Louvre : Jean-Luc Martinez poursuit sa contre-offensive médiatique !

Le titre de l’interview de Jean-Luc Martinez dans Paris Match du 11 mars 2021
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La rédaction de Paris Match se déclare « choquée » par un éditorial paru dans le numéro d’aujourd’hui 11 mars 2021 et défendant Nicolas Sarkozy, et elle a certainement raison. Il est néanmoins regrettable qu’elle ne se scandalise pas aussi d’une interview de Jean-Luc Martinez publiée dans ce même numéro. Car au niveau de la complaisance, on atteint un sommet, les questions n’étant là que pour appuyer le directeur du Louvre. Il est vraiment dommage qu’aucun travail d’enquête n’ait été entrepris : cela aurait peut-être permis d’évoquer les vrais problèmes, innombrables, et de ne pas se contenter de réponses de propagande.

L’introduction à elle seule est un petit chef-d’œuvre puisqu’on peut y lire, à propos de son éventuel renouvellement : « Inévitablement, comme toujours, les insinuations malveillantes fleurissent - en particulier à propos de l’achat controversé d’une fresque très abîmée de Tiepolo. Mais le bilan de Martinez était excellent jusqu’à l’épidémie de Covid, qui a bien entendu mis l’institution en jachère. Sa renommée était à son zénith, sa situation financière irréprochable, tout comme les relations humaines souvent délicates dans ces milieux aussi susceptibles qu’érudits. » Des critiques légitimes deviennent donc ainsi des « insinuations malveillantes ». Nous renvoyons aux dizaines d’articles que nous avons écrits depuis des années, documentés, étayés, et aux articles de Mediapart et du Canard, non moins documentés et étayés, pour que le lecteur puisse se faire sa propre idée sur cette question.

Nous ne parlerons pas ici des fanfaronnades du président-directeur, qui sans rire affirme, pour justifier que son renouvellement est nécessaire, qu’il est « la bonne personne pour gérer la situation humaine et financière très particulière liée au Covid », qu’il doit être renommé parce que « le Louvre doit être le moteur de la reconquête des territoires français et de la cohésion nationale » (quel rapport entre les deux ? Paris Match n’a pas cru nécessaire de poser la question), ou que « en tant qu’archéologue » il serait « le mieux armé pour répondre à la question de la provenance des œuvres qui prend de plus en plus d’importance ». Un peu plus loin, Jean-Luc Martinez ose même cette phrase : «  je pense que je suis le mieux armé pour réarmer intellectuellement la France  ». Ces affirmations sont si grotesques qu’il ne sert à rien de les commenter davantage. On peut - on doit - en revanche examiner ses autres déclarations, soit fausses, soit qui contredisent ce qu’il dit ailleurs.

C’est ainsi qu’à la question sur les conséquences de la crise du Covid « le plus beau musée du monde est-il un vieux souvenir ? », celui-ci répond « on voit bien que cette crise sanitaire remet en cause le modèle économique du Louvre, fondé sur le tourisme de masse : on va passer d’un Louvre au budget de 240 millions d’euros avec 2300 salariés à un cycle déflationniste ». Heureusement, il ajoute avec modestie : « il y a des solutions, je suis en train de les inventer » ! Quel dirigeant ! On se demande alors pourquoi, dans ses vœux vidéo au personnel du Louvre, celui-ci expliquait avec non moins de sérieux : « Je ne suis pas de ceux qui pensent que le monde d’après sera radicalement différent de ce que nous avons connu […] et bientôt le public reviendra nombreux dans notre musée ». Donc deux discours totalement différents…

Un peu plus loin, Jean-Luc Martinez se targue aussi, comme on le lisait dans Le Figaro, d’avoir rajeuni le public : « Aujourd’hui notre réussite, c’est que le public est jeune. On a une majorité de moins de 30 ans parmi les visiteurs ». Or, comme nous l’avons déjà fait remarquer (voir l’article), c’était déjà le cas en 2013, soit l’année précédant son arrivée à la tête du Louvre. Dommage que les journalistes de Paris Match ou du Figaro n’aient pas pensé à vérifier cette information…

Quand il aborde les réserves de Liévin, là encore, Jean-Luc Martinez emploie des arguments ahurissants : « Au moment où je vous parle, les collections du Louvre ne sont plus à Paris dans leur grande majorité. C’est un geste de l’État pour dire qu’elles appartiennent à tous les Français ». Ainsi, non seulement Jean-Luc Martinez se réjouit d’avoir dépouillé le Louvre de la « grande majorité » de ses œuvres, mais il ose prétendre qu’ainsi il les rapprocherait des Français, alors qu’à Liévin elles ne seront visibles de personne (ces réserves sont fermées pour les « Français ») et bien moins faciles d’accès pour les spécialistes qui ont besoin de les voir, y compris pour les conservateurs du Louvre.

Jean-Luc Martinez paraît parfois complètement hors sol, par exemple lorsqu’il s’interroge sur les grandes expositions. « Est-il pertinent de faire voyager des œuvres ? » s’interroge-t-il, pour laisser comprendre que la réponse est négative. Il vient pourtant d’inaugurer des réserves à 200 km du musée qui vont impliquer un déplacement incessant des œuvres ! Et il vient de transporter à Liévin plusieurs très grands formats qui étaient exposés au Louvre et pas du tout menacés par une éventuelle crue (voir l’article). Comment peut-on dire, comme il le fait, que « 450 toiles de Boucher au Grand Palais, ça, c’est définitivement fini ». Quand a-t-on jamais organisé au Grand Palais (ou ailleurs même) une exposition avec 450 toiles ? La rétrospective Boucher de 1986-1987 en montrait moins de 90 !

Un peu plus loin, il tente de répondre à la polémique autour du plafond de Cy Twombly dans la salle des bronzes grecs (voir l’article). Là encore, Jean-Luc Martinez raconte n’importe quoi, et là encore, évidemment, les journalistes ne réagissent pas. Il « remarque » d’abord « que cette querelle apparaît au moment où [il] sollicite le renouvellement de [s]on mandat », comme si la Fondation Twombly avait un quelconque intérêt à intriguer pour son remplacement. On est là en pleine théorie du complot ! Il prétend ensuite que « les travaux de rénovation des appartements du roi sont pourtant prévus depuis 2008, quand nous envisagions d’y installer des collections d’art étrusque ». Nous passerons sur le ridicule qu’il y a à appeler ces salles les « appartements du roi », quand toute trace de la royauté (ou presque) a disparu depuis plus de deux siècles (faut-il lui rappeler que le Louvre est devenu un musée ?). Mais à qui fera-t-il croire que ces travaux seraient prévus depuis 2008 dans la salle des bronzes alors que le Louvre a commandé à Cy Twombly le plafond, en relation avec les artistes grecs - et non étrusques - en 2010 ? La chronologie ne fonctionne pas, et c’est ennuyeux pour quelqu’un qui passe son temps à mettre en avant sa formation d’archéologue…

Jean-Luc Martinez conclut cette interview par « ce troisième mandat, s’il m’est confié, sera mon dernier, car j’estime qu’il est sain qu’il y ait un terme ». Oui, il serait sain qu’il y ait un terme à son mandat de directeur. Mais tout le monde ou presque au Louvre espère que ce sera très bientôt.

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