Le Louvre achète une feuille de Cornelis Troost à un prix déraisonnable

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13/2/19 - Acquisition - Paris, Musée du Louvre - Le Louvre est une nouvelle fois la risée du marché de l’art, et malheureusement le marché de l’art a raison. Le département des Arts Graphiques du Louvre vient d’acheter chez Sotheby’s New York, le 30 janvier dernier, une gouache de Cornelis Troost (ill. 1) pour la somme délirante de 459 000 $ avec les frais (soit 406 192 €). Certains se demanderont peut-être qui est Cornelis Troost, un peintre néerlandais du début du XVIIIe siècle assez peu connu. D’autres auront sans doute aussi la curiosité de comprendre comment un de ses dessins peut valoir aussi cher, et aller regarder ce que valent d’ordinaire les œuvres sur papier équivalentes de Cornelis Troost. Et ils découvriront que, dans le meilleur des cas, une œuvre de ce genre (il utilise alternativement, ou de manière combinée la gouache, le pastel, l’aquarelle, ou même l’huile sur papier ou sur vélin) se négocie habituellement autour de 50 000 à 70 000 euros et encore, en voyant large. Seule une autre gouache (avec pastel) de cet artiste (ill. 2), passée en vente deux numéros plus tôt, a atteint la somme encore plus folle de 639 000 $ (565 484 $). Mais ce prix ne peut servir de comparaison puisque le Louvre était sous-enchérisseur, et ne s’est reporté sur la seconde que parce qu’il avait raté la première.


1. Cornelis Troost (1696-1750)
Corps de garde avec des officiers la nuit
Gouache - 33,8 x 49,8 cm
Paris, Musée du Louvre
Acheté chez Sotheby’s New York le 30/1/19
pour 406 192 € frais inclus
Photo : Sotheby’s
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2. Cornelis Troost (1696-1750)
’Drinkenburg’. Le lendemain matin
Gouache et pastel sur papier
marouflé sur toile - 44 x 63,5 cm
Vendu chez Sotheby’s New York le 30/1/19
pour 565 484 € frais inclus
Photo : Sotheby’s
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Les estimations pour ces deux feuilles, 250 à 300 000 $ pour celle acquise par le Louvre et 300 à 400 000 $ pour celle qu’il a manquée, elles mêmes délirantes, ont manifestement impressionné le musée (et au moins un autre acheteur). Mais lorsque l’on regarde des œuvres équivalentes, on constate que cela ne correspond absolument pas au prix du marché.


3. Cornelis Troost (1696-1750)
Scène de théâtre, une cour à la campagne
Pastel et craie de couleur sur vélin -
39,5 x 52 cm
Vente Sotheby’s New York 30/1/19
pour 88 495 € frais inclus
Photo : Sotheby’s
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4. Cornelis Troost (1696-1750)
Intérieur d’une étable
Gouache - 21 x 24,5 cm
Vente Lempertz Cologne 14/11/15
pour 4464 € frais inclus
Photo : Lempertz
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5. Cornelis Troost (1696-1750)
Une étude pour le Malade imaginaire
de Molière

Huile sur papier marouflé sur panneau -
24,1 x 37,8 cm
Vente Christie’s Londres 27/10/04
pour 46 000 € frais inclus
Photo : Christie’s
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Il ne faut d’ailleurs pas chercher bien loin : le numéro 120 (ill. 3), un pastel et craies de couleurs, tout à fait comparable, s’est vendu dans la même vacation 100 000 dollars soit 87 553 € avec les frais, ce qui est déjà très élevé.
Chez Lempertz, le 15 novembre 2015, une gouache certes plus petite (ill. 4) a été adjugée pour 4 464 € avec les frais. En 2004, chez Christie’s Londres, une huile sur papier représentant une scène du Malade imaginaire (ill. 5) se vendait 43 020 livres avec les frais, soit environ 46 000 €… Si l’on remonte encore plus loin, en 1991 chez Christie’s Amsterdam, une gouache avec pastel (ill. 6) était cédée pour 21 988 € (sans les frais, soit environ 26 000 € avec les frais) à la Pierpont Morgan Library et chez Sotheby’s Amsterdam, en 1986, une autre se vendait 9 466 € avec les frais (ill. 7 ; elle a été offerte en 2005 au Metropolitan Museum).


6. Cornelis Troost (1696-1750)
Scène de "Jan Claasz. of de Gewaande Dienstmaagd"
Pastel et gouache sur vélin -
49,5 x 37,5 cm
New York, The Pierpont Morgan Library
Acheté chez Sotheby’s Amsterdam le 1/12/86
pour 26 000 € frais inclus
Photo : Sotheby’s
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7. Cornelis Troost (1696-1750)
Scène de corps de garde
Gouache, lavis gris et brun -
29,2 x 31,4 cm
New York, The Metropolitan Museum of Art
Vendu chez Christie’s Amsterdam le 25/11/91
pour 9 466 € frais inclus
Photo : Christie’s
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Bref, rien ne justifie l’achat, pour un tel prix, d’un artiste qui n’est pas rare, qui n’est pas absolument indispensable et dont les œuvres valent beaucoup moins, si ce n’est probablement le goût personnel de Xavier Salmon pour la petite scène de genre XVIIIe dont a pu témoigner son exposition de Lens sur la fête galante (voir l’article). Après le Gros à 455 400 € (voir notre article - déjà - sur l’incompréhensible politique d’acquisition du Louvre), le département des Arts graphiques démontre une nouvelle fois qu’il n’a décidément aucune idée de ce qu’est le marché de l’art, et jette l’argent public par les fenêtres.

Cela rend encore plus inadmissible le refus par le Louvre du don du fragment de tombeau de Louis X le Hutin (voir la brève du 14/1/19) qui n’aurait rien coûté au musée ni au contribuable. À L’Écho Républicain qui s’était à son tour intéressé à cette affaire (l’acheteur du fragment est originaire de Chartres), le Louvre avait osé répondre : « Même si on nous le donne, c’est l’argent d’une fondation. Cela voudrait dire que l’on valide le prix. On n’est pas là pour spéculer sur le marché de l’art. » Réellement, de qui le Louvre se moque-t-il, quand il refuse un don sous prétexte d’épargner l’argent du donateur et pour ne pas « spéculer sur le marché de l’art », alors qu’il achète presque simultanément un dessin de Cornelis Troost pour 459 000 € ?


Rappelons enfin que nous avons vu à New York chez Mark Brady le Portrait de Peiresc par Claude Mellan, dessin essentiel pour le patrimoine français (évidemment bien davantage que celui qui vient d’être acheté) proposé pour 250 000 € (avant négociation), soit la moitié du prix de ce Troost. Une feuille que le Louvre aurait pu acquérir pour 117 000 € aux enchères à Paris (soit à peine plus d’un quart du prix du Troost !) si Xavier Salmon n’avait pas décidé au dernier moment de baisser le prix que le Louvre était prêt à dépenser (voir la brève du 31/1/19). Tout cela fait vraiment beaucoup.

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