Le démantèlement et la destruction méthodiques du Palais des Consuls de Rouen

La fin de cet article a été substantiellement modifiée le 7 juin 2018 après la réponse reçu de la DRAC. Signez notre pétition.

1. Pierre Chirol, Robert Flavigny,
François Herr et Roger Pruvost
Palais des Consuls
Rouen
Photo : Giogo (CC BY-SA 4.0)
Voir l´image dans sa page

En 1944, le Palais des Consuls de Rouen, bel édifice du XVIIIe siècle dû à l’architecte Blondel était détruit par les bombes alliées [1]. En 1952-1956, alors que la reconstruction couvrait souvent la France de bâtiments médiocres et sans intérêt architectural, le Palais des Consuls (ill. 1) resortait de terre, moderne et dû à quatre architectes, Pierre Chirol, Robert Flavigny, François Herr et Roger Pruvost, accompagnés par des artistes issus de l’Art déco. Un escalier magnifique, des volumes splendides, des meubles et des luminaires d’André Arbus et Jean Adnet, des grilles de Raymond Subes… Tout cela n’existera bientôt plus. Et il n’aura pas fallu une guerre pour le faire disparaître, la France est tout à fait capable de détruire elle-même son patrimoine comme elle le démontre hélas régulièrement.


2. André Arbus (1903-1969)
Appliques
Laiton, bronze patiné or et verre
Rouen, Palais des Consuls
Vente du 24/6/18, Hôtel de vente des Carmes
Image extraite d’un reportage de France 3
Voir l´image dans sa page
3. Jacques Adnet (1900-1984)
Lustre monumental
Laiton, bronze et cuir
Rouen, Palais des Consuls
Vente du 24/6/18, Hôtel de vente des Carmes
Image extraite d’un reportage de France 3
Voir l´image dans sa page

Nous avions dénoncé dans un précédent article la dispersion du mobilier d’André Arbus et Jacques Adnet qui avait eu lieu en 2015, et nous avons été alerté de la vente prochaine, le 24 juin par l’hôtel de vente des Carmes, des luminaires des mêmes artistes (ill. 2 et 3), ainsi que d’autres meubles de Jacques Adnet qui n’avaient pas encore été mis à l’encan [2].


4. Pièce du Palais des Consuls de Rouen
Tout l’intérieur va être restructuré,
hors la façade
Image extraite d’un reportage de France 3
Voir l´image dans sa page
5. Pièce du Palais des Consuls de Rouen
Tout l’intérieur va être restructuré,
hors la façade
Image extraite d’un reportage de France 3
Voir l´image dans sa page

6. Escalier du Palais des Consuls de Rouen
avec sa ferronnerie de Raymond Subes et
ses bas-reliefs de Maurice de Bus
Ils seront « récupérés » et
« remis dans le futur bâtiment »
Image extraite d’un reportage de France 3
Voir l´image dans sa page

Mais le démantèlement de ce monument ne s’arrête pas à la dispersion du mobilier : tout l’intérieur - seul l’extérieur sera conservé, dans une belle opération de façadisme - va être « restructuré » pour devenir un hôtel, des logements et, ce qui justifie les pires destructions, des logements sociaux (ill. 4 et 5). Même l’escalier (ill. 6 à 9), avec sa rampe en ferronnerie par Raymond Subes, splendide, pas protégé contrairement à ce qu’on lit ici ou là, va être détruit pour être vaguement remonté dans le nouvel édifice. Selon le promoteur que l’on peut entendre dans ce reportage, « Il est vrai qu’il y a un escalier majestueux, qui est superbe à l’entrée de la CCI, qu’on ne va pas garder, par contre on a souhaité avec l’architecte maintenir un maximum de choses en récupérant la ferronnerie, en récupérant les fresques qui sont sur les murs pour le remettre dans le futur bâtiment et garder cet historique de bâtiment qui est emblématique de la ville de Rouen depuis près de 300 ans » Les « fresques », par parenthèse, sont en réalité des bas-reliefs de Maurice de Bus (ill. 10)...


7. Escalier du Palais des Consuls de Rouen
avec sa ferronnerie de Raymond Subes et
ses bas-reliefs de Maurice de Bus
Ils seront « récupérés » et
« remis dans le futur bâtiment »
Image extraite d’un reportage de France 3
Voir l´image dans sa page
8. Escalier du Palais des Consuls de Rouen
avec sa ferronnerie de Raymond Subes et
ses bas-reliefs de Maurice de Bus
Ils seront « récupérés » et
« remis dans le futur bâtiment »
Image extraite d’un reportage de France 3
Voir l´image dans sa page

Il s’agit donc d’un massacre patrimonial sciemment et méthodiquement organisé. Certes, la CCI explique - c’était aussi le cas pour celle de Lyon dans l’affaire du Musée des Arts décoratifs - qu’elle est saignée par les coupes budgétaires du gouvernement décidées sous François Hollande. Mais c’était au ministère de la Culture d’agir, en classant ce monument intégralement et d’office, s’il le fallait.

Mise à jour 7 juin 2018 : Néanmoins, la DRAC, contactée et qui nous a répondu après la parution de cet article, semble suivre ce dossier. Voici ce que nous a répondu Jean-Paul Ollivier, le directeur régional : « L’édifice est situé en secteur sauvegardé (SPR) et les travaux sont à ce titre suivis par l’architecte des bâtiments de France, cheffe de l’UDAP de Seine-Maritime. Un premier dossier a reçu un avis défavorable de sa part, les travaux envisagés étant jugés trop "impactants".
Un nouveau dossier a par conséquent été constitué. Pour autant, la nouvelle demande de permis de construire n’a pas encore été transmise à l’UDAP de Seine-Maritime. Elle fera l’objet d’une attention particulière de l’architecte des bâtiments de France, qui veillera dans son avis à la préservation des éléments significatifs de cet édifice de la Reconstruction.
 »


10. Escalier du Palais des Consuls de Rouen
avec sa ferronnerie de Raymond Subes et
ses bas-reliefs de Maurice de Bus
Ils seront « récupérés » et
« remis dans le futur bâtiment »
Image extraite d’un reportage de France 3
Voir l´image dans sa page
11. Maurice de Bus (1907-1963)
Bas-reliefs de l’escalier
Rouen, Palais des Consuls
Vont être « récupérés » pour être « remis dans le nouveau bâtiment »
Image tirée d’un reportage de France 3
Voir l´image dans sa page

S’il est dommage que la DRAC ne s’oppose pas à la vente des luminaires, partie intégrante de l’ensemble architectural, il n’est manifestement pas trop tard pour que le bâtiment soit protégé, le permis de construire n’étant pas encore accordé. Un classement d’office de ce monument, une mesure que le ministère de la Culture peut parfaitement décréter, et qui permettrait de le sauver avant de songer à une utilisation plus conforme à son caractère historique, est encore possible. La bataille n’est pas encore perdue, c’est pourquoi nous lançons aujourd’hui une pétition pour demander le classement monument historique du Palais des Consuls ainsi que le classement comme ensemble et in situ des luminaires.

Didier Rykner

P.-S.

Addendum 12/6/18. Certains semblant s’inquiéter d’une possible confusion entre la vente aux enchères et les travaux qui seront menés à l’intérieur du Palais des Consuls, nous tenons à faire les précisions suivante.

La vente des luminaires prévue le 24 juin n’a pas de rapport direct avec les travaux. Et, bien entendu, la responsabilité de cette décision est bien celle de la CCI, tandis que la responsabilité de ne pas avoir classé ou inscrit ces œuvres est celle de la DRAC, en aucun cas évidemment celle de la Société de Vente Volontaire qui ne fait que son travail.
Par ailleurs, les luminaires de l’escalier, comme nous l’a indiqué la commissaire-priseur, ne sont pas inclus dans la vente.
Il reste que les travaux prévus initialement prévoyaient bien, comme le confirme le promoteur dans la vidéo de France 3, que les éléments remarquables de l’escalier devaient être démontés puis « remis » dans le nouveau bâtiment. Manifestement, ces travaux ne sont plus de mise puisque le projet initial a été refusé par la DRAC. Si on peut espérer la conservation in situ de l’escalier, le nouveau projet ne lui a pas encore été soumis. Par ailleurs, l’escalier n’est pas le seul élément remarquable de ce bâtiment.
Nous ne savons pas, en l’état actuel des choses, quels seront les travaux qui seront ou non autorisés par celle-ci, et nous resterons vigilant à cet égard. Notre pétition, qui demande l’instance de classement monument historique, puis son classement, reste donc d’actualité. De même, les luminaires, qu’il s’agisse de meubles ou d’immeubles par destination, font partie intégrante du monument historique et nous ne pouvons que constater que leur vente est dommageable pour son intégrité.

Notes

[1Et non allemandes bien sûr comme nous l’avions écrit initialement par erreur.

[2Rappelons aussi la vente par la Chambre de Commerce et d’Industrie d’une esquisse de Lemonnier (voir l’article cité plus haut).

Mots-clés

Vos commentaires

Afin de pouvoir débattre des article et lire les contributions des autres abonnés, vous devez vous abonner à La Tribune de l’Art. Les avantages et les conditions de cet abonnement, qui vous permettra par ailleurs de soutenir La Tribune de l’Art, sont décrits sur la page d’abonnement.

Si vous êtes déjà abonné, connectez-vous.