L’incroyable souscription pour les Delacroix de Saint-Sulpice

27/9/14 - Appel à souscription - Paris, église Saint-Sulpice - La Tribune de l’Art soutient toujours les souscriptions lancées pour acheter ou restaurer des œuvres ; elles permettent de compléter des chantiers ou de réaliser des acquisitions qui risqueraient, sans cela, de ne pas se faire. Mais il faut, pour lancer un appel au public, que l’institution utilise cet argent pour augmenter le budget qu’elle dédie à l’opération, pas pour le remplacer.


1. Eugène Delacroix (1798-1863)
La lutte de Jacob avec l’ange
Peinture du mur gauche de la chapelle
Paris, église Saint-Sulpice
Photo : Didier Rykner
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2. Eugène Delacroix (1798-1863)
Héliodore chassé du temple
Peinture du mur droit de la chapelle
Paris, église Saint-Sulpice
Photo : Didier Rykner
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3. Eugène Delacroix (1798-1863)
Saint Michel terrassant le démon
Peinture du plafond de la chapelle
Paris, église Saint-Sulpice
Photo : Didier Rykner
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C’est pourquoi l’appel au mécénat populaire que vient de lancer la Ville de Paris pour restaurer les peintures murales d’Eugène Delacroix dans la chapelle des Saints-Anges de l’église Saint-Sulpice (ill. 1 à 3) est, au choix, stupéfiant, agaçant ou scandaleux, voire les trois à la fois. Nous l’avons dit et répété, et nous ne sommes pas les seuls : l’état des églises parisiennes est si désastreux qu’il faudrait leur consacrer, pour les sauver, un budget très important. Les associations estiment celui-ci à 500 millions sur 15 ans, même s’il faudrait un véritable audit (qui n’est pas fait) pour le déterminer précisément. On en est très, très loin puisque la ville prévoit d’y consacrer seulement 80 millions sur 6 ans. Le patrimoine parisien va donc continuer à se dégrader, au risque de devenir impossible à restaurer, alors que cet argent existe dans une ville qui, malgré la conjoncture, reste riche mais préfère dépenser dans l’éphémère, le festif et le ludique.


4. Auguste Vinchon
Le Martyre de saint Maurice
Peinture du mur gauche de la chapelle Saint-Maurice
Paris, église Saint-Sulpice
Photo : Didier Rykner
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5. Auguste Vinchon
Le Martyre de saint Maurice, détail
Peinture du mur gauche de la chapelle Saint-Maurice
Paris, église Saint-Sulpice
Photo : Didier Rykner
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6. Félix Jobbé-Duval
Plafond de la chapelle Saint-Denis
Paris, église Saint-Sulpice
Photo : Didier Rykner
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La mairie de Paris en appelle donc à la charité publique, mais sans citer dans les communiqués aucun chiffre, ce qui est plus qu’inhabituel. Une souscription vise normalement à compléter un montant déjà réuni pour un budget connu. Lors de la conférence de presse organisée au Musée Delacroix, La Tribune de l’Art a donc posé la question à Bruno Julliard, adjoint au patrimoine, et sa réponse a été particulièrement floue. La restauration devrait coûter autour de 450 000 € et la Fondation du Patrimoine s’engage à donner 60 000 €. Aucun objectif ne serait fixé pour cette souscription, et la part que donneront la Ville et l’État « dépendra du montant final de la souscription ». On n’a jamais vu ça. Au même moment, la Cité de l’Architecture lance un appel pour la restauration de la maquette de la Merveille du Mont Saint-Michel en donnant un objectif clair : 15 000 €, qui sera ensuite porté à 25 000 €. Le Musée départemental de l’Oise à Beauvais veut restaurer un tableau de Thomas Couture [1] (article à venir) et recherche 10 000 €. La Bnf veut acheter un manuscrit très important 2,4 millions d’euros et demande 300 000 €. Le Louvre lance régulièrement des souscriptions avec des objectifs précis. Pour la Mairie de Paris c’est : « donne toujours, on verra ce qu’on peut faire après ».


7. Charles Landelle
Le songe de Joseph
Mur droit de la chapelle Saint-Joseph
Paris, église Saint-Sulpice
Photo : Didier Rykner
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8. Charles Landelle
Charles Landelle
La Mort de saint Joseph
Mur gauche de la chapelle Saint-Joseph
Paris, église Saint-Sulpice
Photo : Didier Rykner
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Une fois de plus, la Mairie de Paris se moque du monde. En appelant à souscrire sans s’engager sur rien ; en faisant appel aux Parisiens pour restaurer un bout d’église alors qu’elle gaspille leurs impôts en projets destructeurs et inutiles et en laissant le patrimoine en déshérence. En demandant de l’argent pour restaurer une chapelle de l’église Saint-Sulpice quand il faudrait se pencher sur toutes les chapelles et toutes les peintures murales de cet édifice (parmi bien d’autres). Car si le décor de Delacroix est effectivement en mauvais état, que dire des autres ? Nous donnons ci-dessous quelques exemples de la décrépitude dans laquelle la mairie de Paris laisse cette église, comme des dizaines d’autres.


9. Émile Signol
Haut de la peinture murale du transept gauche, mur gauche
Paris, église Saint-Sulpice
Photo : Didier Rykner
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10. François-Joseph Heim
Plafond de la chapelle des Âmes du Purgatoire
qui jouxte immédiatement la chapelle des Saints-Anges
Paris, église Saint-Sulpice
Photo : Didier Rykner
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La chapelle des Saints-Anges doit être restaurée, mais la Ville de Paris a les ressources pour le faire. Elle sera légitime pour lancer des souscriptions (et nous la soutiendrons) lorsqu’elle consacrera enfin de vrais budgets pour la restauration des églises de la ville. Bruno Julliard, à cette même conférence, et lorsque la question des autres chapelles lui a été posée, a répondu que la Ville de Paris ne se désengageait pas mais allait au contraire annoncer « un plan d’investissement pour les églises de Paris, d’une ampleur inédite ». S’agira-t-il des fameux 80 millions annoncés pendant sa campagne par Hidalgo (une goutte d’eau donc) ou d’une réelle (et nouvelle) prise de conscience de la gravité de la situation. On ne nous en voudra pas d’attendre des décisions concrètes plutôt que des annonces d’annonces. Nous ne manquerons pas d’applaudir au cas où. En attendant, on conseillera aux amateurs d’art de préférer la Cité de l’Architecture, le Musée départemental de l’Oise, la BnF ou le Musée du Louvre. Et on pourra répondre à Bruno Julliard : « Aide-toi, le ciel t’aidera ! »

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