L’Etat va-t-il se débarrasser de l’Hôtel de la Marine ?

1. Hôtel de la Marine
Salle à manger
Au fond, on voit un bas d’armoire dû à Gaudreau
(modifié par Riesener) commandé pour cet endroit.
Son pendant est déposé à l’Elysée...
Photo : D. Rykner
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Imaginez l’un des plus beaux monuments historiques, sur l’une des plus majestueuses places du monde, dans la capitale d’un grand pays industrialisé, à l’aube du XXIe siècle. Imaginez que ce bâtiment contienne de nombreuses pièces décorées de boiseries et riches d’un mobilier toujours en place dont l’essentiel a été commandé aux meilleurs ébénistes des XVIIIe et XIXe siècles. Imaginez que ses salons d’apparat viennent d’être restaurés à grand frais grâce au mécénat.
Imaginez enfin que l’Etat s’apprête à céder ce monument à une société privée, sans aucune certitude sur l’avenir du mobilier.

Il ne s’agit pas d’un rêve (d’un cauchemar plutôt) mais bien de ce qui menace aujourd’hui l’Hôtel de la Marine construit par Gabriel sur la Place de la Concorde à Paris, qui vient pourtant de bénéficier d’une excellente restauration (voir notre autre article).
Depuis plusieurs mois maintenant, des bruits très alarmistes circulent à propos de cet édifice insigne. Certaines de ces rumeurs sont avérées, d’autres n’ont pu être exactement vérifiées car le dossier est pour l’instant traité au plus haut niveau et rares sont ceux, même au ministère de la Défense, à être mis dans la confidence. La langue de bois et la désinformation règnent en maître.

2. Hôtel de la Marine
Cabinet d’Audience du commissaire général
de la Maison du Roi
Photo : D. Rykner
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Voici pourtant ce que l’on peut dire aujourd’hui (23 février 2009) :

 L’état-major de la Marine déménagera, en 2014 au mieux, vers ce qu’on appelle le « pentagone français » qui devrait regrouper tous les services du ministère de la Défense dans le quartier Balard.

 Ce regroupement et la construction du nouveau ministère devront être « autofinancés ».

 Il faudra retrouver une autre affectation, si possible lucrative, à l’Hôtel de la Marine alors vidé de ses occupants,

 Sa vente a longtemps été prévue, mais cette hypothèse a déclenché de vives réactions ; on semble s’orienter plutôt vers une location à long terme, peut-être un bail emphytéotique (d’une durée, rappelons-le, de 18 à 99 ans).

 France Domaine, le service de l’Etat, a été chargé de cette opération. Nous avons tenté d’en savoir plus auprès de son chef, Daniel Dubost. A nos questions sur le type de location prévue et sur un éventuel cahier des charges, il nous a été répondu de manière sibylline et sans rapport avec la question : « cet immeuble n’est pas en vente. Nous ne pouvons donner suite à votre demande. » Sic.

 Le SIRPA Marine, service d’information et de relations publiques, nous a enfin indiqué, le 18 février, par téléphone, qu’à sa connaissance il n’y avait pas encore de décision de prise mais qu’ « aucune option n’était écartée. » Une location ou une vente et l’enlèvement du mobilier de l’Hôtel ne sont pas exclus.

 Officiellement, le ministère de la Culture « n’a aucune information à communiquer sur ce dossier », ce qui laisse augurer du pire.

Par ailleurs, nous disposons de deux types d’informations officieuses et contradictoires. Du côté de la Défense : la vente a été décidée et celle-ci serait imminente ; du côté du ministère de la Culture : le bâtiment pourrait être affecté à une grande institution de l’Etat et le mobilier resterait en place, avec un accès possible pour le public.


3. Hôtel de la Marine
Chambre dite de Marie-Antoinette
Photo : D. Rykner
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On le voit, la situation témoigne tout autant d’un manque de considération dramatique pour un patrimoine majeur, que d’un amateurisme désolant et d’un goût du secret habituel dans nos grandes administrations.
Une location de longue durée est aussi inacceptable qu’une vente à une société privée. L’Hôtel de la Marine est une véritable « anthologie du mobilier des arts décoratifs du XVIIIe au XXe siècle [1] ». Il doit demeurer dans le giron de l’Etat, son mobilier doit rester in situ et le public doit y avoir accès. Au moment où le président de la République insiste sur l’importance de l’histoire de France, on comprendrait mal qu’il persiste à vouloir vendre un de ses lieux les plus emblématiques.

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