Les étudiants de l’Agro défendent le domaine de Grignon

Des étudiants qui se préoccupent davantage de l’intérêt général qu’un gouvernement. C’est ce l’on peut voir, depuis deux semaines, au château de Grignon (ill. 1). Les élèves de l’Agro, en effet, occupent les lieux (ill. 2), non pour obtenir un quelconque avantage, ni même demander à ne pas être regroupés sur le plateau de Saclay ou l’Agroparistech doit d’installer d’ici un an ou deux. Il ne demandent même pas que l’État renonce à la vente du domaine de Grignon, une vente pourtant scandaleuse à tout point de vue comme nous l’avions écrit dans notre enquête à lire ici.


1. Domaine de Grignon
Photo : Didier Rykner
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2. Entrée principale du domaine de Grignon occupé par les étudiants
Photo : Didier Rykner
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Non. Ils demandent simplement que le projet le plus respectueux du site, de son histoire, de son patrimoine et de son environnement soit retenu par le gouvernement, et que le domaine ne soit pas livré aux promoteurs. Ils contestent les critères choisis pour ce choix, qui font la part belle au prix. Ils demandaient donc dans un premier temps le report de la date limite de dépose des offres finales, qui était vendredi dernier, et un entretien avec le ministre.

Qu’a répondu le ministère de l’Agriculture à cette demande ? Manifestement, rien du tout. Nous avons interrogé ce ministère, sans retour de sa part, pas davantage que les étudiants n’ont eu de réponse satisfaisante de la part des hauts fonctionnaires qui les ont reçus. Le ministre a accepté le principe d’un rendez-vous, mais à condition qu’ils arrêtent l’occupation... Pourtant, ce ministre - il s’appelle Julien Denormandie - est un ancien élève de l’Agro. Manifestement, son année passée à Grignon ne l’a pas beaucoup marqué.


3. Bâtiment des grands laboratoires de l’école d’agronomie de Grignon
Photo : Didier Rykner
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4. Entrée principale du domaine de Grignon vu de l’intérieur
Photo : Didier Rykner
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Dans un communiqué de presse diffusé le mercredi 24 mars, le collectif des étudiants apportait quelques précisions sur l’offre d’un des candidats, Altarea, que nous avions interrogé mais qui avait refusé de nous répondre : « L’entreprise prévoit une modification du PLU de la commune, très restrictif en l’état actuel, pour la fin 2022, ce qui va à l’encontre de la position de la mairie. Cette remise en question du PLU semble d’autant plus problématique que les élus locaux risquent d’avoir des difficultés à se faire entendre des promoteurs immobiliers. » Nous ne pouvons que partager cette crainte, qui est aussi celle de la commune comme la maire nous l’avait confié. Comment résister, pour une petite ville comme Thiverval, à des pressions venant du plus haut niveau de l’État. Rappelons qu’Altarea n’est autre que le nouveau nom de la Cogedim, le deuxième promoteur immobilier français.

Les étudiants ont par ailleurs révélé la composition du jury, qui n’est pas publique et qu’ils avaient demandé à consulter en vain. Comme ils le disent : « La capacité du jury à juger de la vente du site de Grignon est donc sujette à débat étant donné l’absence de membres compétents en matière d’écologie, de gestion du patrimoine et d’agriculture ». C’est le moins que l’on puisse dire ! Dans ce jury de douze personnes, on trouve en effet pas moins de quatre membres du ministère des Finances, ce qui donne une idée du poids de l’offre financière dans la décision finale, trois membres du cabinet Chevreux (un juriste en droit public et deux notaires), deux membres de la SEGAT, société spécialisée dans l’aménagement du territoire (un « expert immobilier senior » et son « directeur de la Valorisation immobilière et du Développement Urbain »), un représentant du ministère de l’Agriculture (ingénieur des travaux publics) et une représentante de la SEMAEST, société spécialisée dans le commerce de proximité (!).

On se pince donc mais tel semble pourtant être le cas : pour décider de l’aliénation d’un domaine national, riche d’un patrimoine artistique, historique et naturel, on fait appel à quatre hauts fonctionnaires des Finances, trois spécialistes de l’immobilier, deux notaires, un juriste, un spécialiste de l’aménagement du territoire et un ingénieur des travaux publics. Comment espérer un choix qui ne privilégie pas l’argent et la spéculation immobilière ? Quelle est l’éthique de ce processus ? Où se situe l’intérêt public ? Cela ajoute un septième scandale à tous ceux que nous avions déjà dénoncés.



Précisons que l’« occupation » se fait dans une ambiance parfaitement bon enfant et sans aucune violence. Nous avons pu revoir les lieux vendredi après-midi avec deux élèves de première année, Lucie Latrive et Marine Cuiller que nous invitons à écouter dans notre podcast (le son est malheureusement médiocre, car nous avons enregistré tout en marchant...). Le château, les communs et certains autres bâtiments ont été fermés à clé par la direction et sont inaccessibles. Les cours continuent néanmoins, essentiellement par visioconférence. Des salles de repos ont été aménagées et tout se déroule dans un calme olympien.

Nous avons pu voir, enfin, la grande serre que nous n’avions pas visitée auparavant, ce qui nous a convaincu que celle-ci - dont l’importance patrimoniale est évidente (et soulignée par le rapport du GRAHAL), quoi qu’en état désastreux - est parfaitement restaurable pourvu qu’on s’en donne les moyens, contrairement à ce qu’a affirmé la conservatrice des monuments historiques de la DRAC Île-de-France lors de la réunion de la CNPA du 23 janvier 2020.


5. Lucie Latrive et Marine Cuiller, deux des étudiantes occupant le domaine (que l’on entend dans notre podcast), devant le château de Grignon
Photo : Didier Rykner
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6. La grande serre (état actuel)
Photo : Didier Rykner
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Ce soir, lundi 29 mars, les étudiants doivent voter la prolongation pour au moins une semaine de leur occupation. Une fois de plus, nous leur apportons tout notre soutien. Ce combat les honore.

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