consciencieux, n’a pas fait son travail au moment crucial.
Les ministres passent, peut-on espérer que les erreurs ne restent pas ?

Voir brève du 16/12/2004 : Le tribunal administratif autorise la construction du stade de Lille sur la Citadelle de Vauban

Vos commentaires

Afin de pouvoir débattre des article et lire les contributions des autres abonnés, vous devez vous abonner à La Tribune de l’Art. Les avantages et les conditions de cet abonnement, qui vous permettra par ailleurs de soutenir La Tribune de l’Art, sont décrits sur la page d’abonnement.

Si vous êtes déjà abonné, connectez-vous.