La nouvelle base de données des œuvres du Louvre

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1. Page d’accueil de la base de données du Louvre
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Depuis vendredi officiellement, mais en réalité depuis mardi dernier, le Louvre a donc mis en ligne sa nouvelle base de données des œuvres (ill. 1), qu’on nous présente fièrement comme « gratuite », comme si cela n’allait pas de soi (connaît-on un musée dans le monde qui ferait payer l’accès à ses collections en ligne ?). Mais si cette base constitue incontestablement une nette amélioration de ce qui existait, on est bien loin d’une révolution. Car cela fait de nombreuses années que les plus grands musées du monde - même parfois de plus petits - se sont déjà dotés d’un tel outil. Et car il reste encore pas mal de chemin à parcourir pour parvenir enfin à un produit tout à fait satisfaisant.

Le Louvre disposait jusqu’à présent de deux bases de données : l’inventaire des collections d’art graphiques (ill. 2), qui a été entièrement reversé dans la nouvelle base, et la base « Cartel » (ill. 3) qui avait comme caractéristique très étrange de ne donner accès qu’aux œuvres présentées dans le musée, oubliant par là même toutes celles conservées en réserves. Or, comme nous le disions, une base complète des collections existe depuis longtemps pour les autres grands musées, qu’il s’agisse des musées londoniens (National Gallery, Victoria & Albert Museum, British Museum), du Metropolitan Museum de New York, du Prado à Madrid, du Rijksmuseum à Amsterdam, de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg, et pour la France d’Orsay, de Versailles ou du Quai Branly… Seul parmi eux le Louvre attendait encore une base théoriquement exhaustive. Théoriquement, car tout n’est pas encore en ligne.


2. Page d’accueil du site des collections du département des arts graphiques
(encore en ligne)
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3. Page d’accueil de l’ancienne base Cartel
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Une grande partie des œuvres sont illustrées, parfois avec de nombreuses images, mais il est regrettable que celles-ci ne soient pas en haute définition, ni libres de droits, comme c’est le cas par exemple pour le Metropolitan Museum. Sur la question des droits, sans doute faut-il surtout blâmer le ministère de la Culture qui n’a encore pas de politique bien claire dans ce domaine où le copyfraud (l’utilisation abusive d’un copyright sur des œuvres du domaine public) fait rage. Rien n’interdirait la mise à disposition en haute définition de ces photos, si ce n’est bien sûr la crainte qu’elles puissent être réutilisées, ce qui devrait pourtant être la norme.

On peut également regretter la légèreté des notices. Contrairement, encore une fois, au Metropolitan Museum qui dispose pour la plupart des œuvres d’essais développés, la base du Louvre se contente de reprendre les informations techniques, l’historique, la bibliographie… C’est déjà très bien mais on attendrait davantage d’un musée qui prétend mettre « l’accessibilité au cœur de ses missions ».

Plus gênant : le site du Louvre a également fait l’objet d’une refonte, et certaines notices qu’on y trouvait n’existent plus nulle part, ni sur le nouveau site, ni dans la nouvelle base. C’est ainsi que notre brève consacrée à l’acquisition du Génie de la Sculpture de Falconet, publiée il y a quelques jours, renvoyait à une page et une notice sur le site du Louvre qui a disparu (erreur 404) ! On peut la retrouver néanmoins via Webarchive. Aucune des œuvres choisies qui étaient décrites sur ce site ne le sont désormais. Prenons un autre exemple : Apollon et Daphné de Giovanni Battista Tiepolo. Voilà ce qu’on avait sur l’ancien site du Louvre, qui n’existe plus nulle part, ni sur le site du musée, ni dans sa notice dans la base de données. Il s’agit donc d’une véritable régression.

Les notices de la base sont, d’après les conditions générales d’utilisation, et contrairement aux photos, d’utilisation libres sous la licence ouverte « Etalab ». Le contraire aurait été tout de même très étonnant puisqu’il ne s’agit pas, comme nous l’avons dit, de notices originales, mais uniquement d’informations techniques qui ne constituent pas, au sens de la propriété intellectuelle, une « œuvre de l’esprit ». Prenons un seul exemple : Les Bergers d’Arcadie de Nicolas Poussin : pour un des tableaux les plus importants du musée, on n’a dans la base, outre les données techniques, historiques et la localisation, que la bibliographie et les expositions. Aucune notice. Et il en va de même pour la Joconde


4. Gian Lorenzo Bernini (1598-1680)
Buste du cardinal de Richelieu, 1641
Marbre - 83 x 70 x 32 cm
Paris, Musée du Louvre
Photo : Hervé Lewandowski
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La recherche des œuvres occasionne quelques surprises. Alors que le Louvre se targue d’un site polyglotte, si un étranger veut trouver une œuvre du Bernin, et tape logiquement « Bernini » dans le champ de recherche, en réduisant la recherche à « sculptures »->https://collections.louvre.fr/recherche?q=Bernini&typology%5B0%5D=3], il ne trouvera aucune œuvre de Giovanni Lorenzo Bernini, mais seulement L’Enfant Jésus jouant avec un clou de son fils Paolo, Adam et Ève avec le serpent à tête de femme de Pierre Franqueville (qui a été également attribué à Bernini, mais cette fois à Pietro, le père), une sculpture de Prisonnier barbare restaurée par ce dernier, et enfin l’Hermaphrodite Borghèse, dont le matelas a été restauré par Bernini, cette fois le bon. Aucune trace, en revanche, du buste de Richelieu (ill. 4), de L’Ange portant la couronne d’épines ou du buste du pape Urbain VIII, des originaux de Gian Lorenzo Bernini, eux, mais auxquels on ne peut accéder qu’en tapant « Bernin ».

Plus grave encore : une recherche « Prud’hon » ne ramène que 17 résultats, parmi lesquels seulement deux tableaux et un dessin de Pierre-Paul Prud’hon ! Non que les autres tableaux de l’artiste soit absents de la base, heureusement, puisqu’on trouve ces tableaux en recherche avancée, mais tout de même…


5. Mode de recherche selon l’attribution de la base de données
des arts graphiques qu’on ne retrouve pas dans la nouvelle base
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Si la base de données des Arts Graphiques a été reversée dans cette nouvelle base, comme nous le signalions, aucune information supplémentaire ne semble y figurer. Au contraire même : une fonctionnalité extrêmement pratique a disparu (ill. 5), celle qui permettait de n’afficher que les œuvres originales, de l’atelier, de l’école de, attribuées, copiées d’après, ou gravées d’après, ou même anciennement classées sous ce nom, proposées au reclassement sous ce nom, ou encore classées sous un autre nom mais inspirées ou gravées d’après l’artiste. Cela peut être très gênant pour des artistes comme Charles Le Brun dont un fonds important est conservé au Louvre. Heureusement, la base des Arts Graphiques est toujours accessible, mais jusqu’à quand ? Et est-il bien sérieux de devoir consulter une seconde base pour une seule recherche ?

Toujours pour Charles Le Brun, on ne s’explique pas que la recherche dans la base Arts Graphiques donne 4384 résultats [1] alors que la même recherche dans la nouvelle base n’en donne que… 1851. Nous n’avons pas regardé toutes les fiches et nous ne sommes pas en mesure d’expliquer cette différence, tout de même intrigante.

Enfin, toujours en consultant l’exemple de Charles Le Brun, et contrairement à ce qu’on a pu lire par ailleurs, la localisation de l’œuvre lorsque celle-ci est déposée dans un autre musée, est impossible à rechercher. Ainsi, aucune recherche par localisation autre n’est proposée, alors que certaines œuvres sont déposées à Versailles ou ont été envoyées dans les réserves de Lens ou de Liévin…


6. Recherche combinée "Service de l’histoire du Louvre" et "Peintures"
qui renvoie uniquement aux œuvres... d’Othoniel !
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Si, malgré la page d’accueil qui propose de chercher par technique, les départements sont bien présents dans la base de données, contrairement à ce que nous craignions, la recherche des œuvres relevant du « Service de l’histoire du Louvre », si mal traitées depuis le nouvel aménagement du pavillon de l’Horloge, s’avère particulièrement complexe. En effet, il ne s’agit pas à proprement parler d’un département et les peintures et sculptures qui y sont liées dépendent en réalité des départements respectifs des peintures et des sculptures. Cela n’empêchait pas d’ajouter ce critère à la base de données, ce qui n’a pas été fait. Si l’on veut trouver les peintures en rapport avec l’histoire du Louvre (par exemple les esquisses de plafonds du XIXe siècle), on obtient dans tous les cas des résultats aussi surprenants qu’absurdes.
Premier exemple : dans la recherche avancée, on choisit « Service de l’Histoire du Louvre » dans le champ « Collection » et on tape « Peinture » dans le champ « Matière/Technique », et on obtient 37 résultats qui n’ont aucun rapport avec les peintures. Si l’on choisit « Service de l’Histoire du Louvre » et « Huile », on obtient bien plus de résultats, mais pas un seul qui soit pertinent.
Si l’on choisit « Service de l’Histoire du Louvre » puis à gauche qu’on restreint la recherche à la catégorie « Peintures », on obtient… les six œuvres de Jean-Michel Othoniel. La peinture pour l’histoire du Louvre, c’est donc Jean-Michel Othoniel (ill. 6) !

La base permet également de découvrir les collections du Louvre via d’autres points d’entrée. Ainsi, les œuvres MNR (Musées Nationaux Récupération) sont entièrement publiées, venant ainsi s’ajouter, pour la diffusion de ces informations, à la base Rose Valland disponible sur le moteur de recherche pop.culture.fr, et au moteur collections.

Quelques nouvelles acquisitions, celles de 2020, sont également répertoriées, mais comme précédemment de manière très incomplète, et parfois sans photos alors que celles-ci existent, ayant été publiées dans Grande Galerie ou tout simplement sur La Tribune de l’Art comme ces deux miniatures de Simon Bening (voir la brève du 20/9/20) ou ce Portrait de Mazarin par Simon Vouet (voir la brève du 27/5/20). La sculpture de Falconet dont nous avons récemment parlé est également dans les nouvelles acquisitions, mais avec des photos avant restauration ! Quant aux manques, ils sont criants : la terre cuite de Dannecker (voir la brève du 18/12/20), le tableau de Douault-Wieland (voir la brève du 4/11/20), le dessin d’architecture pour le Louvre (voir la brève du 1/8/20), le petit bronze de Ponce Jacquiot (voir la brève du 9/6/20) ou un pastel de Marie-Gabrielle Capet (voir la brève du 2/3/20)… Ils ne sont pas seulement absents de la liste des acquisitions de 2020, ils le sont de la base ! Outre que cela confirme ce que beaucoup de conservateurs du Louvre nous disent, qu’ils sont bien mieux informés par La Tribune de l’Art que par la communication du musée, cela augure mal de la mise à jour d’une base qui vient d’être mise en ligne et ne l’est pas pour les œuvres les plus récentes.


7. Ce tableau n’est pas de l’École d’Ingres, pas davantage que de l’École de France
Il est d’Ingres, et de l’école française !
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D’autres points montrent que manifestement cette base a été assez peu testée par les conservateurs. Ainsi, de la présentation des auteurs avec leur nom suivi à la ligne inférieur de « France, École de » qui pourrait laisser penser, comme dans cet exemple avec Ingres ((ill. 7), qu’il s’agit d’un tableau de l’école d’Ingres alors qu’il est évidemment autographe. D’ailleurs, que signifie l’emploi d’« École de France » pour « École française » ? On est plus dans un sabir d’informaticien que d’historien de l’art.
Quant aux images, si elles ne sont pas en haute définition comme nous l’avons déjà dit, certaines sont vraiment de très petite taille comme ce carton de Janmot, pourtant de format imposant (109 x 135 cm), dont l’image n’a que 768 pixels dans sa plus grande dimension.

Tout donne donc à croire que la mise en ligne de ce site bien venu a été un peu accélérée. Rien d’étonnant à cela : la date correspond à la fin du mandat de Jean-Luc Martinez qui devrait - ou non - être renouvelé dans les jours qui viennent. Il compte sur cette mise en ligne pour améliorer un bilan réellement peu glorieux. Pas sûr que cela soit suffisant.

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