Le budget en trompe l’œil du ministère de la Culture

Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture
lors de la présentation du budget 2011
à la presse, le 29 septembre 2010
Photo : Didier Rykner
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L’exercice de prestidigitation est désormais rodé, même si le magicien n’est pas toujours le même. Chaque année, on nous annonce, chiffres à l’appui, que le budget du ministère de la Culture est en hausse. Chaque année, les gazettes reprennent en cœur cette bonne nouvelle, sans jamais vérifier l’information [1]. Il faut dire que le dossier de presse est particulièrement chargé en chiffres de toutes sortes, rendant presque impossible les comparaisons et nécessitant une étude très minutieuse du document.

D’après Frédéric Mitterrand donc, le budget 2011 de son ministère augmentera de 2,1% par rapport à 2010, soit 154 millions d’euros de plus que cette année. Il s’agit donc selon lui d’un « bon budget ». « Dans le domaine des Patrimoines, ajoute le ministre, le soutien de l’Etat est une fois encore renouvelé avec plus de 868 millions d’euros consacrés à ce secteur, soit une augmentation de 1,6%. »
On pourrait donc se réjouir de cette évolution qui compenserait grosso modo l’inflation [2]. Il faut pourtant y regarder à deux fois, et même à trois. On a beau comparer les chiffres, les triturer comme on le veut, il y a quelque chose qui ne fonctionne pas. Nous nous pencherons ici sur les budgets concernant le patrimoine et les musées, c’est-à-dire le champ couvert par La Tribune de l’Art.

Le ministère prend soin de préciser que la nouvelle organisation a entrainé des changements dans la répartition des budgets et l’élaboration d’une nouvelle maquette [3]. Ceci ne remet pas en cause notre analyse, car nous avons pris soin de comparer des budgets s’attachant à des actions précises, avec des périmètres identiques en 2009, 2010 et 2011.
Nous ne regardons ici, pour simplifier, que les crédits de paiements, c’est à dire les sommes effectivement versées au cours d’un exercice, d’autant que les autorisations d’engagement ne sont pas toujours indiquées.

 Patrimoine et archéologie

Dans le budget 2010, on trouvait les chiffres suivants [4] (il s’agit des crédits de paiement, sans les charges de personnel) :

2009 : 322,69 millions d’euros [5]

2010 : 399,9 millions d’euros.

Il était donc prévu qu’on frôle en 2010 les 400 millions d’euros, chiffre considéré par tous comme étant un minimum pour le patrimoine monumental. Remarquons toutefois que ce chiffre incluait aussi l’archéologie.

Le budget 2011 ne rappelle plus le chiffre 2010 prévu dans le budget 2010, mais prévoit pour 2011 un montant de 386,1 millions si l’on ajoute les programmes « patrimoine monumental » et « patrimoine archéologique [6] ».
On constate donc une baisse de 3,45 %, alors que le ministère affirme une stabilité dans ce domaine. Notons en outre que les fonds destinés aux monuments historiques comprennent la taxe instaurée sur les jeux en lignes et affectée au Centre des monuments nationaux, alors qu’il était normalement prévu que cette somme viendrait en supplément.

 Musées

Le budget consacré aux musées est effectivement prévu à la hausse en 2011 par rapport à 2010, ce qui est bien le moins compte tenu de l’annonce du « plan musées » faite en septembre par le ministre (voir l’article). Mais là encore, ce qui est annoncé ne se retrouve pas dans les chiffres.

Tout d’abord, signalons que le budget consacré aux acquisitions est en forte baisse, ce que le ministère s’est bien gardé de souligner et ce qui constitue un bien mauvais coup porté à l’enrichissement des musées et à la protection du patrimoine, surtout lorsque l’on considère l’augmentation toujours croissante des prix des œuvres d’art. En effet, alors que ce budget stagnait déjà entre 2009 et 2010 [7] (19,49 millions d’euros, ce qui est un chiffre tout à fait ridicule), il diminue encore à 16,6 millions en 2011 [8] Les musées de province, qui ont déjà bien du mal à acheter, sont particulièrement touchés puisque le Fonds Régional d’Acquisition des Musées aura « plus de 2 millions d’euros en 2011 [9] » alors qu’en 2010 il était de 2,7 millions. Soit une baisse de près de 26 % !

Quant au budget « Patrimoine des musées de France », en toute logique, il aurait dû au minimum passer de 365,20 millions d’euros, chiffre prévu pour 2010 dans le budget 2010 [10], à 388,53 millions en 2011, en se contentant de rajouter un tiers des 70 millions du plan musées (prévu sur trois ans), et même davantage encore puisqu’en p. 16 du dossier de presse, on apprend que ce sont 25,1 millions d’euros, soit plus d’un tiers des 70 millions, qui seront affectés en crédits de paiement en 2011… ce qui aurait d’ailleurs signifié une stagnation du budget hors plan musées.
Or, le budget 2011, annoncé pour cette action dans le budget 2011 n’est que de 371,3 millions d’euros [11] ! Il manque donc plus de 17 millions sur les 23,3 millions du plan musées qui auraient dû au minimum être affectés en 2011. Bref, le plan musées n’est que poudre aux yeux.

Il est probable que ces baisses (ou ces hausses nettement moindres qu’annoncées) sont présentes dans bien d’autres chapitres de ce budget. Il est cependant difficile de comparer l’évolution de postes tels que la « Mission culture » [12], ou même celle du budget total du ministère, tant les présentations entre les budgets 2009 et 2010 sont différentes. La complexité est d’ailleurs bien pratique pour cacher des pratiques assez peu transparentes.
Quoi qu’il en soit, le ministre semble décidément fâché avec les chiffres. A la question que nous lui posions, lors de la conférence de presse, sur la baisse des subventions de l’Etat aux trois grands musées parisiens, le Louvre, Orsay et Beaubourg [13] celui-ci a répondu qu’elle était maintenue et qu’elle se montait à 5% sur trois ans, chiffre qu’il a répété à plusieurs reprises, alors que plusieurs journalistes s’en étonnaient. En réalité, ce chiffre est de 10% sur trois ans.

En conclusion, comment s’étonner de ces tours de passe-passe. : il y avait tout de même un mystère à voir le budget de la Culture augmenter tous les ans alors que les acteurs du terrain constatent la baisse constante des moyens qui leur sont accordés.

Didier Rykner

Notes

[1A l’exception notable du Journal des Arts et de sa journaliste Sophie Flouquet, qui analyse toujours les annonces du ministère avec pertinence et recul critique.

[2En 2010, les prévisions du taux d’inflation sont environ de 1,7%.

[3p. 7 et 8 du dossier de presse.

[4p. 29 du dossier de presse.

[5Ce chiffre incluait des ressources extrabudgétaires qui ont disparu l’année suivante.

[6Les chiffres se trouvent p. 10 du dossier de presse.

[7p. 34 du dossier de presse du budget 2010.

[8p. 17 du dossier de presse du budget 2011.

[9Sans plus de précision, on peut être sûr qu’il ne sera pas très supérieur à 2 millions.

[10p. 34 du dossier de presse.

[11Ce calcul peut être effectué simplement puisqu’en page 10 du dossier de presse on apprend que le budget 2011 prévoit 387,9 millions de crédits de paiement pour les musées et acquisitions patrimoniales, chiffre auquel il faut enlever les 16,6 millions des acquisitions patrimoniales.

[12La mission Culture regroupe, outre le patrimoine et les musées, les archives, l’architecture, le programme « création » et le programme « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture ».

[13Les trois présidents de ces établissements avaient envoyé une lettre à Frédéric Mitterrand pour s’en inquiéter.

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