Louvre : beaucoup de buis pour rien

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Les visiteurs du site internet de l’Hôtel Drouot ont eu la surprise, quelques jours avant le mercredi 10 février, de découvrir que le Louvre vendait en quatorze lots le buis en provenance du Jardin de l’Infante, qui se trouve au sud de la cour Carrée, le long du quai (ill. 1). Une vente très étonnante, notamment parce que le buis est une plante menacée, et que lorsqu’on a la chance d’en avoir des plants en bonne santé dans un jardin historique, la logique veut qu’on les soigne et qu’on les préserve, plutôt que les enlever. Chaque lot était ainsi désigné : « Lot de 60 à 70 buis Sempervirens d’une hauteur de 60cm à 80cm représentant un carré de leur disposition actuelle dans le jardin. Un carré mesure 4,70m à 4,80m de large et correspond à environ 16,5 mètres linéaires. Les buis sont vendus en l’état, dans un très bon état de conservation. » Chacun d’entre eux s’est vendu seulement entre 900 et 1200 euros…


1. L’annonce de la vente d’un des lots de buis sur le site de la Gazette Drouot
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Nous avons donc interrogé le Louvre pour connaître la raison de cette curieuse pratique. La réponse est la suivante : « Les buis du jardin de l’Infante sont retirés car les chantiers de rénovation du Palais nécessitent l’installation de bases vie dans ce périmètre. Ces buis sont en bon état. La moitié d’entre eux sont immédiatement replantés sur le Domaine du Louvre et des Tuileries. L’autre moitié est vendue aux enchères par la Direction Nationale d’Interventions Domaniales (DNID) afin de donner une deuxième vie à ces végétaux. Le produit de la vente couvre pour partie les frais d’une dépose soignée en vue d’une replantation. Le jardin de l’Infante sera intégralement restauré à l’issue des travaux. »
Nous avions aussi posé une question sur le rapport entre ces travaux et la volonté de Jean-Luc Martinez d’ouvrir le jardin de l’Infante aux visiteurs, à partir des salles des Antiquités Grecques et Romaines. Sur ce point, nous n’avons pas eu de réponse.


2. Vue aérienne Google Maps du jardin de l’Infante où l’on voit les 21 carrés de buis
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3. Le jardin de l’Infante (ou ce qu’il en reste) le 18 février 2021 : le buis était au fond, là où il n’y a plus que de la terre
Photo : Didier Rykner
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Tout cela mérite donc quelques remarques et des explications.
On nous écrit que la moitié a été vendue, et l’autre replantée sur le domaine. Mais il y a eu quatorze lots vendus, chacun correspondant à un carré, et une vue aérienne Google Maps (ill. 2) montre qu’il y avait vingt-et-une. C’est donc deux tiers des buis qui ont été vendus, pas la moitié. Et la vente n’a même pas financé le coût de « la dépose soignée » ! Le jardin est aujourd’hui une vraie désolation (ill. 3).
Nous avons déjà écrit que les travaux prévus au département des Antiquités Grecques et Romaines, notamment dans les salles correspondant aux anciens appartements d’Anne d’Autriche, sont inutiles et coûteux. Une des conséquences induites, la construction d’une « base vie » [1] sur le Jardin de l’Infante et l’enlèvement des buis, ne l’est pas moins. D’ailleurs, la vue aérienne montre que le buis ne couvrait qu’un peu plus d’un quart du côté ouest du Jardin de l’Infante : pourquoi ne construit-on pas cette « base vie » là où cela n’aurait pas obligé à enlever les buis ?


4. Les baraquements dans les fossés de la colonnade et à droite les palissades cachant d’autres baraquements (18/2/21)
Photo : Didier Rykner
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5. Le parking sur l’esplanade devant la colonnade de Perrault, côté nord (18/2/21)
Photo : Didier Rykner
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Autre remarque : le Louvre aime les baraquements de chantier installés (temporairement bien sûr) autour de lui. Ainsi, des baraques sont en place depuis 2008 (treize ans !) dans les fossés de la colonnade de Perrault. Lorsque nous avions interrogé le musée à leur sujet, il nous a promis qu’ils disparaîtraient… en 2021. Elles sont toujours là (ill. 4) et il est peu probable qu’elles partent cette année, d’autant qu’elles ont depuis été occupées par divers services du Louvre. Mieux encore : l’esplanade devant la colonnade est désormais un parking (ill. 5), et elle aussi a des algecos dont on ne sait plus très bien à quoi ils servent, cachés derrière des palissades depuis au moins deux ans (ill. 6). À ces baraquements, il faut ajouter ceux qui se trouvent dans la partie est du jardin de l’Infante, de l’autre côté du passage reliant la cour Carrée au Pont des Arts, installés eux depuis au moins juillet 2019 (ill. 7), ainsi que ceux le long de la Grande Galerie, depuis au moins août 2020 (ill. 8) ! Le Louvre a une passion pour les baraques de chantier, mais un peu moins pour le buis.


6. Palissades cachant des baraquements sur l’esplanade devant la colonnade de Perrault, côté sud (18/2/21)
Photo : Didier Rykner
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7. Baraquements sur le côté est du Jardin de l’Infante (18/2/21)
Photo : Didier Rykner
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8. Baraquements le long de la Grande Galerie du Louvre (18/2/21)
Photo : Didier Rykner
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Parmi les travaux prévus pour les Antiquités grecques et romaines, en dehors de ceux que nous avions déjà décrits (voir l’article), on compte un autre chantier encore plus discutable. Il s’agit de rouvrir un passage pour les visiteurs du Louvre sur le Jardin de l’Infante, alors que celui-ci avait été supprim dans les années 1970 parce qu’il posait des problèmes évidents de sécurité. La nouvelle porte serait donc créée dans la salle de Diane (ill. 9), qu’on en profitera pour refaire alors qu’elle avait déjà été refaite… il y a deux ans, après avoir subi des infiltrations ! Et ne reculant devant aucune dépenses, Jean-Luc Martinez, qui aurait trouvé une aquarelle du XIXe siècle montrant des parements rouges sur les murs, voulait les faire recouvrir de marbre. Il a tout de même reculé devant le coût et il se contentera de les faire peindre en rouge.


9. Salle de Diane qui doit être refaite après deux ans
et percement d’une porte sur le Jardin de l’Infante
Photo : Didier Rykner
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Cette ouverture des salles sur le Jardin de l’Infante rencontre une vive opposition interne, pour des raisons évidentes de conservation et de sécurité. Mais, perché dans sa tour d’ivoire et entouré de son armée mexicaine (voir l’article), Jean-Luc Martinez n’écoute personne et entend bien diriger le Louvre selon son bon vouloir, apparaissant très sûr d’être bientôt renouvelé pour trois ans à son poste.

Didier Rykner

Notes

[1Rappelons qu’une base vie est un ensemble de baraquements où se trouvent les lieux nécessaires aux ouvriers : vestiaires, douches, salle de repos, cuisine... » En raison des nouvelles législations, ces bases vie se multiplient à Paris : place du Palais-Royal, place de la Bourse, etc.

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