La dispersion du mobilier de Villepreux

« Dépêchons-nous de faire voter une loi, pour surtout ne pas la faire appliquer »
Phrase imaginaire qui aurait pu être prononcée par la ministre de la Culture

1. Anne-Louis Girodet-Trioson (1767-1824)
Portrait de Madame Augustine Bertin de Veaux
Huile sur toile - 119 x 99 cm
Il y a peu au château de Villepreux
Vendu aux enchères le 8 novembre 2016
Photo : SVV Olivier Lasseron
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Nous avons interrogé le ministère de la Culture depuis plusieurs semaines. En vain. Nous ne saurons pas pourquoi celui-ci ne fait rien - à part, peut-être, des préemptions à venir qui ne seront qu’un pis-aller - pour éviter une nouvelle catastrophe patrimoniale : la dispersion les 7 et 8 novembre du mobilier de Villepreux et, plus particulièrement, celui du « salon Bertin de Veaux » que contient ce château.
Nous renvoyons le lecteur au « mémoire » que Patrice Darras, excellent connaisseur de cet ensemble, a écrit à ce propos en décembre 2013 il y a maintenant presque trois ans et que nous publions à titre de témoignage. Et nous nous concentrerons sur le fameux salon Bertin de Veaux qui présente la caractéristique de former un ensemble mobilier complet mais de ne pas être forcément attaché à cet endroit où il a été transporté dans la seconde moitié du XIXe siècle. Quelle meilleure occasion de commencer à appliquer la nouvelle loi sur la protection des ensembles mobiliers ? Si le classement in situ ne peut malheureusement pas être imposé et doit se faire avec l’accord des propriétaires (qu’il n’y a aucune chance d’obtenir ici), le classement d’ensemble aurait pu être fait depuis l’annonce de la vente, et le classement de chaque meuble concerné aurait pu être réalisé depuis bien longtemps.

La dispersion est en effet tout sauf une surprise. Nous avions visité le château il y a une quinzaine d’années avec la Société d’histoire de l’art français. Son devenir préoccupait alors tous ceux qui le connaissaient, y compris ses propriétaires. Depuis au moins trois ans (Luc de Saint Seines, le dernier descendant de la famille à se préoccuper de ce patrimoine, étant décédé subitement en 2012), nous savions qu’il était gravement menacé d’une vente. D’ailleurs, pourquoi attendre une telle situation pour classer un mobilier comme celui-ci ? Soit la direction des Patrimoines était au courant, et elle a été gravement négligente, soit elle l’ignorait et elle est gravement incompétente. Ce qui est certain, c’est que nous avons reçu le 29 juillet un premier communiqué de presse qui nous informait de cette vente, ce qui laissait tout le temps au ministère de mener cette procédure.


2. Vue du Salon Bertin de Veaux
Trois tableaux de Girodet et un de Drölling à gauche
Deux tableaux de Pierre-Henri de Valenciennes à droite
avec la Psyché de Pietro Tenerani
Mobilier de Jacob-Desmalters
Il y a peu au château de Villepreux
Vendu aux enchères le 8 novembre 2016
Photo : SVV Olivier Lasseron
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3. Vue du Salon Bertin de Veaux
Au fond, le portrait de Mme Augustine Bertin de Veaux de Girodet
entouré par deux portraits en pendant de Delecluze
À gauche, un des tableaux de Valenciennes
Mobilier de Jacob-Desmalters
Il y a peu au château de Villepreux
Vendu aux enchères le 8 novembre 2016
Photo : SVV Olivier Lasseron
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Si tout le mobilier du château mériterait d’être conservé in situ, sachant qu’il fait partie du domaine depuis la première moitié du XIXe siècle, le plus important reste tout de même ce « Salon Bertin de Veaux », dit aussi - dans le dossier de presse - « Salon bleu ». Il s’agit d’un des ensembles les plus représentatifs d’un salon littéraire et artistique du début du XIXe siècle. Sur un même mur se trouvent rien moins que trois portraits de Girodet (et un par Michel-Martin Drölling) qui font face à un autre portrait, le plus beau, celui de Madame Augustine Bertin de Veaux, daté de 1809. Celui-ci était encadré par deux portraits peints par Étienne-Jean Delecluze. Tous ces tableaux réalisés entre 1804 et 1822 sont ceux de membres de la même famille, qui n’ont jamais été séparés. Sur un troisième mur, on trouve deux grands paysages de Pierre-Henri de Valenciennes, une statue néoclassique de Pietro Tenerani représentant Psyché et la pièce est ornée d’un mobilier attribué à Jacob-Desmalter.
Ces œuvres devraient être conservées comme ensemble mobilier qui pourrait former une remarquable period-room dans un musée (on pense par exemple au Musée Girodet à Montargis, ou à la Maison de Chateaubriand dans la Vallée-aux-Loups). Elles témoignent « du savoir-faire des artistes et artisans français de la première moitié du XIXe siècle, ainsi que des liens que la famille a pu entretenir avec l’élite intellectuelle et artistique de son temps.  » Ce n’est pas nous qui le disons, c’est la maison de vente aux enchères dans son dossier de presse (souligné en gras par eux).

Nous pourrions également parler du reste de la vacation qui comprend d’autres œuvres indissociables comme un dessin de Girodet représentant Monsieur Louis-François Bertin de Veaux, une peinture de Louis Laneuville, élève de David, figurant Louis-François Bertin, « rare portrait de Bertin l’Aîné sous le Directoire, deux ans avant qu’il n’achète le Journal des débats [1]. »
Le plus révoltant de cette vente est la séparation quasi systématique des pendants (à l’exception d’une paire de sculptures de Tenerani). C’est ainsi que deux portraits dessinés du comte et de la comtesse Alphonse Gérard de Rayneval, sont vendus en deux lots, alors qu’il s’agit d’une paire réalisée par Ingres pour le premier et par son élève Henri Lehmann pour le second. Comment faire mieux comprendre qu’il s’agit là de vendre des œuvres comme on vendrait des pommes de terre ? Le portrait d’Ingres, estimé 120/150 000 €, sera adjugé le même prix seul qu’il l’aurait été avec le Lehmann (estimé seulement 3 à 4 000 €). Il serait dommage de ne pas gagner au moins 3 ou 4 000 euros supplémentaires, et peu importe de séparer des pendants pour si peu.

D’ailleurs, cette question du prix (puisqu’elle revient toujours) en est-elle vraiment une, à l’heure où la ministère de la Culture nous annonce un budget « historique » (voir notre article) ? L’acquisition des principales œuvres coûterait à l’État un peu plus de 2 millions d’euros (nous avons pris systématiquement les estimations hautes). En 2012 (une comparaison qu’affectionne, on ne sait pourquoi, le ministère de la Culture), la part de l’État pour les acquisitions et les enrichissements des musées était de 16,7 millions d’euros. Et en 2016 de 8,8 millions d’euros. Soit à peu près quatre fois la vente de Villepreux… Audrey Azoulay, qui trouve sans problème 3 millions d’euros de crédits supplémentaires pour le cirque et la danse, ou 7 millions d’euros de plus pour le « spectacle vivant » ne pourrait pas trouver 2 millions pour le patrimoine ? On ne peut pas le croire.

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