La « restauration » de la piscine Molitor, une imposture patrimoniale

Lors de la présentation à la presse de la « nouvelle » piscine Molitor, les discours du directeur des lieux, Vincent Mézard, et celui du président directeur général du groupe Accor, Sébastien Bazin, tout à la gloire de cette imposture patrimoniale et de cette grosse opération immobilière, ont été longuement applaudis par au moins la moitié des quelques dizaines de journalistes présents. Cela en dit long et permet de mieux comprendre la désinformation à laquelle nous sommes confrontés depuis quelques jours.


1. Lucien Pollet
Piscine Molitor
Carte postale ancienne
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2. Piscine Molitor après sa destruction et sa reconstruction
Photo : Didier Rykner
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Non, la piscine Molitor n’a pas été restaurée. Non, elle ne connaît pas une deuxième vie. La piscine Molitor, celle construite par Lucien Pollet, a été entièrement détruite comme nous l’avions dit dans un précédent article [1] en montrant les photos. Puis elle a été reconstruite « à la manière de ». Il s’agit en réalité d’un faux, plus grand que nature puisque l’ensemble a été surélevé pour construire un hôtel de luxe. Quelques vitraux ont été sauvés et réinstallés dans le restaurant, les rambardes de la piscine ont été, paraît-il, récupérées (en fait, une partie a été refaite « avec exactement les mêmes moules [2] »).


3. Bassin couvert de la piscine Molitor avant sa destruction
alors qu’elle était livrée aux squatteurs et aux taggeurs
État en 2011
Photo : Wikimedia/Getfunky Paris/Licence Creative Commons
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4. La piscine Molitor après démolition et reconstruction
Photo : Didier Rykner
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Bref, rien ou presque n’est authentique. Bien sûr, la ville de Paris, qui a l’habitude de raconter n’importe quoi (comme de proclamer sans rire avoir sauvé la halle Freyssinet !), explique que la façade Art Déco du bâtiment du côté du stade Jean Bouin est celle d’origine… On comparera donc une carte postale ancienne avec l’état aujourd’hui (ill. 1 et 2). Il faut un sacré culot pour oser dire que la façade, reconstruite pas du tout à l’identique, a été restaurée (dans son jaune « d’origine » qui plus est !).


5. Vue d’une cabine autour du bassin d’hiver
Photo : Didier Rykner
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6. Vue d’une « cabine » (en réalité un décor)
autour du bassin d’été
Photo : Didier Rykner
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Tout est bidon dans cette rénovation. Il suffit de comparer la verrière du bassin couvert telle qu’elle existait encore naguère avec celle qui a été reconstruite (ill. 3 et 4). Il suffit de regarder l’intérieur d’une cabine parmi celles qui entourent le bassin couvert (ill. 5). Pour le bassin olympique, les cabines ne sont en réalité qu’un décor qui débouche sur un mur (ill. 6) quand elles n’ont pas laissé place à des fenêtres pour les chambres de l’hôtel. Celles-ci ont imposé une surélévation qui est visible de l’extérieur, comme de l’intérieur. D’ailleurs, on comparera les deux ill. 7 et 8 pour voir que même l’architecture des balustrades n’a pas été respectée.
Tout cela est grotesque.


7. Lucien Pollet
Piscine Molitor, bassin d’été
Vue ancienne d’après une carte postale
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8. Vue du bassin d’été après sa destruction et sa reconstruction
Non content d’être surélevé, les rambardes ne correspondent pas
et les cabines sont fausses...
Photo : Didier Rykner
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Il est vrai que la Mairie de Paris actuelle n’est pas la seule responsable. L’équipe précédente (les Chirac-Tibéri) porte également une lourde responsabilité. Quant au ministère de la Culture, via la DRAC Île-de-France, il a tout accepté, alors que la piscine avait été inscrite aux monuments historiques en 1990. Une inscription qui existe d’ailleurs toujours ce qui constitue la tartufferie suprême alors que le « monument historique » a entièrement disparu.
Quant au projet actuel, il faut une certaine inconscience pour avouer ce qu’a dit le PDG d’Accor devant des journalistes (il est vrai presque tous acquis à sa cause) : « En 2007, Bertrand Delanoë vient me voir et me dit "Sébastien, il faut que quelqu’un fasse revivre Molitor. Et il faut que je fasse un appel d’offre donc il faut que tu gagnes, cela veut donc dire il faut que ton dossier soit le meilleur". » Belle preuve d’indépendance de la mairie par rapport à la société qui, quel hasard, a finalement gagné l’appel d’offre…

Hôtel de luxe, club très fermé : 1000 adhérents seulement, cooptés (on n’accepte tout de même pas n’importe qui) pourront avoir accès à la piscine après avoir payé 1200 € de droit d’inscription, puis 3300 € par an ! Ou la mairie de Paris au service de ses habitants et de son patrimoine [3].


Le site de la piscine Molitor avant et après reconstruction
Et on parle d’une restauration d’un monument historique ?
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P. S. Grâce à Twitter et à ces comptes (@AbeilleArchi et @peccadille), on peut comparer des vues aériennes après destruction et après reconstruction. Ceux qui pensent qu’il s’agit d’une restauration vont avoir du mal à l’expliquer (voir aussi cet excellent article) sur le blog de L’Abeille et l’Architecte.

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