La « restitution » du sabre d’El Hadj Oumar Tall : un périlleux galop d’essai au mépris du droit et de l’histoire

Yves Bernard Debie est avocat, spécialiste du droit du commerce de l’art et des biens culturels.

Pour son premier déplacement officiel à Dakar, Edouard Philippe, a posé ce dimanche 17 novembre, la première pierre à l’édifice des « restitutions du patrimoine africain à l’Afrique » voulues par le Président Macron [1].

Les déclarations du Premier Ministre, relayées sur son compte Twitter, sont sans équivoque : « Nous engageons aujourd’hui le processus de restitution au Sénégal du sabre d’El Hadj Oumar Tall ».



Les raisons de cette restitution y apparaissent tout aussi évidentes : « le sabre d’El Hadj Oumar Tall est un symbole de l’histoire du Sénégal et de ses pays voisins. Sa place est au Sénégal ».

Que pourrait-on trouver à redire à cette restitution en bonne et due forme dont la légitimité historique, morale et symbolique paraît tellement évidente. Après tout, ne s’agit-il pas, comme le rappelle Edouard Philippe, du sabre « d’un grand conquérant, d’un guide spirituel », « d’un fondateur d’empire, d’un érudit » ; un sabre qui « symbolise l’amitié et le respect entre nos peuples » ?


Manufacture Coulaux & Cie
Sabre dit d’El Hadj Oumar Tall
Paris, Musée de l’Armée
Photo : Musée de l’Armée
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On ne saurait dire si l’enfant sera beau mais ce qui est certain c’est que l’Histoire est une nouvelle fois violée, au même titre que le droit.

Tout d’abord, en effet, il ne s’agit évidemment pas d’une restitution au sens du droit – celle-ci demeure illégale – mais d’un nouveau tour de passe-passe destiné, précisément, à contourner la loi qui protège le domaine public mobilier de l’État français, dont font parties les collections muséales, lesquelles sont à ce titre sont inaliénables, imprescriptibles et insaisissables.

Le sabre dit d’El Hadj Oumar Tall, collection du musée de l’Armée à Paris, appartient encore et toujours au domaine public français et ce jusqu’au jour, dont ne doute malheureusement pas un instant l’exécutif, où le Parlement français, aux ordres du Prince, fera sauter – sabre au clair – le principe d’inaliénabilité qui s’attache depuis l’édit de Moulins de 1566 au domaine public.

A ce stade, comme le relèvent nombre de commentateurs, notamment africains, cette restitution, annoncée en grande pompe, n’est qu’un prêt de cinq ans consenti au Sénégal.

Et puis, osons le dire, ce sabre pas plus qu’aucun autre, voire moins que tout autre, ne pourrait « symboliser l’amitié et le respect » entre les peuples français et sénégalais, dont Léopold Sédar Senghor est quant à lui le véritable trait d’union.

Ce sabre dont la lame fut forgée en France n’est rien d’autre que l’affirmation d’un pouvoir brutal exercé sans partage par son illustre propriétaire originaire, El Hadj Oumar Tall, qui, pour « guide spirituel » ou « érudit » qu’il fut, mena également l’une des premières grandes guerres saintes islamiques que connut l’Afrique occidentale au XIXe siècle et c’est en menant le djihad qu’El Hadj Oumar Tall fonda l’empire Toucouleur sur le territoire de ce qui est aujourd’hui la Guinée, le Sénégal et le Mali.

Si, comme l’a déclaré le président sénégalais Macky Sall, « le patrimoine rapatrié à sa source relie les peuples à leur histoire », celle-ci n’est pas celle dont on voudrait nous imposer l’image pour justifier de l’abandon du principe d’inaliénabilité des collections muséales et légitimer les restitutions coûte que coûte.

Ainsi, la simple lecture des travaux de l’historienne malienne Madina Ly-Tall publiés en 1996 dans le volume VI de l’« Histoire générale de l’Afrique », pages 658 à 682, montre « la violence avec laquelle l’islam fut imposé à des peuples pétris par plusieurs siècles de croyances à leurs religions traditionnelles » notamment aux populations animistes bambara, dont plusieurs cités importantes furent ravagées par les mudjāhidūn d’El Hadj Oumar Tall, pour qui « la terreur était une arme stratégique : massacre des hommes, réduction à l’esclavage des femmes et des enfants brisaient le moral des pays menacés et amenaient certains à se rendre sans combattre » (p. 671). L’historienne décrit également la pratique systématique du butin de guerre (p. 675) dont les chantres des restitutions font souvent la justification. On pourrait encore citer d’autres travaux comme ceux du professeur Ira M. Lapidus sur une économie fondée sur l’esclavage [2].

Enfin, et pardon de m’accrocher à des détails historiques qui ne semblent pas intéresser le politique, mais contrairement à ce que prétend Edouard Philippe, « Le petit-fils d’El Hadj Oumar » n’a pas « été le premier officier de Saint Cyr d’origine africaine » puisque le général Dodds, héros de la campagne du Dahomey, fut promu presque trente ans plus tôt, en 1862.

Convenons également qu’il est plus que curieux de restituer le dimanche un symbole de l’établissement par le djihad d’un empire islamique fondé au prix de la soumission brutale de populations locales animistes et de participer le lendemain à un forum consacré à la paix et la sécurité en Afrique en fustigeant, à juste titre cette fois, les groupes terroristes se revendiquant de Daesh dont, finalement, le but n’est autre que d’imposer à leur tour par la force un état islamique, notamment, comme le fit au Mali celui dont on honorait la mémoire la veille, El Hadj Oumar Tall.

La place du sabre d’El Hadj Oumar Tall est-elle au Sénégal, comme l’affirme Edouard Philippe ? Rien n’est moins certain mais, à Paris, il n’était que le souvenir d’une victoire d’un empire colonial sur un autre, alors qu’à Dakar, il risque de redevenir celui de l’un des premiers califats imposés en Afrique de l’Ouest par la violence.

Ce galop d’essai pour de plus amples restitutions, conçues au mépris du droit et de l’histoire, pose finalement plus de questions et de problèmes qu’il n’en résout.

Remerciements au Docteur Julien Volper, conservateur au Musée royal de l’Afrique centrale de Belgique et Maître de conférences à l’Université Libre de Bruxelles.

Sources :

https://unesdoc.unesco.org/ark :/48223/pf0000184314

https://www.seneweb.com/news/Societe/felwine-sarr-quot-le-sabre-est-bel-et-bi_n_300749.html

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