Le « Manifeste pour la Beauté », t. 1, une ode à la gouvernance d’Anne Hidalgo

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L’ouvrage si souvent annoncé par Emmanuel Grégoire, le premier adjoint de la mairie de Paris, vient de voir le jour, du moins les trois premiers tomes sur les quatre prévus, et on peut les télécharger ici. Cette « bible » (les grands mots ne lui font pas peur) porte le nom tout à fait ridicule de « Manifeste pour la beauté » (ill. 1)… Il s’agirait, si l’on en croit certains, de définir ce qu’il est possible ou non de faire à Paris, et ce manuel prendrait en compte les critiques énoncées depuis plus d’un an par le mouvement #saccageparis, et par nous depuis qu’Anne Hidalgo est maire de cette ville.
Nous avons lu entièrement ces trois tomes - peu doivent l’avoir fait, car cet exercice est particulièrement rébarbatif et - cela n’étonnera pas grand monde - c’est accablant. Les rares éléments positifs que nous pourrons citer, il faudra attendre de les voir appliquer pour s’en féliciter, la propension de la mairie à raconter n’importe quoi et à affirmer l’inverse de ce qu’ils font ou feront est bien connu. Quant au reste…
Si ce document consistait réellement à proposer des solutions pour améliorer la situation, il aurait fallu d’abord établir un diagnostic détaillé de la situation parisienne actuelle. Ce diagnostic aurait probablement été irrecevable (car on ne donne pas un audit à faire à ceux qui sont les principaux responsables d’une situation), mais même cela n’a pas été fait, à moins que l’on ose appeler ainsi ce qui constitue le tome 1 de cette entreprise, dont nous parlerons ici avant de consacrer deux prochains articles aux deux autres tomes.

Un tome 1 qui donne tout de suite le la. Il commence - on ne rit pas - par une longue citation de Victor Hugo tirée de « Choses vues ». « Guerre aux démolisseurs » aurait été mieux choisi… Et que lit-on ici sous la plume de Hugo ? « Au moment où nous sommes, la coalition nocturne des vieux préjugés et des vieux régimes triomphe, et croit Paris en détresse, à peu près comme les sauvages croient le soleil en danger pendant l’éclipse ». Cette phrase, replacée dans le contexte contemporain, fait donc dire à l’écrivain amoureux du patrimoine l’inverse de ce qu’il dirait s’il pouvait voir le résultat de la politique municipale aujourd’hui : ceux qui dénoncent la détresse dans laquelle se trouve Paris (et le terme est faible) sont les mêmes que des « sauvages » qui « croient le soleil en danger pendant l’éclipse ». Tout va donc pour le mieux dans le Paris magique d’Anne Hidalgo. Elle le dit elle-même d’ailleurs au début de sa très courte introduction : « Paris vit une double transformation qui la rend à la fois plus belle et plus agréable avec un air plus pur ». Comment penser un instant que ce qui va suivre ce témoignage d’autosatisfaction proposera des solutions à un problème qui, manifestement, ne se pose pas. Paris est plus belle et voilà comment nous allons poursuivre dans cette voie…


1. Succession de façades d’immeubles haussmanniens avenue Carnot (XVIIe)
Illustration du tome 1
Photo : Saussereau/Ville de Paris
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Ce tome 1 peut même être qualifié de provocation, contre tous ceux qui dénoncent, photos et documents à l’appui, avec des faits, le vandalisme auquel la ville, ses monuments, ses rues, son patrimoine, ses jardins et ses arbres sont soumis depuis plusieurs années. Nous passerons donc rapidement sur cette succession de phrases creuses et de photos (ill. 1) sans rapport avec la réalité que vivent les Parisiens (beaucoup sont orientées vers le ciel, que la mairie n’a pas pu encore encombrer de déchets) ou qu’on propose sans doute ici comme repoussoir, comme le « terrain d’éducation physique Charlemagne » qui vient polluer la vue sur le chevet de l’église Saint-Paul ou le « Cœur » de « l’artiste Joana Vasconcelos » qui a coûté la bagatelle de 650 000 € au contribuable parisien.
Cette provocation va si loin qu’on trouve même dans ce tome 1 une photo de la rotonde la Villette (ill. 2), un des emblêmes du saccage de Paris, avec ses rats morts et ses baraquements non autorisés qui défigurent ses abords, photographiée de loin, derrière les jeux d’eau d’une fontaine, rendant l’ensemble fort photogénique et bien loin de la réalité (voir l’article). Quant à la place de la Concorde, dont l’état désastreux n’est plus à démontrer (voir l’article), on nous la présente sous un angle avantageux, et sous la neige (ill. 3), ce qui évite sans doute de voir l’état du sol ou les traces des réverbères disparus…


2. La Rotonde de La Villette
Illustration du tome 1
Photo : Ambre Marionneau/Ville de Paris
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3. Place de la Concorde sous la neige
Illustration du tome 1
Photo : Christophe Belin/Ville de Paris
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La négation du réel est bien la principale caractéristique de ce premier tome où l’on apprend que Paris est harmonieuse et que toute la ville « doit porter les valeurs d’esthétisme, d’ordre, de beauté et de soin. Une recherche d’harmonie et de cohérence. », soit l’inverse de la politique actuelle ; où l’on nous proclame que Paris est « vivante » (!) et que « la vitalité de ses créations repose sur la qualité de leur réalisation et sur la volonté de réécrire, d’adjoindre, de récupérer, de réemployer ou de redéfinir l’objet et l’histoire. » ; où l’on souligne que Paris est « audacieuse », sous-entendant ainsi que ceux qui s’opposent aux transformations de la mairie sont des ennemis de l’audace, reprenant ce leitmotiv des vandales qu’est la tour Eiffel (voir cet article), et où même le Front de Seine, désastre urbanistique des années Pompidou, est cité comme exemple de cette audace qu’il faudrait donc perpétuer… ; on apprend, et c’est plus surprenant, que Paris est « bienveillante » ! Et comme exemple, on nous présente les « passages piétons aux couleurs de la fierté LGBTQIA » dans le Marais, dont la laideur est évidente mais dont la bienveillance reste à démontrer et les « centres d’hébergement d’urgence du Bois de Boulogne » (ill. 4), constructions installées sur un site classé et inconstructibles, qui étaient promises temporaires et qui sont toujours là, à deux doigts de devenir pérennes comme tout le temporaire à Paris. On évite en revanche soigneusement de montrer comment les trottoirs parisiens sont de plus en plus impraticables pour les handicapés, les personnes âgées et les familles en raison notamment - mais pas uniquement - des extensions illégales de terrasses et du développement anarchique des trottinettes électriques ou des vélos.


4. Centre d’hébergement d’urgence du bois de Boulogne (Paris XVIe)
Illustration du tome 1
Photo : Jean-Baptiste Gurliat/Ville de Paris
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Paris est « végétale ». Dans sa croisade pour mettre les villes à la campagne comme en rêvait Alphonse Allais (un véritable humoriste à la différence d’Emmanuel Grégoire), on nous fait croire une fois de plus que Paris va sauver la planète de la crise climatique. Nous avons montré dans notre livre La Disparition de Paris à quel point cette affirmation est mensongère. Paris végétalise à coup de plantes en pots et de pieds d’arbres ressemblant à des terrains vagues, Paris plante des forêts Miyawaki [1] dont l’essentiel des pousses est voué à crever, mais en réalité les arbres disparaissent de Paris à grande vitesse. Nous ne sommes pas les seuls à le constater et nous renvoyons à ce très bon article de notre confrère « Reporterre » qui ne peut être soupçonné d’être hostile aux plantes… Pour Emmanuel Grégoire : « La nature trouve sa place partout : du sol aux toits ». Elle trouve surtout sa place sur les toits des immeubles construits sur des terrains naguère arborés…

Paris, le croiriez-vous, est également « libre » ! On aurait tort néanmoins de voir dans cette affirmation des accents gaulliens. C’est beaucoup plus terre à terre, et cela commence par « Paris est une ville de femmes et d’hommes ». Ce qui n’est guère acceptable car il y a aussi les non binaires que la mairie semble ainsi exclure. D’où l’utilité parfois d’employer le terme « hommes » au sens « les humains sans distinction de sexe », finalement beaucoup plus inclusif.
Trêve de plaisanteries : ce premier tome où l’on apprend aussi que Paris est « fidèle », comprendre « fidèle à son patrimoine », quand c’est tout l’inverse que l’on constate n’est qu’une ode surréaliste à la bonne gestion de la Ville de Paris. Au point qu’on se demande s’il est possible d’améliorer ce qui est déjà parfait. C’est ce que nous verrons dans l’analyse des tomes 2 et 3 à venir prochainement.

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