Le patrimoine n’est pas coupable !

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Le décision des évêques français de financer le fonds d’indemnisation des victimes de pédocriminalité dans l’Église avec la vente de biens lui appartenant ne doit pas être l’occasion d’une vague de vandalisme qui pourrait être terrible. Le président de la conférence des évêques de France, Mgr Éric de Moulins-Beaufort, a en effet déclaré : « les évêques de France s’engagent à abonder selon la nécessité le fonds SELAM en se dessaisissant de biens immobiliers et mobiliers de la CEF et des diocèses ».


1. Chapelle Sainte-Marguerite
Sceaux (Yonne)
Photo : Patrick89 (CC BY-SA 3.0)
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Or, il ne faudrait pas que parmi ces biens figurent les très nombreux monuments qui, s’ils ne sont pas forcément tous protégés au titre des monuments historiques, méritent pour beaucoup d’être sauvegardés. Car si la plupart des bâtiments de culte catholique antérieurs à 1905 n’appartiennent pas à l’Église, qui n’en est qu’affectataire, beaucoup d’autres édifices sont encore aujourd’hui sa propriété. C’est le cas - sauf exception - des églises construites après 1905, dont le clergé se débarrasse parfois comme l’exemple de l’église Sainte-Thérèse de Saint-Quentin nous l’a prouvé récemment, mais aussi de certaines églises ou chapelles antérieures à cette date. Nous ne prendrons ici qu’un exemple : la chapelle Sainte-Marguerite à Sceaux, dans l’Yonne (ill. 1), un monument du XVIIe siècle qui n’est ni inscrit, ni classé, et qui appartient à une association diocésaine.


2. Ancien évêché de Coutances
Photo : ChBougui (CC BY-SA 4.0)
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D’anciens presbytères ou évêchés sont également souvent la propriété d’associations diocésaines, comme l’ancien évêché de Coutances (ill. 2), inscrit partiellement monument historique ou l’ancien presbytère de Lancieux dans les Côtes-d’Armor, probablement du XVIIe siècle même s’il a été remanié dans les années 1930, ni inscrit, ni classé. Des couvents ou des monastères appartiennent encore aujourd’hui à l’Église, comme le couvent des Augustines, ancien Hôtel-Dieu de Tréguier, en partie inscrit et en partie classé (ill. 3). D’autres monuments comme des hôtels particuliers ou des châteaux sont propriété de l’Église et pourraient se voir menacés d’être considérés comme de simples actifs, pouvant être cédés aux plus offrants. Certains ne s’y trompent pas : France-Inter explique en effet benoîtement que l’hôtel de Viar-Rambuteau, qui est aujourd’hui au 32 rue Barbet-de-Jouy, le logement de l’archevêque de Paris, et qui lui a été légué par une riche paroissienne à la fin du XIXe siècle à cet effet, vaudrait entre 52 millions à 65,8 millions d’euros ! On imagine les promoteurs immobiliers à l’affût, voyant dans ces nouvelles ventes une bonne occasion de trouver des terrains à bâtir ou des monuments à céder à la découpe. L’hôtel de Viar-Rambuteau possède un charmant jardin. Quand on voit les constructions qui poussent un peu partout dans Paris, parfois sur des jardins privés, on peut légitimement s’inquiéter.


3. Couvent des Augustines de Tréguier
Photo : Yodaspirine (CC BY-SA 4.0)
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Alors que cette opération ne fait que commencer, il est donc temps de poser en préalable un principe, en se rappelant d’abord d’un point, indiscutable : les monuments ne sont pas coupables. Si la réparation de l’Église devait aboutir à un vandalisme, le crime initial se doublerait d’un crime patrimonial.
Il faut que les monuments ayant une valeur historique, même légère, soient exclus de la vente, sauf éventuellement s’ils peuvent être cédés à des collectivités publiques ou à des associations ou fondations privées, dans un objectif cultuel ou culturel. Les œuvres d’art appartenant aux diocèses et aux congrégations, encore très nombreuses et parfois mal connues, ne doivent pas davantage faire les frais de cette réparation.
L’État devrait être garant de ce principe, mais comment lui faire confiance alors qu’il donne lui-même régulièrement le mauvais exemple en cédant sans précaution, pour renflouer ses caisses, de nombreux monuments ? Et comment faire confiance en l’Église de France, une institution qui n’a jamais fait preuve d’une grande attention à cette question et qui est même responsable d’une des plus grandes vagues de vandalisme depuis la Révolution : les destructions massives des années 1960-1970 à la suite du Concile Vatican II - un vandalisme contre lequel l’État n’a d’ailleurs rien fait, alors qu’il était très largement illégal.

Si l’Église et l’État abandonnent ce patrimoine, ils trouveront une fois de plus les citoyens et les associations pour s’opposer à eux. Et La Tribune de l’Art sera particulièrement attentive à cette question.

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