Le citoyen et les journées du patrimoine

On attendait avec une impatience pondérée le thème des prochaines Journées du Patrimoine qui se déroulent les 17 et 18 septembre. Celui de l’année dernière invitait à célébrer « le Patrimoine du XXIe siècle » (voir l’article)… On en rit encore. Le choix d’un thème différent pour chaque édition a certainement un intérêt, qui nous échappe. On ne voit pas bien comment les milliers de monuments ouverts au public pourraient, dans leur diversité, le respecter, à moins de les déguiser tels les invités d’une fête costumée. Pour l’édition 2014, qui associait « culture et nature », il fallait sans doute ajouter quelques pots de fleurs aux fenêtres pour être dans le ton ; en 2015, pourquoi ne pas former un petit tas de pierres à l’entrée des bâtiments pour incarner le « patrimoine du XXIe siècle » logiquement en cours de construction. Et en 2016 ? Une cocarde fera l’affaire. Cette 33e édition en effet, a pour devise « Patrimoine et citoyenneté ». Comme celle de 1999 d’ailleurs. Mais depuis, la Loi Patrimoine a été votée, pour laquelle certains citoyens auraient bien aimé qu’on leur demande leur avis et surtout qu’on en tienne compte (voir les articles).

La citoyenneté, sujet édifiant... Il inspire de beaux discours vibrants, convoquant la paix, l’amour et la fraternité, mieux que ça : « le vivre-ensemble » (avec trait d’union). On sent cette émotion entre les lignes d’Audrey Azoulay : « En cette période où l’esprit civique est plus que jamais appelé à se manifester, il importe de rappeler que le patrimoine est à la fois un symbole de la citoyenneté française, et un lieu où elle peut trouver à s’exercer et à se renforcer.  » Le public est donc invité à se rendre en pèlerinage sur les « lieux symboliques de la naissance de la citoyenneté, lieux historiques de sa constitution, lieux actuels de pratique et d’exercice quotidiens ».
Étonnamment, la question de l’engagement du Citoyen envers le patrimoine n’est pas abordée, qui dépasse largement la simple visite de monuments deux jours par an. On semble oublier qu’il a le droit de jouir de cet héritage et le devoir de le transmettre aux générations futures. En théorie. La pratique, plus subtile, nécessite quelques rappels utiles.

Primo, tous les citoyens ne sont pas égaux. Il y a d’un côté les simples particuliers, de l’autre les puissants qui peuvent à loisir défigurer les monuments historiques. Ainsi Marcel Campion a imposé une grosse verrue scintillante sur l’une des plus belles places du monde : la grande roue a, de fait, occupé la Concorde sans autorisation pendant plusieurs mois (voir l’article) avant que l’État ne s’en émeuve un peu. L’UEFA [1] a quant à elle placardé gaillardement des publicités sur tous les murs, poteaux et lampadaires de la capitale à l’occasion de l’Euro de football, y compris sur les sites classés tels que le Champs de Mars (voir l’article de la SPPEF [2]). Ce n’est pas parce que c’est hors la loi qu’on ne peut pas le faire. Après tout, le foot, c’est sacré. Léon Cligman enfin, industriel au bras long, voudrait bien faire ajouter en toute simplicité une aile au Musée de Tours pour servir d’écrin à sa collection d’œuvres d’art et aux créations de sa femme artiste, Martine-Martine (sic) ; il suffit de court-circuiter la procédure avec la bénédiction de la DRAC Centre (voir l’article). Didier Rykner a croisé vendredi sa directrice Sylvie Le Clech et l’interrogeant sur l’absence de réponse à ses courriels, s’est vu opposer un majestueux : « je ne peux pas vous parler à ce sujet, il faut attendre que tout soit terminé ». Pour le patrimoine, il y a donc plusieurs catégories de citoyens : ceux qui savent et décident, et la masse ébahie qui n’a qu’à se taire.

Secundo, les citoyens n’ont pas le droit de ne pas être d’accord. Si on leur demande leur avis et que celui-ci s’avère contraire aux désirs des politiques, c’est que les citoyens sont des benêts, il est donc inutile de les écouter. CQFD. Anne Hidalgo est une adepte de la surdité sélective et piétine allègrement les pétitions que lui présentent des administrés fulminants (plus de 80 000 contre le vandalisme sur les Serres d’Auteuil, plus de 57 000 en quelques semaines contre le remplacement des kiosques...), mais se satisfait de l’avis de 40 000 personnes pour décider des choix du budget « participatif » dont la procédure est par ailleurs très opaque. On se souvient aussi du temps où Bertrand Delanoë (dont elle était la première adjointe, et en charge de l’urbanisme) avait demandé à ses administrés ce qu’ils pensaient des « immeubles de grande hauteur ». 62% des sondés s’étaient montrés défavorables. C’était en 2004 et trois ans plus tard le maire autorisait la construction de tours pouvant dépasser les 150 mètres. Parmi les projets, celui de la tour Triangle fut refusé une première fois par le Conseil de Paris. Qu’importe, Anne Hidalgo contesta le vote et en imposa un second pour lequel, curieusement, quelques élus centristes changèrent d’avis ! Ne parlons pas de la Commission du Vieux Paris, réduite à un rôle de faire-valoir dont deux-tiers des avis sont ignorés.

Tertio, le citoyen a de moins en moins de moyens légaux de s’opposer aux attaques contre le patrimoine. On limite le droit à agir des associations et des simples citoyens en rendant les recours toujours plus difficiles à mener. Ils risquent même d’être lourdement condamnés s’ils perdent (voir l’article). Les associations avaient cru être entendues lorsqu’elles se sont inquiétées de la loi sur la transition énergétique, signalant que l’isolation par l’extérieur était une menace pour bien des monuments. Or le décret du 30 mai 2016 leur adresse un gros pied de nez (voir l’article). Dans bien des cas pourtant, devant l’impéritie de l’administration, seul l’action des citoyens peut faire reculer les bétonneurs.

Finalement ce n’est pas le ministère de la Culture, mais bien celui de l’Agriculture qui respecte le mieux le thème de ces journées du Patrimoine en réunissant des poules, des cochons et des abeilles dans le jardin de l’hôtel de Villeroy ; un joli clin d’œil aux citoyens qui sont pris soit pour des moutons de Panurge, soit pour des vaches à lait, pour des pigeons dans tous les cas. Attention tout de même à ne pas trop titiller la fierté du coq.
Aux armes, citoyens, entendez-vous dans nos villes et nos campagnes, s’écrouler notre patrimoine ?

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