Le ratage du nouveau Musée Hyacinthe Rigaud de Perpignan

Deux hôtels particuliers largement dénaturés, des collections qui restent en réserves au profit de dépôts d’institutions extérieures, un accrochage raté, des encadrements pitoyables... L’échec du nouveau « Musée d’Art Hyacinthe Rigaud » [1] est triste, et coûteux. Près de 9 millions d’euros pour en arriver à un tel résultat, c’est vraiment désolant.


1. Une salle du Musée Rigaud (hôtel de Lazerme)
avant les travaux
Photo : D. R.
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2. La même salle du Musée Rigaud que l’ill. 1
après les travaux
Photo : Didier Rykner
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3. Escalier de l’hôtel de Lazerme
Musée Hyacinthe Rigaud
Photo : Didier Rykner
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L’architecture d’abord, due à l’atelier Barbotin-Larrieu. L’hôtel de Mailly, ancien conservatoire, avait déjà été largement massacré au cours du temps. Le travail à été achevé avec la destruction d’un escalier du début du XIXe siècle, dû à l’architecte du département, Prosper de la Barrière, chevalier de Basterot.
Pour l’hôtel de Lazerme, qui abritait le musée depuis les années 1970, c’est encore pire. Les promoteurs du projet ont beau prétendre dans le dossier de presse que l’architecture «  valorise le patrimoine », c’est exactement l’inverse qui est vrai et la comparaison de deux photos suffira à le démontrer. À gauche (ill. 1), une des pièces de l’hôtel de Lazerme avant les travaux. À droite, la même, après (ill. 2). Le beau plafond avec ses stucs n’existe plus, remplacé par un faux plafond. Tout a été repeint en blanc, dans un traitement d’une froideur digne d’une clinique. On peut dire ce que l’on veut, mais c’est propre, c’est net, rien ne dépasse. Tout l’hôtel de Lazerme a été traité ainsi, tous les plafonds ont disparu, y compris celui du bel escalier d’honneur (ill. 3) dont il reste, heureusement, la rampe en fer forgé. On se demande ce que faisait l’ABF pendant les travaux, car on est en plein secteur sauvegardé.


4. Maître de la Loge de Mer
Retable de la Trinité
Technique mixte sur panneau - 373 x 224 cm
Perpignan, Musée Hyacinthe Rigaud
Photo : Didier Rykner
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5. L’installation du Retable de la Trinité
dans l’hôtel de Mailly
Photo : Didier Rykner
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Revenons dans l’hôtel de Mailly pour voir l’art ancien. Là encore, le désastre est à peu près complet. Le chef-d’œuvre du musée, le retable de la Trinité par un peintre anonyme de la fin du XVe siècle, le maître de la Loge de Mer, est présenté dans une salle trop petite (largement en raison d’un autre faux plafond). Résultat : le sol est décaissé pour l’installer, dans une présentation absurde (ill. 4 et 5). Le tableau est dans une fosse, la prédelle au niveau du sol. Ceux qui voudront voir la seule représentation peinte médiévale de Perpignan devront se pencher. Notons que cette œuvre a été très bien restaurée par le Centre interdisciplinaire de Conservation et de Restauration du Patrimoine de Marseille, grâce à un mécénat de la Fondation BNP Paribas [2]. Sauf erreur, nulle part ce mécénat n’est mentionné.


6. Salle des primitifs
Hôtel de Mailly
Perpignan, Musée Hyacinthe Rigaud
Photo : Didier Rykner
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7. Salle des portraits de Rigaud
Hôtel de Mailly
Perpignan, Musée Hyacinthe Rigaud
Photo : Didier Rykner
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8. Jacopo Amigoni (1682-1752)
Persée et Andromède
Huile sur toile - 65 x 45 cm
Perpignan, Musée Hyacinthe Rigaud (non exposé)
Photo : Musée Hyacinthe Rigaud
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Le reste de l’accrochage est au mieux passable : extrêmement clairsemé (ill. 6), il se résume parfois à un mur / un tableau (ill. 7). Le nombre d’œuvres accrochées est donc très réduit, ce qui en laisse un grand nombre en réserves. Voilà quelques exemples que nous avons pu trouver sur internet ou dans des livres (pas dans les catalogues du musée, inexistants, et certainement pas dans le livre publié pour la réouverture qui ne reproduit que des œuvres exposées, pas les autres) : La Mort d’Orphée, grand tableau de Jean-Baptiste Corneille, une esquisse de même sujet par Luca Giordano, Sainte Thérèse offrant son cœur par Antonio Guerra le vieux, alors que son fils a l’honneur de voir quelques œuvres accrochées dans les salles. Parmi les italiens, nous noterons aussi Persée délivrant Andromède par Jacopo Amigoni (ill. 8) ou un bel anonyme génois que nous avons trouvé dans la base RETIF. Chez les Nordiques, on compte aussi des peintures par Jacob de Backer, Franz van Mieris... Pour le XIXe siècle français, inutile d’espérer voir les Joueurs de luth par Guillaume Bodinier, le portrait de Henri Lehmann représentant Alexandre-Joseph Oliva (voir la brève du 12/5/06), et encore moins les sculptures de ce dernier dont le musée possède pourtant un fonds conséquent. Aucune chance, évidemment, d’admirer les grands formats comme Le Jugement de Pâris par Paul Gervais, un artiste du cru également qu’on pourra heureusement voir dans les décors de l’hôtel Pams (ouvert au public). Le musée Rigaud conserve aussi une très bonne réplique d’atelier de Ferdinand d’Orléans par Ingres (ill. 9) qui reste en réserves…


9. Jean-Auguste-Dominique Ingres et atelier
Ferdinand d’Orléans
Huile sur toile - 154 x 119 cm
Perpignan, Musée Hyacinthe Rigaud (non exposé)
Photo : D. R.
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Non seulement le musée n’expose qu’un nombre réduit d’œuvres de sa collection, mais il les expose mal. Plusieurs toiles ont des cadres trop grands, ce qui oblige à mettre des espèces de passe-partout grisâtres. Des passe-partout pour des tableaux ! Deux exemples, avec un Rigaud (ill. 10) et un Jean-François de Troy (ill. 11). Les cartels sont rudimentaires, n’ajoutant au nom du peintre et au titre des tableaux que très rarement un commentaire, et jamais ou presque la provenance. Remarquons aussi que le Portrait de la famille Le Juge est indiqué comme de Rigaud, alors que le catalogue d’Ariane James-Sarrasin le donne, probablement très justement, à son atelier.


10. Hyacinthe Rigaud (1659-1743)
Le Cardinal Fleury
Huile sur toile
Perpignan, Musée Hyacinthe Rigaud
Photo : Didier Rykner
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11. Jean-François de Troy (1679-1752)
L’Accord parfait, vers 1712-1714
Huile sur toile - 194 x 133 cm
Perpignan, Musée Hyacinthe Rigaud (M. N. R.)
Photo : Didier Rykner
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Quand par miracle un mur présente un accrochage un peu serré, celui-ci est indigent comme le montre l’ill. 12 (on appréciera particulièrement les deux portraits en pendants placés l’un au-dessus de l’autre). Quant à la dernière salle de peintures anciennes, elle est proprement incompréhensible : appelée « Le portrait après Rigaud », on n’y voit que deux portraits aux côtés d’œuvres qui n’ont rien à voir dont une Ronde des Nymphes de Fantin-Latour et un paysage de Corot, dépôt du Musée d’Orsay en 1997.


12. Accrochage de quelques tableaux nordiques
Perpignan, Musée Hyacinthe Rigaud
Photo : Didier Rykner
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13. Jardin de l’hôtel de Lazerme
Photo : Didier Rykner
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14. Les quatre immeubles derrière le jardin
risquent d’être détruites
Photo : Didier Rykner
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Si les tableaux du musée sont peu visibles, il expose en revanche beaucoup d’œuvres qui ne lui appartiennent pas, notamment pour la peinture et la sculpture du XXe siècle. Le nombre de dépôts est extrêmement élevé, en provenance de musées, mais aussi de fondations (plusieurs Maillol de la fondation Dina Vierny) ou même de galeries. Des dépôts et des prêts, c’est une excellente chose, mais cela doit venir compléter un accrochage, pas le remplacer, ce qui est largement le cas ici.
Comme si cela ne suffisait pas, le jardin du musée a été aménagé. Là encore, c’est raté (ill. 13). Remarquons que derrière le mur dépassent les quatre maisons (ill. 14) que la mairie souhaiterait démolir (voir notre article). Espérons qu’elle ne parviendra pas à ses fins. Pour l’hôtel de Mailly hélas, c’est trop tard.

Collectif, Musée d’art Hyacinthe Rigaud. Du XIVe au XXIe siècle, Snoeck, 216 p., 25 €. ISBN : 9789461613608.

Site du Musée Hyacinthe Rigaud.

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