Louvre : roulées, transportées à 600 m, pour 25 000 € !

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En temps normal, dans une maison bien tenue, ce ne serait qu’un tout petit scandale qui ne mériterait pas forcément un article à lui seul. Mais il s’agit du Louvre, une fois de plus, et ce scandale s’ajoute au précédent, qui sera augmenté du suivant, formant une longue litanie de faits qui n’importe où ailleurs auraient pour conséquence le départ des responsables. Mais pas au Louvre qui manifestement bénéficie d’une espèce de certificat d’immunité…


1. Edmond Guillaume (1826-1894)
Le Testament d’Auguste : texte des Res Gestae
Huile sur toile - 400 x 898 cm
Paris, Musée du Louvre
(actuellement dans les réserves de Lens, bientôt dans celles de Liévin)
Photo : RMN-GP/S. Maréchalle
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L’histoire commence donc, plutôt bien, il y a quelques années. Dans l’interview qu’il nous avait accordée alors, Jean-Luc Martinez nous en avait parlé : on avait retrouvé de grands tableaux d’Edmond Guillaume représentant les relevés des Res Gestae d’Auguste du temple d’Ankara en Turquie (ill. 1). Ces œuvres avaient été présentées au Palais de l’Industrie en 1862, leur importance sur le plan archéologique semble majeur et le président-directeur du Louvre se félicitait, à raison, d’avoir pu les exhumer. Trois de ces tableaux (sur quatre) avaient même été montrés à l’exposition consacrée à l’Empereur Auguste.

Depuis, ces toiles étaient conservées dans les « réserves » du Louvre Lens, en réalité de fausses réserves visitables destinées à montrer au public le rôle d’un tel lieu (ill. 2). Mais le Louvre a un projet pour ces « réserves » qui doivent devenir un lieu d’exposition affecté au service de l’Histoire du Louvre. Ce projet nécessite le départ des grandes toiles de Guillaume, qui seront donc roulées, et transportées… 600 mètres plus loin, dans les réserves de Liévin. Le Louvre va donc payer des journées de restaurateur, d’énormes cylindres destinés à recevoir ces œuvres, en leur faisant courir tous les risques inhérents à une telle opération, qui n’est jamais anodine, juste pour les déplacer de 600 mètres. Et cette décision prise, cela doit avoir lieu tout de suite, sans attendre, comme si c’était urgent, sans aucun sens des priorisations, alors que la crise sanitaire coûte chaque semaine au musée des sommes considérables. L’opération est prévue pour cette année, le prix du roulage et du conditionnement des tableaux se montant à 25 000 euros.


2. Réserves visitables du Musée du Louvre-Lens
Photo : Didier Rykner
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Interrogé, le Louvre nous a fait une réponse très complète que nous reproduisons ici intégralement :

« Les collections nationales, qu’elles soient présentées dans les salles d’un musée ou conservées dans des réserves, doivent pouvoir circuler pour être montrées. Ces rotations ont évidemment un coût mais contribuent à une meilleure connaissance des collections. Après leur redécouverte grâce à l’exposition Auguste dont le commissariat fut mené par le département des Antiquités grecques, étrusques et romaines du musée du Louvre, ces trois toiles ont pu être mises en valeur dans les réserves visitables du Louvre-Lens pendant 7 ans. Compte tenu de leur grande dimension, elles n’avaient cependant pu être présentées dans leur sens de lecture.

Désormais, c’est au tour des collections de l’histoire du Louvre d’être présentées dans cet espace. Ainsi, à partir de la réouverture du Louvre-Lens, des éléments lapidaires du château des Tuileries, des sculptures des décors du palais du Louvre, des objets de fouilles... pourront être montrés au visiteurs, autant d’éléments qui demeuraient non visibles pour le public depuis des décennies. Cette valorisation de parties jusqu’ici peu connues est le fruit d’un travail d’étude de plusieurs années.

Les toiles d’Edmond Guillaume, par leurs dimensions hors normes, doivent être roulées pour rejoindre le centre de conservation du Louvre à Liévin avant d’être remises sur châssis et accrochées sur tringles, cette fois dans le bon sens puisque le centre a été conçu pour recevoir des œuvres de grande dimension. La 4e toile actuellement entreposée dans une réserve externalisée et inaccessible depuis des années sera également acheminée à Liévin pour être accrochée à côté des trois premières. »

Outre que cela confirme toutes nos informations, il y a deux arguments donnés dans cette réponse. Le premier sur l’exposition d’objets relatifs à l’ancien Louvre : personne ne nous fera croire que ceux-ci ne pourraient pas prendre place dans le parcours, au Louvre même, consacré à l’histoire du palais, une histoire si mal traitée depuis la réouverture des salles du Pavillon de l’Horloge (voir l’article). Quant au second, l’argument que ces toiles seront accrochées « dans le bon sens », ce qui serait donc - on comprend que c’est sous-entendu - un progrès pour le public, il est risible : rappelons que les réserves de Liévin ne sont pas visitables...


3. Salle dite d’actualité du musée au deuxième étage du Pavillon de l’Horloge
Photo : Didier Rykner
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4. Ancienne salle de la chapelle du Louvre, au premier étage du Pavillon de l’Horloge, présentant aujourd’hui « seize œuvres, ambassadrices des différents départements » (sic)
Photo : Didier Rykner
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On aurait donc pu envisager la solution suivante : réaménager les salles en sous-sol de la cour carrée (dans le donjon, et autour), au premier étage (ill. 3) et au second étage (ill. 4) du pavillon de l’Horloge pour en faire un véritable parcours consacré à l’histoire du Louvre. Telles qu’elles ont été ouvertes, en 2016, elles constituent en effet un échec cinglant et connu de tous : le passage dans ces salles était même rendu obligatoire pour les guides qui ne voulaient pas y amener leurs clients… Les objets prévus pour les réserves de Lens et ceux qui ont disparu depuis que les salles d’histoire du Louvre ont été refaites (par exemple les esquisses des décors peints) pourraient ainsi être présentés de manière décente. Quant aux grandes toiles d’Edmond Guillaume, soit elles restaient dans les réserves visitables de Lens, soit on les rapatriait à Paris pour les exposer (sous réserve que cela soit possible) sur des murs des salles des Antiquités grecques et romaines.

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