Deux dessins pour le musée Rodin

1. Auguste Rodin (1840 -1917)
Double portrait de Victor Hugo, vers 1883
Crayon graphite, encre (plume et lavis) et gouache blanche - 10,9 x 10 cm
Paris, Musée Rodin
Photo : Musée Rodin
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2/12/19 - Acquisitions - Paris, Musée Rodin - « Par malheur, Victor Hugo venait justement d’être martyrisé par un sculpteur médiocre nommé Vilain. Celui-ci, pour faire un mauvais buste, lui avait infligé trente-huit séances de pose. Aussi quand j’exprimai timidement mon désir de reproduire à mon tour les traits de l’auteur des Contemplations, il fronça terriblement ses sourcils olympiens [1] ». Auguste Rodin ne put donc exiger de l’écrivain qu’il posât pour lui. Mais il fut autorisé à l’observer dans son hôtel particulier, avenue d’Eylau, et à saisir les traits de son modèle en travaillant sur le vif. « Je me plaçais de côté ou derrière lui, le suivant de l’œil, faisant de lui des croquis rapides, dessinant autant de profils que je le pouvais sur de petits carrés de papier ; il ne me regardait pas, mais il avait la bonté de ne pas m’écarter ; il me tolérait. [2] » Il lui arrivait de reprendre certains dessins à l’encre et à la gouache. L’un d’eux a été acquis par le Musée Rodin dans une vente de Christie’s à Paris le 28 mars 2019 au cours de laquelle il a été adjugé 137 500 euros (ill. 1).

L’artiste entreprit ensuite le modelage du buste dans les mêmes conditions, en installant sa scelle de sculpteur dans la véranda, et s’aidait de ses dessins pour progresser. « Je comparais ensuite mes profils avec ceux du buste ; j’arrivai ainsi à l’exécuter, mais avec combien de difficultés [3]. » Hugo finit par s’agacer et le buste en terre resta inachevé avec une chevelure trop rapidement traitée et une base encore à l’état d’ébauche. Il fut pourtant traduit en bronze par Rudier en 1883, puis exposé au Salon de 1884 avec cette dédicace « À l’illustre maître ». On peut le voir au musée.
La réalisation de ce portrait fut suggérée à Rodin par le journaliste Edmond Bazire à un moment où le sculpteur était accusé d’avoir moulé sur nature L’Âge d’airain. Bazire lui recommanda de portraiturer un homme célèbre que personne ne pourrait soupçonner de se prêter à ce genre de subterfuge. Il l’introduisit alors auprès de Victor Hugo avec d’autant plus d’empressement que le journaliste admirait Rodin et avait lui-même été déçu par l’œuvre de Victor Vilain : « J’aurais rêvé peut-être un Victor Hugo plus familial, à la barbe annelée ayant de la douceur et de la paternité [...] mais on ne le verra que dans sa grandeur terrible, et j’aurais voulu que la postérité le vît dans sa grandeur sereine et bonne. »
Après la mort d’Hugo, Rodin reçut la commande d’un monument à sa mémoire. Il le représenta en exil sur les rochers de Guernesey, nu, entouré de muses, mais cette première version ne fut pas acceptée ; il travailla alors à un autre projet qui ne vit pas le jour mais dont le musée conserve une esquisse en bronze.


2. Auguste Rodin (1840 -1917)
Étude pour le Baiser, 1880-1889
Crayon graphite, encre (plume et lavis),
gouache sur papier découpé et collé sur papier vélin imprimé - 16 x 8,2 cm
Paris, Musée Rodin
Photo : Musée Rodin
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Un autre dessin a été acquis par le musée Rodin, préempté le 22 mars 2018 dans une vente Sotheby’s à Paris, au cours de laquelle il a été adjugé 77 500 euros (ill. 2). Il s’agit d’une étude pour le Baiser, qui met en scène les amours illégitimes de Paolo et Francesca de Rimini ; l’étreinte des deux amants n’est pas la même que celle de la sculpture, elle est plus sensuelle, moins tendre, Francesca se retourne vers Paolo, c’est elle qui entraine le mouvement. Cette feuille est un papier découpé et collé qui montre que la pratique du découpage est précoce dans l’art de Rodin. Le musée a récemment consacré une exposition [4] aux dessins du maître - « la clé de mon œuvre » disait-il.

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