La grande misère des musées de la Ville de Paris

Gustave Doré (1832-1883)
Étude pour d’Artagnan, vers 1880
Œuvre non acquise par le Musée Carnavalet
Préparatoire au monument d’Alexandre Dumas
de la place du général Catroux à Paris.
Plâtre - 63 x 40 x 30 cm
Vente Artcurial, Paris 10 avril 2013
Photo : Artcurial
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Lorsque l’on critique les budgets ridicules que la Mairie de Paris accorde à la restauration des édifices religieux, celle-ci rétorque en général que la situation est bien meilleure que celle que l’on connaissait sous l’ancienne municipalité. Outre que cette comparaison avec une époque qui date de plus de treize ans (et quasiment d’un autre siècle) devient de moins en moins pertinente avec les années, outre que nous n’avons jamais pensé à prendre l’ère Chirac-Tibéri comme un modèle à suivre, nous ne sommes même pas certain que cette affirmation soit vraie. Il faudrait – ce que nous comptons faire – nous plonger dans les archives pour trouver les chiffres exacts.

Il y a, en revanche, un domaine où les chiffres sont connus puisque nous lui avions consacré une brève le 13/1/04. Il s’agit du budget d’acquisition des musées de la Ville de Paris. À l’époque, déjà, nous avions dénoncé le passage brutal de celui-ci de 3,9 millions d’euros en 2003 à 1,1 millions en 2004. La municipalité expliquait cette énorme baisse par les travaux effectués alors sur le Musée du Petit Palais, le Musée Cernuschi et celui d’Art Moderne. Une explication déjà très discutable, car beaucoup de villes, au contraire, pendant la fermeture de leurs musées pour travaux, continuent à enrichir les collections. Depuis, tous ces travaux sont terminés sans bien entendu que le budget d’acquisition soit rétabli. On en est même bien loin puisque celui-ci est désormais, pour l’année 2014, de 835 000 €, dont la moitié consacrée au Musée d’Art Moderne.

Car ce chiffre, absolument ridicule pour une ville comme Paris, doit être mis en regard des 3,9 millions d’euros en 2004 qui, à euro constant, représenterait aujourd’hui environ 4,6 millions [1]. On constate donc qu’en treize ans, Bertrand Delanoë et Anne Hidalgo ont diminué presque par six le budget d’acquisition des musées parisiens.
Cette situation montre tout le cas que cette municipalité fait de la culture. Et puisqu’elle aime les comparaisons, d’autres sont possibles :

 835 000 €, cela représente (pour un budget total égal à 7 milliards d’euros) 0,01 % du budget de la ville ;

 835 000 €, cela équivaut (pour un nombre d’habitants à Paris de 2,211 millions) à 36 centimes par habitant.

 835 000 €, cela signifie seulement, pour 11 musées [2], à peu près le double du budget d’acquisition donné par la Communauté d’Agglomération de Montpellier au seul Musée Fabre (400 000 €). Cette collectivité ayant 423 900 habitants environ, on obtient 94 centimes par habitant. Soit 2,6 fois plus pour un seul musée, que Paris n’en donne par habitant pour 11 musées ! Et on peut remarquer qu’en 2012 par exemple, le budget de Montpellier avait été porté à 750 000 €, soit 1,77 € par habitant…

 835 000 €, c’est exactement 30,5 % de moins que la nuit blanche, une manifestation éphémère (« festive », qualificatif qu’adore la maire) qui coûte chaque année 1,2 millions d’euros à la ville ;

 835 000 €, c’est 3,34 % de ce que ce que la municipalité a dépensé pour défigurer la place de la République (24 millions !),

 835 000 €, c’est 0,53 % du budget de construction du Stade Jean Bouin (157 millions) [3]) qui accueillera 14 (14 !) matchs de rugby sur la saison à venir (août-septembre) ; soit, sur une durée d’amortissement de 20 ans, en comptant 15 matchs par an, un coût de 523 000 € par matchs. En gros, le budget d’acquisition des musées de la Ville de Paris représente ce qu’a déboursé la ville pour 1,6 match de rugby !

On pourrait continuer longtemps ces comparaisons, accablantes. Le résultat, depuis plus de dix ans, est dramatique. Alors qu’en 2001 le Musée Carnavalet pouvait encore acheter un important tableau de François Gérard (actuellement exposé à Fontainebleau), cela fait bien longtemps que sa politique d’acquisition est quasiment au point mort. Toutes les œuvres importantes en relation avec Paris qui passent sur le marché lui échappent (ill.). Le Petit Palais, longtemps amorphe sous la direction de Gilles Chazal, le Musée de la Vie Romantique ou le Musée Cognacq-Jay font comme ils peuvent avec les faibles moyens qui leur sont alloués… Heureusement, la Ville de Paris a au moins recruté de bons directeurs de musées.
Delphine Lévy, la présidente de l’établissement public Paris-Musées, que nous remercions d’avoir répondu rapidement à nos questions, nous a indiqué que l’an dernier le total des acquisitions des musées de la ville se serait monté à 4,5 millions d’euros. Mais ce chiffre n’est dû, comme elle le reconnaît elle-même, qu’à la prise en compte des générosités des donateurs. Et l’accroissement des dons qu’elle nous promet pour cette année sera la conséquence du développement du mécénat (création d’un fonds de dotation Vogue pour le Musée Galliéra, et acquisition d’un « trésor national » pour le Musée d’Art Moderne – encore lui). Mais une politique d’acquisition est d’abord la traduction d’une volonté de la municipalité qui doit lui accorder un budget décent. On en est loin, et même très loin.

Décidément, qu’il s’agisse du patrimoine bâti ou des musées, la politique culturelle de la Mairie de Paris est désolante. Pour montrer ce que cela a de désespérant et de grave pour le patrimoine parisien, nous mettrons régulièrement en ligne les « non acquisitions » du Musée Carnavalet, celui pour lequel il est le plus facile d’identifier les œuvres qui devraient absolument entrer dans sa collection, comme le Mousquetaire de Gustave Doré dont nous donnons ici l’illustration.

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