Le degré zéro du débat

Installation d’une œuvre de Kapoor dans le
parc du château de Versailles
Photo : D. R.
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À chaque fois, cela recommence. Un artiste contemporain s’installe dans un lieu historique, de préférence classé, et la critique devient impossible, coincée entre les hurlements de ceux pour qui tout ce qui est art contemporain est forcément nul et ceux pour lesquels tout ce qui est art contemporain est forcément génial…
Les premiers sont en partie – mais en partie seulement – des extrémistes de droite. Pour les seconds, tous ceux qui s’opposent à une exposition d’art contemporain sont des extrêmistes de droite. Bref, le débat, normal en démocratie, est impossible.

Prenons l’exemple de Kapoor à Versailles. La Tribune de l’Art n’a jamais été très enthousiaste à l’idée de faire du château de Versailles un lieu d’exposition de l’art contemporain. Mais, ponctuellement, cela nous paraît moins gênant et moins grave que des restaurations abusives ou des reconstitutions absurdes… L’auteur de ces lignes s’est même retrouvé un jour – paradoxe ultime – sur un plateau de télévision [1], en train de défendre l’exposition Koons contre Jack Lang qui la critiquait sévèrement. Jack Lang est-il donc d’extrême-droite ?
Ponctuelles, ces expositions ne le sont pas. Tous les ans désormais, le château est envahi, à l’intérieur et/ou à l’extérieur d’œuvres qui n’ont pas grand-chose à y faire. Mais tout cela ne serait pas très grave si ces installations n’avaient tendance à se faire de plus en plus intrusives et, surtout, de plus en plus destructrices.

On en arrive donc à Kapoor. N’en déplaise à notre premier groupe, celui-ci est un véritable artiste. Mais a-t-on le droit ou non, pour répondre au second groupe, de critiquer certaines de ses œuvres ou celui-ci est-il intouchable ? Nous ne connaissons pas un seul cinéaste, pour prendre un exemple, qui fasse l’unanimité sur tous ses films. Pourquoi en irait-il autrement pour un plasticien ?
Les œuvres en elles-mêmes ne sont d’ailleurs pas en cause ici. N’étant pas critique d’art contemporain, nous nous garderons bien de porter sur elles un jugement artistique. Et bien entendu, encore moins un jugement moral… Que l’artiste ait voulu, ou non, représenter le « vagin de la reine » ne nous fait ni chaud ni froid. Nous ne sommes pas gardiens de la mémoire ni de la vertu de Marie-Antoinette, chacun peut créer ce qu’il veut, et appeler une œuvre comme il le veut (d’ailleurs, ici, ce n’est même pas son titre).

Ce qui est réellement scandaleux dans l’installation versaillaise, ce n’est pas l’œuvre de Kapoor, c’est le traitement que l’artiste, encouragé par la direction du château, a infligé au parc lui-même. Car les parterres ont été creusés de plusieurs mètres de profondeur et de largeur, et du béton a été coulé (ill.). On se demande d’ailleurs pourquoi ces travaux n’ont pas nécessité des fouilles archéologiques. On n’est plus ici dans une simple installation d’œuvre, on est dans une opération de travaux publics. Le parc de Louis XIV mérite-t-il cela ? Les visiteurs qui veulent tout bêtement voir le parc de Versailles (classé monument historique, site du patrimoine mondial…) peuvent-ils le faire sans se voir imposer une telle masse de pierre et d’acier dans le jardin ?

Mais les uns (par exemple les autoproclamés « Coordination Défense de Versailles » au vocabulaire totalement délirant [2]), comme les autres, qui n’aiment rien tant que traiter tout le monde de fasciste, ont finalement tout intérêt à ce que de telles polémiques puissent avoir lieu. Les monuments historiques deviennent simplement leurs otages.

Didier Rykner

Notes

[1C’était dans l’émission « Star Mag », animé par Éric Naulleau et Valérie Amarou, sur la chaine cablée Cinéstar (aujourd’hui disparue).

[2Il faut lire, pour les croire, leurs diatribes aux relents particulièrement nauséabonds : «  Le Monde entier est stupéfait, scandalisé, en état de choc ! au spectacle de Guerre, de dévastation, d’indécence, d’immondices, d’abjection et de saccage de Versailles, par Kapoor, supplétif indien « collabo » du pouvoir colonisateur anglo-saxon, dans ses Valeurs d’Ordre, d’Harmonie et de Paix, emblème et symbole de la France, piétinée, humiliée, outragée par son propre gouvernement inféodé à l’occupant anglo-saxon. "C’est un appel à la Révolution" nous dit, lui-même, Kapoor ! »… Précisons que le gras est d’origine.

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