Le Paris enchanté d’Anne Hidalgo fait froid dans le dos

Même s’il est précisé [1] que les propositions ne sont pas celles d’Anne Hidalgo, la liste d’« idées » publiées dans un livre électronique par l’association Oser Paris (son équipe de campagne) est tout à fait dans la ligne de ses déclarations et de ses intentions pour la capitale au cas où elle serait élue.

A l’exception notable de la reprise d’une idée que nous avons plusieurs fois déjà défendue (la mise en place d’un plan-églises [2]), l’examen de ces propositions - au moins pour ce qui concerne le champ couvert par La Tribune de l’Art, c’est-à-dire l’art, l’architecture et l’urbanisme - correspond d’ailleurs jusqu’à la caricature à ce que nous avons connu ces dernières années avec les deux mandatures de Bertrand Delanoë dont Anne Hidalgo a été l’une des chevilles ouvrières.
Ce texte donne l’impression de vouloir infantiliser en permanence les Parisiens en leur proposant à peu près 365 jours par an de fêtes, de festivals, de défilés de rue... Le monde d’Anne Hidalgo est celui des Bisounours ou de Oui-Oui. Elle veut être le GO d’une ville qui serait un club Méditerranée permanent.
Ainsi, aux nombreuses fêtes qui ponctuent déjà de manière artificielle et coûteuse la vie parisienne, on ajouterait (la liste n’est probablement pas exhaustive) : « la nuit des bals des musées parisiens » (sic), p. 93 ; un grand marathon annuel sur le périphérique (p. 38), qui devrait s’ajouter à la fête du périphérique que la candidate a annoncé récemment (un bel endroit pour faire la fête, le périphérique...) ; un festival des musiques du monde « Paris-folies d’hiver » (sic), p. 93 ; un festival international de danse (p. 93) ; deux événements par an pour « promouvoir la lecture dans la ville » (p. 94) ; un concours parisien des chorales (p. 94) ; des tournois de sport dans les rues [3] (p. 38)... Tout est « ludique » dans l’univers d’Anne Hidalgo. La ville est « ludique » (p. 39) : « développer une ville ludique »), le livre électronique qui propose ces « idées » est lui même présenté comme « ludique et interactif » (p. 6). D’ailleurs, comme la fête doit se poursuivre la nuit, il faut promouvoir la nuit festive parisienne à l’échelle internationale. C’est bien normal : évangélisons le monde entier avec notre environnement ludique. Et créons (on ne plaisante pas, c’est proposé par la boite à idées, et repris par la candidate) un poste de maire adjoint en charge des nuits parisiennes (on imagine son emploi du temps...)

Les fêtes sont par nature temporaires, même si elles se succèdent. Les constructions, temporaires ou non, vont également envahir la ville ce qui constituera une menace supplémentaire pour le patrimoine parisien. Qu’on en juge, voici quelques-unes des constructions qui doivent voir le jour un peu partout si Anne Hidalgo est élue et retient les propositions de ses aficionados : des « abri-nuits » (p. 154), des logements étudiants sur les berges (p. 28), « des kiosques à musique, de jeux géants (jeux d’échecs par exemple), d’appareils de fitness, de parcours de santé, d’espaces de street-art et de bibliothèques mobiles » (p. 39), des sanisettes [4] (p. 42), des « structures légères installées sur une place du quartier à la disposition des conseils de quartier » (p. 82), des « city-stades », « structures légères », seront installées en différents lieux de la ville, dans des « délaissés urbains » (sic), ou sous le métro aérien (p. 90) ; des « équipements mobiles offerts par la mairie pour l’organisation des tournois de quartier » (p. 91) ; des « Centres de rencontres : "social clubs" » (p. 154)... Les rues de la ville vont être belles, avec tous ces city-stades, sanisettes, abri-nuits et autres structures légères...

L’espace public va ainsi être squatté par diverses activités culturelles. C’est bien normal, car dans le monde d’Anne Hidalgo pour la culture, l’espace public a été « très plébiscité » (sic). Très plébiscité, c’est sans doute mieux qu’un peu plébiscité. Plus, ce serait trop. L’espace public a été « très plébiscité » car « il permet à tous les artistes de s’exprimer et de rendre les rues de Paris plus joyeuses ». Youpi.

On a vu la prétention de donner l’exemple à l’étranger. D’ailleurs, c’est déjà fait : « Ces dernières années, certains projets sont devenus des modèles à l’international » lit-on p. 33. Et que cite-t-on dans ces projets que le monde entier nous envie ? L’aménagement de la place de la République ! Qu’on trouve comme nous (et comme beaucoup) que le résultat est désastreux, ou qu’au contraire on l’apprécie, il faut une sacrée dose de culot pour oser prétendre que depuis son inauguration il y a quelques semaines il serait devenu un « modèle à l’international » ! Le vrai risque, si Anne Hidalgo devient maire, c’est que ce modèle ne vienne saccager d’autres places parisiennes. Avec elle, ses fans demandent en effet qu’on fasse subir le même sort à la place de la Nation et à celle de la Bastille. Ou même, encore plus grave, à celle de la Concorde...
Place de la Bastille, on lit (p. 38), qu’il faut « plus d’aménagements paysagers ». Ces gens là ne comprennent rien à la ville. Rien à Paris. Place de la République, où l’on trouvait justement des aménagements paysagers (les deux squares et leurs fontaines) qu’il fallait simplement restaurer, nettoyer et faire fonctionner, on leur a substitué de grandes dalles de pierre froides qui dénaturent les lieux. A la Bastille, on se demande quels aménagements paysagers ils veulent installer alors que cette place est au contraire une voie purement minérale qu’il convient de garder ainsi...

Les supporters de celle qui veut dénaturer le conservatoire végétal exceptionnel des Serres d’Auteuil n’ont que le mot « végétaliser » à la bouche. On détruit une partie de ce jardin pour le remplacer par un stade, on minéralise la place de la République, mais on veut « végétaliser » la ville. « Nous proposons de végétaliser les pieds d’arbre, les façades et les toits » (p. 37). Ils proposent de distribuer des fiches explicatives sur « la manière de végétaliser une façade d’immeuble »...
On semble retrouver ici une théorie déjà à l’œuvre à Versailles, celle de la ville-jardin qui voudrait abolir les frontières entre les villes et les jardins. Ainsi, comme nous l’écrivions avec Julien Lacaze « saupoudrer un peu de nature en ville autoriserait à urbaniser des espaces préservés ». C’est exactement ce que l’on constate ici. Or, une façade d’immeuble est une architecture, qui doit conserver son caractère minéral. L’objectif n’est pas de la végétaliser. En revanche, il faut respecter les espaces verts de Paris qui en possède beaucoup moins que d’autres villes. Ce n’est pas tout à fait la même chose.

Quelle sont les propositions de cette boite à idées pour la conservation du patrimoine parisien et les musées ? On l’a dit, une bonne mesure, en tout et pour tout : « Engager un nouveau plan de sauvegarde du patrimoine cultuel parisien » (p. 95). Après des années d’indifférence, croire qu’Anne Hidalgo s’occupera enfin des églises parisiennes demande un grand effort d’imagination...
Sinon, rien, ou des mesurettes comme créer une « artothèque municipale » pour prêter des œuvres d’art. Quelles œuvres d’art ? Comme on n’imagine pas (ce serait d’ailleurs illégal) que l’on va prêter aux particuliers des œuvres des musées, va-t-on consacrer un budget à cette artothèque, alors que celui dédié aux acquisitions des musées parisiens est ridiculement bas par rapport à leur nombre et à la taille de la ville ?
Deux autres propositions sont particulièrement grotesques : créer un fonds municipal d’archives citoyennes [5] (p. 81) et créer un musée participatif de l’intégration [6] (p. 147). On demande d’abord au maire de Paris qu’il s’occupe des établissements culturels existants, plutôt que d’en créer d’autres, surtout avec des concepts aussi creux.

Nous avons gardé le plus grave pour la fin. Comme leur candidate favorite, les membres d’« Oser Paris » aiment l’urbanisme sans règles ou presque. Ils proposent ainsi (p. 27) de « rendre le Plan Local d’Urbanisme plus flexible vis à vis des hauteurs et de permettre aux bâtiments sous-densitaires (sic) de s’élever ». On a vu ce que donnait, avec Delanoë, le mépris des règles du PLU que l’on peut modifier à sa guise pour bétonner toujours davantage. Avec Hidalgo, ce sera pire et celle-ci a déjà annoncé qu’elle construirait des tours dans Paris, à commencer par l’horrible tour Triangle.
Mais que penser d’une candidate et de ses partisans (mais nous avons déjà vu que ces propositions sont autant celles des uns que de l’autre) qui veulent « densifier Paris ». Ne savent-ils pas que Paris est déjà l’une des villes les plus denses au monde [7] ? Que penser, en réalité - et là nous sortons un peu de notre domaine - d’un document proposant sans rire de « développer le transport de fret sur les lignes de métro [...] et de RER durant la nuit » ?

Pour ceux qui voudraient faire croire que La Tribune de l’Art, en s’opposant avec fermeté à la candidature d’Anne Hidalgo, serait un soutien politique pour la droite, nous rappellerons simplement que nous dénonçons avec autant de vigueur au moins autant de maires UMP ou divers droite que d’élus socialistes. Puisque ce procès nous sera fait, nous rappellerons ainsi nos articles contre la politique des maires de Saint-Tropez, d’Orléans, de Fontainebleau, de Nîmes, de Saint-Cloud, de Versailles... et bien d’autres encore.
Les Parisiens ne sont pas chanceux, ils n’auront le choix qu’entre Anne Hidalgo et Nathalie Kosciusko-Morizet. En nous opposant à la première, nous ne soutenons pas vraiment la seconde qui fut un ministre de l’Environnement consternant sous bien des aspects, notamment dans ses prises de position inconsidérées en faveur des éoliennes ou dans son feu vert donné au massacre des Serres d’Auteuil. Nous ne nous faisons aucune illusion sur ses convictions pour la ville ni sur la politique qu’elle mènera et il est plus que probable que nous nous battrons souvent contre ses décisions si elle est élue. Nous ne connaissons d’ailleurs pas ses intentions pour le patrimoine parisien (en a-t-elle seulement [8] ?) Simplement, nous constatons qu’elle s’est opposée à la tour Triangle et en général aux tours qu’Anne Hidalgo veut multiplier à Paris et rien que cela constitue une différence essentielle pour la ville. Une chose est certaine, la politique de Delanoë et d’Hidalgo est en train de tuer Paris, il est temps d’en changer. TSH. Tout sauf Hidalgo.

Didier Rykner

Notes

[1« Ces idées ne sont pas celles d’Anne Hidalgo, elles sont là pour nourrir son projet ».

[2Celui-ci devrait prévoir de manière réfléchie et ordonnée une restauration systématique du patrimoine cultuel de la capitale.

[3Dans certains quartiers comme le XVIe, où les stades de proximité pour les scolaires sont progressivement transformés en stades pour professionnels, on n’aura plus forcément d’autre choix...

[4Il est proposé de passer leur nombre de 400 à 600. On ne dira jamais assez la laideur de ces sanisettes dont la plupart des autres grandes villes européennes se passent très bien.

[5« Puisque Paris se renouvelle sans cesse, un fonds municipal d’archives pourrait recueillir des documents, témoignages d’habitants sur leur quartier, leurs rues, les lieux publics et patrimoniaux. Ces témoignages seraient la base de rencontres, d’articles et d’échanges entre toutes les générations. »

[6« Créer un musée participatif de l’intégration où les citoyens venant des quatre coins du monde racontent leur arrivée et leur accueil à Paris avec des textes, dessins, vidéos et discours audio. »

[7Paris est plus de trois fois plus dense que New York ou Hong Kong, près de deux fois plus dense que Tokyo !

[8Nous avons sollicité une interview, nous n’avons jamais reçu de réponse.

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