L’actualité peut réveiller de fâcheux souvenirs en matière de patrimoine. Pour faire écho à une courte information délivrée par Le Canard enchaîné (« Louis XX se rebiffe », mercredi 3 juin 2020, p. 5) quant à la détérioration subie par une statue de Louis XVI à Louisville (Kentucky) lors des manifestations qui ont enflammé les États-Unis ces temps-ci, et pour répondre également à la légitime curiosité des amateurs d’art et d’histoire, il n’est pas déplacé de fournir en passant quelques précisions touchant l’auteur et la provenance de cette monumentale effigie royale que, certes, l’on ne s’attendait pas à retrouver, comme exposée à de vils dangers, au centre névralgique d’une cité américaine (ill. 1)...
- Achille Valois (1785-1862)
Louis XVI, Salon de 1827.
Marbre - H. 345 cm
Louisville (Kentucky), devant le Louisville Metro Hall
Photo : Bedford (Wikimedia/Domaine public) - Voir l´image dans sa page
L’hebdomadaire satirique rapporte sans plus de détails l’exhortation (inévitable !) du « prétendant légitimiste au trône, dit Louis XX » à réparer cette nouvelle victime de l’histoire politique (le bras droit de la statue céda le 29 mai dernier sous le poids d’un manifestant qui s’y était agrippé, probablement à l’emplacement d’une ancienne restauration, pour tomber sans mal dans la foule, comme le montre opportunément une vidéo d’actualité). Sur la statue en question, d’un classicisme fort décent, le monarque affiche un geste éloquemment souverain qui ne sut rester indemne, bien au contraire, en ces jours agités... Quant à l’artiste, non mentionné en l’occurrence, il s’agit d’Achille Valois (Paris, 1785-1862), élève du sculpteur (napoléonien) Chaudet, qui mena une carrière des plus honorables et d’inflexion clairement royaliste, débutant notamment au Salon de 1814 avec le buste de Louis XVIII (Musée du Louvre) et travaillant assidûment pour la duchesse d’Angoulême, c’est-à-dire la fille de Louis XVI. Pour revenir à la statue (en marbre) de l’infortuné roi, elle apparut au Salon de Paris de 1827 comme « exécutée pour la place de ce nom [place Louis XVI] à Montpellier » selon le 2e supplément du livret dudit Salon (sans n°, entre les nos 1798 et 1799, p. 259) où, qualifiée de « colossale [1] », elle est intitulée « Le Roi implore le Ciel pour la France ». Il est même précisé que « ne pouvant être transportée à l’exposition, on la voit publiquement chez l’auteur [domicilié rue de l’Abbaye-Saint-Germain à Paris, n° 11] de midi à quatre heures ». Le « modèle » de la statue avait d’ailleurs été présenté au Salon de 1822 (n° 1498), avec déjà la mention de la commande faite par le Ministère de l’Intérieur en faveur de la ville de Montpellier, ce qui explique son futur envoi d’Etat dans cette localité – débuts des plus avenants mais faussement prometteurs.
Comme Fabrice Bertrand, historien du Languedoc informé et convaincant, le narre dans son article en ligne, richement illustré, du 11 novembre 2019, « La statue de Louis XVI à Montpellier [2] », l’imposant ouvrage d’Achille Valois, inauguré le 11 novembre 1829 sur la place du Marché aux fleurs dénommée sous la Restauration place Louis XVI, ne put résister l’année suivante à la tourmente de juillet 1830 [3] et fut en juillet 1831 transféré à la Citadelle pour y rester jusqu’en 1900, date à laquelle il fut placé au Musée des moulages de la Faculté des Lettres puis relégué aux Archives départementales de l’Hérault (en témoignent deux photographies attestant le dépôt de la sculpture aux Archives, publiées par Fabrice Bertrand dans son article). Comme si la ville n’avait jamais su que faire de cette bien encombrante sculpture, peut-être jugée trop marquée politiquement (la République pouvait-elle en fait mettre à l’honneur une image si nostalgiquement royale ?) ou mal appréciée d’un point de vue artistique (la redécouverte du XIXe siècle viendra, on le sait, plus tard).
Un tardif classement, le 19 mars 1921, au titre des Monuments historiques n’y fera rien, tant et si bien qu’en 1966, la municipalité, à l’initiative du maire droitier François Delmas (1913-2002) qui présida longuement aux destinées de sa ville (1959-1977), décida assez étrangement d’en faire don (sic) à la ville de Louisville à laquelle Montpellier était jumelée depuis 1955, d’où un stupéfiant déclassement, quasi unique en son genre, par arrêté du 24 novembre 1966 [4]. La base Palissy, dans la fiche de l’œuvre, qualifie l’opération de « don » de la commune de Montpellier censée être « propriétaire » de l’objet, au « musée de Louisville ». Surprenante allégation qui ignorait tout simplement l’incontestable et inamovible appartenance étatique d’une œuvre d’art indûment considérée comme municipale, et proprement laissée par Montpellier dans le plus complet oubli, ce qui, entre nous soit dit, arrive hélas ! plus souvent qu’on ne le pense... Mais le commode prétexte d’un jumelage de ville à ville, excellent moyen diplomatique, eut bon dos. Ainsi, « le 12 juillet 1967, en présence des deux maires et de l’ambassadeur de France aux USA [5] », la statue fut solennellement célébrée à son nouvel emplacement, juste devant le Louisville Metro Hall, siège du gouvernement de la métropole de Louisville, capitale de Kentucky. – Royal hommage sinon vain regret d’un transfert totalement anti-historique !