Les petits Savoyards de Dubufe acquis par le Musée de Grenoble

1. Claude-Marie Dubufe (1790-1864)
Les Petits Savoyards, 1820
Huile sur toile - 92 x 73 cm
Musée de Grenoble
Photo : Ville de Grenoble/J.-L. Lacroix
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27/11/20 - Acquisition - Grenoble, Musée - C’est un magnifique tableau qui aura mis exactement deux siècles avant de rejoindre un musée : peints en 1820, Les Petits Savoyards de Claude-Marie Dubufe (ill. 1) ont été récemment acquis par le Musée de Grenoble auprès de la galerie Talabardon et Gautier, grâce au Club des mécènes du musée et au FRAM Auvergne-Rhône-Alpes. L’artiste présenta quatre toiles au Salon de 1822 : un portrait féminin (sa spécialité), deux scènes mythologiques - dont Apollon et Cyparisse, conservé au Musée Calvet d’Avignon - et ces Deux Petits Savoyards qui tranchent avec le reste de sa production dominée par le portrait mondain mais s’inscrivent dans une iconographie populaire des enfants des rues et des petits métiers. Longtemps perdu, le tableau était connu par une lithographie et de nombreuses copies qui témoignent du succès qu’il rencontra. Il suscita même l’attention d’Adolphe Thiers qui lui consacra quelques lignes dans sa critique du Salon de 1822 : « M. Dubufe est doué au plus haut degré du talent de l’expression, c’est-à-dire qu’il est doué du premier talent du peintre. Sa couleur, quoique un peu grise, est douce, transparente, légère ; son dessin est pur, son pinceau facile et moelleux. Je le retrouve toujours le même dans Les Deux Savoyards placés sur le seuil d’une porte. Sans partialité, ce petit morceau est délicieux par le mérite particulier à M. Dubufe, l’expression.  ». Les Petits Savoyards firent leur réapparition à la galerie Talabardon et Gautier en 2011 (voir la brève du 15/3/11) qui prêta le tableau au Musée des Avelines au printemps 2018 à l’occasion de la rétrospective dédiée à la dynastie Dubufe (voir l’article) et, plus récemment, au Petit Palais pour l’exposition Paris Romantique de l’année dernière (voir l’article). L’édition 2019 du salon Fine Arts Paris (voir la brève du 14/11/19) fut la dernière occasion de voir la toile dans la capitale : l’épingle à tête rouge qui est rapidement venue orner son cartel il y a un an nous signalait qu’elle venait de trouver son acquéreur.

Cette émouvante scène de genre dont le format (92 x 73) n’est certes pas celui d’une peinture d’histoire mais dépasse néanmoins celui des petits tableaux de cabinet nous montre deux jeunes garçons vêtus de hardes rapiécées mais épaisses et de solides sabots. L’exode saisonnier des enfants déshérités de Savoie, quittant leurs villages pour gagner quelques sous dans les villes souligne la pauvreté de cette région : les jeunes filles travaillaient dans les filatures quand les garçons exerçaient plus volontiers des petits métiers - ramoneur, rémouleur, colporteur ou montreur d’animaux - et furent fréquemment représentés par les artistes au cours du XIXe siècle. Dubufe traite ce sujet avec une étonnante économie de moyens : à l’exception des bonnets rouges des enfants et des débris d’affichettes à demi-visibles sur le mur de droite, le tableau est entièrement traité à l’aide d’une palette restreinte de marron, de beige, de gris et de blanc. Les deux jeunes Savoyards tentent de s’abriter du froid sous un porche, leurs maigres baluchons poses près d’eux, les mains glissées dans leurs habits afin d’y trouver un peu de chaleur. Le plus âgé des deux semble guetter quelque passant qui pourra leur fournir du travail mais le plus jeune, transi et recroquevillé, lance un regard désespéré au spectateur.

2. Pierre Duval Le Camus (1790-1854)
Un petit Savoyard, dit aussi Le petit ramoneur
Huile sur toile - 22 x 17 cm
Narbonne, Musée d’Art et d’Histoire
Photo : Jean Lepage
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A la fois symboles de la misère sociale et motif prisé à l’époque, les Savoyards sont ici montrés sans concession : Dubufe ne fait pas l’impasse sur leur détresse au profit de l’anecdote, comme d’autres artistes contemporains. C’est ainsi le pittoresque qui l’emporte sur le misérabilisme dans les Savoyards de Claude Bonnefond acquis en juin dernier par le Nationalmuseum de Stockholm (voir la brève du 25/6/20) ou dans ceux de Louis Rossignon qui ont rejoint le Musée des Beaux-Arts d’Orléans en mai 2020 (voir la brève du 13/4/20). Nous pouvons également citer à nouveau le tableau de Louis-Léopold Boilly acquis par le Getty Museum en 2010 ou celui de Pierre Duval Le Camus (ill. 2), exposé au Salon de 1824 et désormais conservé - apparemment en réserve - au Musée d’art et d’histoire de Narbonne. Tous deux clodoaldiens, anciens élèves de Jacques Louis David, Pierre Duval Le Camus et Claude-Marie Dubufe étaient de proches amis ; le Musée des Avelines de Saint-Cloud a d’ailleurs acquis en mars 2019 un ravissant petit portrait de Dubufe par Duval Le Camus (voir la brève du 22/3/19).

Comme le rappelait la notice [1] du catalogue de la galerie Talabardon et Gautier en 2011, les Savoyards étaient déjà représentés au XVIIIe siècle : songeons ainsi à ceux dessinés ou peints par Watteau mais aussi au célèbre portrait du comte et du chevalier de Choiseul en Savoyards, peint par Drouais en 1758 et conservé à la Frick Collection de New York. Songeons aussi aux Deux Petits Savoyards, comédie de Nicolas Dalayrac sur un livret de Benoît-Joseph Marsollier des Vivetières, crée en janvier 1789 à l’Opéra-Comique puis donnée à la cour de France au château de Versailles et reprise tout au long du XIXe siècle. Les Savoyards avaient même droit de cité au Salon : en 1745, Jean-Baptiste Marie Pierre y présenta une paire de toiles (dont nous reparlerons) qui avaient disparu depuis la fin du XVIIIe siècle mais viennent de ressurgir chez Millon où elles seront proposées dans quelques jours.

Ces tableaux tantôt charmants, tantôt empreints de réalisme mélancolique, ne doivent pas nous faire oublier une réalité bien plus sordide : les jeunes Savoyards étaient nécessaires pour se glisser dans les étroits conduits des cheminées, toujours plus nombreuses au cours du XIXe siècle. Si le travail des enfants fut règlementé par plusieurs lois et que le préfet de Savoie avait interdit la profession de ramoneur aux enfants de moins de douze ans en 1863 - rappelons que la région ne fut rattachée à la France qu’en 1860 - il fallut attendre le début du XXe siècle pour que cesse définitivement cette terrible exploitation enfantine : la loi interdisant le travail des enfants de moins de quatorze ans ne date que du 26 mai 1914.

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