Lille zone culturelle sinistrée (mais pas Guéret)

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1. « Carte des bassins de vie prioritaires en termes
d’équipements culturels
 » du ministère de la Culture
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Nous avons déjà commenté ici (voir l’article) le plan « Joconde etc. » (le ministère écrivant « etc » suivi de trois points…). Il manquait néanmoins une analyse de ces fameuses « zones blanches » dites aussi « bassins de vie prioritaires en termes d’équipements culturel », qui ont « moins d’un équipement culturel public pour 10 000 habitants » (ill. 1 et voir ici la liste des zones). Les résultats sont, c’est le moins que l’on puisse dire, étonnants.

Ainsi, Toulon, Marseille et Aix-en-Provence sont considérés comme des « zones blanches », selon ce critère. Qu’il y ait plein de musées dans cette région ne suffit pas car cela est ramené à la population totale, quand le seul critère pertinent, s’il fallait vraiment réaliser ce genre d’étude, serait bien sûr la distance à parcourir, et le temps de trajet. La Creuse en revanche, ou l’Ardèche, ou de nombreux départements ruraux où les musées sont rares comme les théâtres d’ailleurs, ou les autres équipements culturels « publics » (un équipement culturel privé n’ayant manifestement aucune pertinence pour le ministère de la Culture), ne sont donc pas des « bassins de vie prioritaires en termes d’équipements culturels ».
Plus drôle encore : Lille est une zone blanche culturelle pour le Ministère de la Culture. Lille, qui se trouve dans la région la plus riche en musées, qui possède un des plus grands musées des Beaux-Arts de France (ill. 2), qui est à une longueur de métro de la Piscine à Roubaix… Il est triste de voir que le Louvre-Lens, à trente minutes, n’aura pas réussi à désenclaver ce désert culturel qu’est Lille.

2. Palais des Beaux-Arts de Lille
situé dans une « zone blanche culturelle »
d’après le ministère de la Culture
Photo : Velvet (CC BY-SA 3.0)
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Ce critère de classement est évidemment absurde, qui voit l’Eure, département proche de Paris, décrété pour une grande partie « zone blanche » tandis qu’un autre département normand, plus éloigné, la Manche, doit se considérer comme privilégié. Dans tout le quart sud-ouest de la France, seules cinq zones sont concernées : Vic-Fezensac dans le Gers, Cap-Breton dans les Landes, Arès en Gironde, Verfeil en Haute-Garonne et Banyuls-sur-Mer dans les Pyrénées-Orientales. Particulièrement sinistrés apparaissent les départements du Loiret (Orléans, capitale d’un désert culturel), du Loir-et-Cher (dont Blois, ville d’art et d’histoire, avec son château incluant un musée des Beaux-Arts et un très grand nombre de monuments historiques), du Cher ou de la Nièvre.

Le seul énoncé de ces zones, retenues ou non dans celles qui feront l’objet d’une attention particulière du ministère de la Culture pour son « plan d’itinérance », suffit à comprendre l’absurdité de ce classement. Mais il faut surtout retenir comment le ministère de la Culture a traité jusqu’à présent certains de ces départements. Nous parlions dans notre précédent article de l’Eure. On pourrait aussi évoquer Aix-en-Provence où le service des Musées de France a depuis longtemps entériné la politique désastreuse du Musée Granet (voir nos articles). Plutôt que d’envoyer dans ces départements des « œuvres iconiques », ne serait-il pas plus malin d’utiliser les quelques millions d’euros par an prévus à soutenir les musées qui existent et qui sont souvent sans grand moyens : celui de Toulon, celui de Pithiviers, le Musée Maillol à Banyuls-sur-Mer ? Ne serait-il pas plus utile de permettre au Musée des Beaux-Arts de Blois de s’agrandir sur un étage entier comme il en a le projet depuis des années sans argent pour le concrétiser ?

Que signifie classer Châtillon-Coligny en zone blanche, quand cette ville possède un musée que l’on pourrait aider à se développer, plusieurs monuments historiques et alors qu’elle est à 21 km de Montargis, où va bientôt rouvrir le Musée Girodet, où l’on trouve trois autres petits musées, une médiathèque et un conservatoire de musique et de danse ? On pourrait rapprocher la politique voulue par le ministère de la Culture de celle menée depuis des années par les différents gouvernements, et particulièrement celui d’Emmanuel Macron, de suppression des liaisons SNCF qui a pour conséquence d’éloigner encore davantage certains habitants des équipements culturels situés dans d’autres villes proches mais inaccessibles en l’absence de voiture. Pithiviers est une zone « sinistrée » ? La ville est pourtant à une quarantaine seulement d’Orléans mais la ligne SNCF a fermé en 1969. Dombasle-sur-Meurthe, « zone blanche », n’est qu’entre 10 et 20 minutes en train de Nancy, ce qui permet facilement aux habitants de voir les nombreux musées de cette ville. Pour les spectacles en revanche, c’est plus compliqué puisque après 21 h 29 il est impossible de revenir à Dombasle. Ne serait-ce pas plus utile d’étendre les horaires des trains des petite lignes plutôt que de ne songer qu’à les supprimer. La véritable inégalité pour les régions est bien dans les transports, beaucoup moins dans la proximité des œuvres d’art.

Nous pourrions poursuivre l’analyse fine de cette classification en « zones blanches » probablement pendant longtemps encore, et nous trouverions beaucoup d’autres incohérences. L’important, pour le ministère de la Culture, n’est pas de faire, mais de faire savoir. Vu la manière dont la parole de la ministre est répercutée partout sans la moindre once d’analyse ou d’esprit critique, on se dit qu’elle aurait tort de se gêner.

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