La curieuse réponse de la mairie de Versailles

La réponse de la mairie de Versailles à nos articles, que nous publions ici, est intéressante. D’abord parce qu’elle ne met en cause aucune des conclusions que nous tirons du PLU, c’est-à-dire les conséquences de celui-ci notamment en terme de densité et de hauteur de l’urbanisation qui menace des terrains situés dans le parc de Versailles.
Elle est aussi surprenante car, manifestement, la mairie est incapable d’assumer sa politique et renvoie les responsabilités des menaces contre le domaine royal sur l’Etat et sur le Schéma directeur de l’Ile-de-France (SDRIF). « C’est pas moi, c’est lui », affirme le maire d’une façon peu glorieuse. Ce dernier a pourtant été élu en 2008 en promettant de faire baisser les impôts des ménages versaillais en libérant des terrains pour les entreprises [1]. La décision de réviser le PLU a, en outre, été librement débattue et votée en conseil municipal…

L’argumentation de la mairie incriminant le SDRIF ne correspond aucunement à la réalité, comme il est très facile de le démontrer, et ne figurait d’ailleurs nullement dans une première réponse qui nous a été adressée et que nous avons accepté de ne pas mettre en ligne dans l’attente de celle que nous publions.

1. Plan local d’urbanisme. Servitudes d’utilité publique N°4-b-1.
Les fines hachures désignent un classement au titre des
Monuments historiques. Les étoiles dans un cercle noir
désignent chaque immeuble protégé. On voit que les
terrains des Mortemets et des Matelots bénéficient du
classement et échappent par conséquent aux prévisions
du SDRIF. Les servitudes aéronautiques rendant les
terrains de Pion difficilement urbanisables figurent dans
l’axe du Grand Canal.
Voir l´image dans sa page

1. Il convient tout d’abord de préciser que le Schéma directeur de la région d’Ile-de-France « doit respecter […] les servitudes d’utilité publique », comme l’indique très clairement l’article L141-1 du Code de l’urbanisme, c’est-à-dire qu’un classement monument historique [2] est supérieur à toutes les préconisations du schéma directeur. Toute l’argumentation de la mairie concernant les terrains classés des Matelots et des Mortemets [3] (ill. 1) est ainsi nulle et non avenue. Signalons que leur classement a été pris dans la perspective de leur retour à la nature [4] et qu’ils dépendent ou dépendront bientôt de l’Etablissement public de Versailles qui ne peut, statutairement, les urbaniser. Celui-ci doit, au contraire, les débarrasser des bâtiments parasites souvent ruinés qui les encombrent puisque sa mission est de « conserver, protéger, restaurer les […] domaines dont il est doté » [5]. La municipalité agit ainsi en « mauvais génie » en suggérant à l’EPV un projet urbain et touristique néfaste et contraire à ses statuts.

L’argumentation de la mairie n’est pas plus pertinente pour Satory, puisque le même article L. 141-1 du Code de l’urbanisme précise que le SDRIF « doit respecter […] les dispositions nécessaires à la mise en œuvre […] d’opérations d’intérêt national [OIN] ». Or, le plateau de Satory est précisément couvert par l’OIN de Paris-Saclay, au sein de laquelle seul l’Etat peut délivrer les autorisations de construire (art. L. 422-2 c du Code de l’urbanisme). Il serait bon que la protection du patrimoine soit alors prise en considération [6]. On ne comprend d’ailleurs pas que le projet de sanctuariser, dans le cadre de l’OIN, 3900 hectares, dont 2316 hectares de « terres agricoles » [7], ne s’étende pas à Satory, territoire appartenant au plus fameux de nos Domaines Nationaux !

2. Selon la mairie, il serait impossible qu’une « zone urbanisée » ou « urbanisable » dans le SDRIF soit classée en zone naturelle dans le PLU (zone à l’intitulé débutant par un N). Or, un peu plus loin, elle dit exactement l’inverse en expliquant que le secteur de Mortemets (classé en « zone urbanisée » par le SDRIF) est, dans le PLU, « class[é] en zone NP [ce qui] se justifie par la volonté de conserver la qualité écologique du milieu et l’intérêt historique exceptionnel du site composant le domaine national de Versailles ». Ce qui était impossible au début de la réponse le devient soudainement un peu plus loin.

2. Schéma directeur d’Ile-de-France. Destination générale des sols.
1/ 150 000. L’extrait présenté par la municipalité de Versailles
est issu de ce plan relatif à l’ensemble de la région Ile-de-France.
On peut juger de son imprécision et comprendre qu’aucune étude
fine n’a présidé à son élaboration.
Voir l´image dans sa page

Au demeurant, il est absurde de prétendre que le SDRIF a « tenu le crayon » de la municipalité. Le SDRIF n’est qu’un document « prévisionnel » déterminant la « localisation préférentielle des extensions urbaines » [8] (ce dont témoigne l’échelle peu exploitable de son plan [9] : ill. 2), le PLU étant au contraire un document « opérationnel ». Le PLU doit d’ailleurs simplement être « compatible » (art. L. 141-1 du code de l’urbanisme) avec le SDRIF et non être « conforme » avec lui, ce qui caractérise un lien de subordination faible. L’avertissement du SDRIF précise en effet qu’« une liberté et une marge d’appréciation sont laissées aux collectivités locales : c’est celle qui leur est nécessaire pour exprimer, dans le respect des orientations et dispositions du Schéma, leur propre stratégie d’aménagement » [10]. Les dispositions textuelles, qui doivent être combinées à la carte, précisent en outre que « La qualité patrimoniale de la Plaine de Versailles mérite un renforcement de sa protection. En particulier les espaces encore libres devront être préservés, ce qui impliquera de limiter strictement la croissance des bourgs existants » [11]. Bref, la commune pouvait parfaitement préserver le site de Pion de l’urbanisation si elle l’avait souhaité.

D’ailleurs, rien n’obligeait le maire à créer les infrastructures routières qu’il projette, à s’investir pour faire déboucher le métro du Grand Paris aux Matelots, à urbaniser Pion à 80 %, à porter la hauteur de ses immeubles de 9 à 12 m [12], à prévoir de très importantes constructions aux Matelots et à introduire - après la clôture de l’enquête publique - la possibilité d’établir des activités « ludiques et touristiques » aux Mortemets, terrain mitoyen des jardins du château et de la pièce d’eau des Suisses…

3. DIREN IF, site classé de la plaine de Versailles,
dossier de concertation
(p. 59), juin 2010.
Ce travail, commandité par la Direction régionale de
l’environnement d’Ile-de-France avant les projets
de PLU de la municipalité, prévoit la restitution, a
plus ou moins longue échéance, des allées de
l’Etoile royale. Le mur préservé du parc, longeant les
terrains de Pion, n’est pas représenté.
Voir l´image dans sa page

3. Le raisonnement du point 2 peut, au demeurant, être transposé mutatis mutandis aux terrains de Pion, non classés. En admettant même qu’ils doivent constituer une « zone urbanisable » au PLU, une intervention du ministère de la Culture s’impose, prévoyant le classement de ces terrains particulièrement sensibles du parc de Versailles. Il faut en effet tout faire pour conserver son sens au beau projet [13] de restitution des allées de Fontenay et de Saint-Cyr [14] (ill. 3) à partir de l’Etoile Royale, récemment replantée (il faut saluer l’action de Jean-Jacques Aillagon à ce sujet) (ill. 4). Le seul souci de la ville, plutôt que de préconiser une urbanisation à 80 % de ces terrains comme nous l’avons montré dans notre article, aurait dû être, soit de les classer dans le PLU en zone naturelle, soit de demander au ministère de la Culture leur protection au titre des monuments historiques et leur retour à l’établissement public de Versailles. C’est d’ailleurs, à long terme, l’intérêt bien senti des communes de Saint-Cyr et de Fontenay-le-Fleury, réunies dans la communauté d’agglomération de « Versailles Grand Parc »…


4. Schéma de replantation de l’Etoile Royale
effectuée en 2011. On note, en haut à droite,
le commencement des allées de Fontenay et de
Saint-Cyr que l’on envisage de prolonger
jusqu’à ces communes.
Voir l´image dans sa page

5. Orientations d’aménagement pour le secteur Matelots-Mortemets,
approuvées le 24 novembre 2011 (p. 15). Le prolongement de l’allée
des Mortemets jusqu’à la D10 est entouré en rouge. Les « liaisons
en transport en commun
 » prévues sur les contreforts du plateau de
Satory sont entourées en jaune. La nouvelle route départementale
reliant Pion aux Matelots figure en rouge. Ses extrémités sont reliées
à la D7 et à la D10.
Voir l´image dans sa page

4. La mairie insiste également beaucoup sur la servitude de « constructibilité limitée » qu’elle impose aux Matelots et à Satory (mais pas aux Mortemets et à Pion). Cette mesure, ne pouvant durer plus de 5 ans (art. L. 123-2 du Code de l’urbanisme), est destinée à empêcher qu’une urbanisation au coup par coup ne vienne gêner un projet plus ambitieux du type de celui de Roland-Garros. Il ne s’agit, par conséquent, nullement d’une garantie. Le fait que l’application des dispositions du PLU soit différée pour ces deux zones n’a donc rien de positif : c’est reculer pour mieux sauter.

5. La mairie se garde bien, par ailleurs, de répondre sur les conséquences de la création de pas moins de trois nouvelles gares dans un rayon de 1500 m. Elle ne s’explique pas plus sur la nouvelle route départementale qu’elle estime nécessaire de créer à partir de Pion pour desservir un « pole urbain » aux Matelots et déboucher dans l’allée du même nom, puis devant l’orangerie du château (ill. 5, trait rouge) ! Comment la ville entend-elle aussi créer, sur les contreforts du plateau de Satory, particulièrement sensibles pour le panorama du château, deux « liaisons en transport en commun » afin de relier les Mortemets et les Matelots au métro du Grand Paris (ill. 5, flèches rouges) ?

6. Terrain classé des Matelots et vue cavalière de
l’allée des Mortemets. On distingue, à l’extrémité
de l’allée replantée, les beaux arbres de la route
forestière menant à la pièce d’eau des Suisses.
Photo F. Coune/5e Génie.
Voir l´image dans sa page

6. On signalera également que la mairie dit avoir pour « priorité » de replanter l’allée des Mortemets.
Il est tout d’abord évident qu’« échanger » la reconstitution de l’une des allées du parc contre l’urbanisation de ses abords (le PLU prévoit de créer aux Matelots environ 46.000 m2 de surface de plancher utile) est un marché de dupes. La dénaturation du parc qui en résulterait rendrait cette recréation vaine.

Nous avons, en outre, montré que le « combat » du maire pour la recréation de l’allée des Mortemets s’apparentait à ceux de Don Quichotte, puisque celle-ci a déjà été replantée pour l’essentiel par l’armée (sur près de 2 km) ! La publication d’une vue aérienne de cet alignement d’arbres (voir l’article) n’ayant, semble-t-il, pas permis à la réalité de reprendre ses droits, nous en publions aujourd’hui une vue cavalière (ill. 6). Le PLU prévoit simplement de prolonger son extrémité (moins de 9 % de sa longueur), et encore, dans le but de la relier à la route départementale n° 10 provenant de Saint-Cyr (ill. 5, pointillés entourés en jaune) ! Il s’agit, selon le PLU, de « permettre, notamment, une continuité des réseaux de circulation douces ». Les « circulations douces », auxquelles seront probablement affectées les contre-allées, pourront ainsi se faire concurremment avec la circulation automobile… L’autre partie de l’allée, tournée vers la pièce d’eau des Suisses, appartient aux rares espaces boisés classés au PLU (art. L. 130-1 du Code de l’urbanisme). Des arbres remarquables, notamment de beaux platanes (ill. 6, à l’extrémité de l’allée replantée), bordent cette route. Sa replantation ne répond ainsi à aucune urgence, à moins que l’on ne souhaite, là encore, desservir quelques bâtiments nouveaux... L’usine à gaz décrite par la municipalité pour financer la replantation d’une allée qui existe pour l’essentiel est donc assez savoureuse… Les urgences ne manquent pourtant pas aux Matelots et aux Mortemets, laissés par leurs affectataires dans un état scandaleux…

7. La municipalité de Versailles dit « privilégier la requalification paysagère des espaces qui prolongent le parc de Versailles au « mitage » ». C’est l’inverse qui est vrai, car c’est bien au mitage que la commune souhaite livrer le Domaine national de Versailles. Si l’on prend sa définition légale, le mitage est une urbanisation qui ne « continue » pas une « agglomération » existante (art. L. 146-4 du Code de l’urbanisme). On ne peut pas dire que l’urbanisation de Satory, des Mortemets, des Matelots ou de Pion se fait dans la continuité de la ville de Versailles... On construit, au contraire, dans un parc protégé et clos de murs qui n’est pas fait pour accueillir des habitants, en prétendant noyer les constructions à venir dans la verdure. La meilleure preuve du caractère diffus de cette urbanisation est que de nouvelles et couteuses infrastructures (nouvelle route départementale, nouvelles gares…) sont nécessaires pour la desservir. Les constructions projetées par la précédente municipalité (pas plus soucieuse du patrimoine que l’actuelle) aux Chantiers, n’encouraient pas ce grief et prolongeaient réellement la ville au lieu de l’éparpiller aux confins de la commune. Cette solution fut abandonnée notamment « pour des raisons de sécurité du quartier » [15] au profit d’une nouvelle ville dans le parc comptant, de l’aveu de l’adjoint au maire délégué à l’urbanisme, pas moins de 14.000 habitants [16] (soit la population d’une ville comme Le Raincy, Courcouronnes ou Issoudun). Certaines associations locales croient cependant ce chiffre minoré (car les versaillais sont hostiles à la densification de leur ville) et prévoient un apport de 80.000 nouveaux habitants, soit un doublement de la population de la cité royale [17].

De quelque manière que l’on tourne le projet de révision de PLU, quels que soient les arguments avancés par la mairie, la réalité est têtue. Nous démontrons, article après article, qu’il s’agit, ni plus ni moins, que d’autoriser l’urbanisation à l’intérieur du parc de Versailles créé par Louis XIV. Un projet tellement incroyable que pour l’instant personne ne semble réellement y croire. Le réveil risque d’être brutal.

English Version

Didier Rykner et Julien Lacaze

Notes

[1« Versailles a un budget insuffisant, car elle ne compte pas assez d’entreprises : seuls 20% des impôts de notre ville, la taxe professionnelle, proviennent des entreprises (contre 43% en moyenne dans les autres villes). Résultat : ce sont les particuliers, les familles, qui supportent l’essentiel des impôts locaux avec la taxe d’habitation et les taxes foncières. Voilà pourquoi ma priorité n° 1 est le développement économique ». Document de campagne, mars 2008. Les phrases en gras le sont dans le texte d’origine.

[2Un classement monument historique est une servitude d’utilité publique comme le confirme l’intitulé du plan n°1.

[3Plan officiel des servitudes d’utilité publique rangé par erreur parmi les servitudes d’assainissement.

[4Le ministre des affaires culturelles précise, le 30 mars 1960, à l’occasion du reclassement des terrains des Matelots-Mortemets : « je vous serais obligé [il s’adresse au ministre de la guerre] de m’aviser si un projet de cession ou de changement d’affectation des terrains en question est envisagé. Il m’apparait en effet que le jour où le département de la Guerre n’aura plus l’utilisation des parcelles cédées en 1882, il conviendrait que ces dernières reviennent au Domaine National de Versailles ce qui rétablirait l’état de choses ancien qui n’avait été interrompu que pour tenir compte des besoins de votre département ».

[5Voir ici (art. 2, 1°). Quant à la "convention unique d’utilisation du domaine" de juin 2011, évoquée dans le Journal des Arts, on ne voit pas comment elle pourrait déroger à un décret pris en Conseil d’Etat. Sophie Flouquet, « Les chantiers de Versailles », Le Journal des Arts, n° 359, 16 décembre 2011-5 janvier 2012, p. 6.

[6Il faudrait ainsi sanctuariser au moins une partie des espaces naturels du Champ de manœuvres par son maintien dans le domaine public et par un classement ; il faudrait également protéger et restaurer les murs du Domaine national qui coïncident avec les limites de la commune de Versailles.

[7Voir ici.

[8art. L. 141-1 du Code de l’urbanisme.

[9SDRIF, p. 13 : « Cette représentation cartographique porte en elle-même ses limites, les unes induites par le fond de carte et la taille de l’échelle utilisés, les autres dictées par le caractère régional de l’exercice :[…] pour obtenir une précision de la carte suffisante mais cohérente avec l’échelle retenue, le contenu et les contours des espaces on été simplifiés : les espaces isolés, d’une superficie inférieure à […] 6 hectares en grande couronne [cas de Versailles], ont été en général, "noyés" dans les espaces environnants, ce qui explique notamment que certains espaces verts semblent avoir disparu de la zone agglomérée de l’Ile-de-France. L’imprécision de localisation du trait des contours, relativement schématisé (la précision de localisation n’est pas supérieure à 2 mm environ, soit de l’ordre de 300 m sur le terrain) ».

[10SDRIF, p.14.

[11SDRIF, p. 303.

[12Dans le précédent PLU, la hauteur des bâtiments à construire était limitée à 9 m, alors que le nouveau PLU porte cette hauteur à 12 m dans les 2/3 de la zone. Dossier d’enquête publique arrêté par le conseil municipal du 8 septembre 2006. 3a – Règlement. Règle écrite, art. UI 10.2, p. 181.

[14On commettrait un contre-sens en faisant des allées de Saint-Cyr et de Fontenay des avenues urbaines desservant une zone commerciale de Pion-Santos-Dumont.

[15Cette expression désigne la fréquentation supposée d’un Multiplexe. Document de campagne, mars 2008.

Mots-clés

Vos commentaires

Afin de pouvoir débattre des article et lire les contributions des autres abonnés, vous devez vous abonner à La Tribune de l’Art. Les avantages et les conditions de cet abonnement, qui vous permettra par ailleurs de soutenir La Tribune de l’Art, sont décrits sur la page d’abonnement.

Si vous êtes déjà abonné, connectez-vous.