L’avis des ABF, encore et toujours devant le parlement

Provins
Vue des remparts
Photo : Didier Rykner
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Dans le cadre du vote de la loi dite Grenelle I de l’environnement, le parlement avait supprimé, dans les zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP), l’avis conforme de l’architecte des bâtiments de France (ABF), avec les conséquences dramatiques que nous n’avons cessé de dénoncer ici.

Le Sénat, lors de la discussion du Grenelle II, avait rétabli cet avis conforme le 18 septembre 2009 (voir l’article), limitant toutefois à deux mois le délai d’instruction d’un éventuel recours par le préfet. Néanmoins, de nombreux députés avaient fait savoir leur opposition à cette disposition et décrété qu’ils reviendraient dessus lors du prochain passage devant l’Assemblée Nationale.
Le ministère de la Culture était alors intervenu dans le débat en demandant à une commission présidée par le conseiller d’état Thierry Tuot de se pencher sur le sujet et d’émettre des préconisations. Ses conclusions (voir article) étaient loin d’être satisfaisantes, même si elles redonnaient un certain pouvoir à l’ABF (encore tout théorique puisque dans les faits, depuis le 3 août 2009, la loi qui s’applique est le Grenelle I et qu’il n’y a plus d’avis conforme.)

Hier 6 mai, poursuivant la navette parlementaire, l’Assemblée Nationale est donc à nouveau revenue sur ce sujet en votant un texte qui s’inspire largement du rapport Tuot. Les principaux points sont les suivants :

 les ZPPAUP deviennent des « Aires de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine ». Exit donc les mots « protection », ce qui n’est certainement pas innocent, et « paysage » ce qui, pour une loi qui se veut écologique, ne manque pas de piquant.

 tous les travaux projetés dans cette aire devront faire l’objet d’un avis de l’ABF. Celui-ci ne sera pas conforme, mais s’il est négatif, le demandeur devra obtenir l’autorisation du préfe s’il veut passer outre. L’avis de l’ABF devra être émis dans un délai d’un mois après sa saisine, sinon il sera réputé comme acquis. De même, le préfet devra statuer dans un délai de quinze jours (s’il s’agit d’une autorisation spéciale ou d’une déclaration préalable) et d’un mois s’il s’agit d’un permis. Le préfet pourra entendre une instance consultative dont la composition telle qu’elle est prévue est peu précise mais ne comportera qu’une minorité de spécialistes de la protection du patrimoine [1].

D’une certaine manière, si ce texte est validé en l’état par la commission mixte paritaire, on se retrouvera dans une situation où l’avis de l’ABF sera intermédiaire entre conforme et non conforme. En effet, si un ABF est opposé à des travaux, il faudra que le préfet tranche comme c’était le cas auparavant pour les recours. A la différence près que les recours étaient rares et qu’il fallait absolument qu’ils soient instruits.
Ce qui est le plus grave, en réalité, ce sont les délais, extrêmement courts, et le principe selon lequel en l’absence de réponse dans les temps, l’autorisation sera réputée acquise. Que se passera-t-il dans les services ne disposant que d’un nombre de fonctionnaires insuffisants, ou pour les demandes déposées l’été, lorsque le nombre de personnes présentes est réduit en raison des congés ? On peut espérer que les ABF prendront à cœur d’instruire réellement les dossiers. Mais que fera le préfet ? Sur quels critères pourra-t-il s’appuyer pour prendre sa décision et avec quels moyens ? La logique voudrait qu’il suive l’avis de l’ABF, qui dépend hiérarchiquement de lui et qui est censé le conseiller sur le plan technique. Dans certains cas cependant, il est évident que les considérations politiques joueront et que l’on préférera faire plaisir au maire, également souvent un député, et parfois même un ministre, plutôt que d’avoir le courage de s’y opposer.

En réalité, dans les municipalités où les élus sont conscients de l’importance de la protection du patrimoine et où une vraie coopération existe entre le maire et l’ABF, les choses devraient continuer à bien se dérouler [2], comme c’était le cas auparavant. En revanche, dans les villes gérées par des élus soumis aux intérêts locaux et pour qui l’ancienne ZPPAUP est une contrainte plus qu’un atout, le préfet ne voulant pas s’y opposer pourra sans peine laisser dépasser le délai légal, ce qui équivaudra à une autorisation.

Alors que la loi française était, dans ce domaine, parfaitement exemplaire et que les ZPPAUP ont partout fait les preuves de leur efficacité, le parlement ne s’honore pas en votant des textes comme celui-ci qui ne font, nous l’avons déjà souligné - et surtout certains parlementaires l’ont eux-mêmes dénoncé - que répondre aux intérêts particuliers de quelques élus. Les résultats risquent d’ailleurs, bien loin de permettre une simplification des procédures dont se réclament les partisans de ce projet, d’aboutir au contraire à des situations inextricables et à de nombreux recours devant les tribunaux. Les ABF n’ont pas seulement pour rôle de trancher dans les cas qui peuvent prêter à interprétation et qui demandent un regard professionnel, ils décident également lorsque les projets qu’on leur soumet sont incompatibles avec le règlement de la ZPPAUP. Dans ces cas précis, l’autorisation donnée par le préfet contre leur avis (ou l’absence de réponse qui vaut autorisation) n’empêchera pas les associations de protection du patrimoine de porter l’affaire devant la justice, ce qui risque de multiplier les contentieux.
Il est vrai que les choses peuvent encore évoluer puisque le texte n’est pas encore adopté définitivement. Mais il est probable qu’après de nombreux avatars, peu de changements sont à attendre. Il conviendra alors que tous les protecteurs du patrimoine se mobilisent pour empêcher les dérives prévisibles que provoquera ce changement de la loi. Les avocats spécialisés dans le patrimoine ont de beaux jours devant eux.

Didier Rykner

Notes

[1Elle associe : des représentants de la ou des collectivités territoriales et des établissements publics de coopération intercommunale intéressés, le préfet ou son représentant, le directeur régional de l’environnement, de l’aménagement ou du logement ou son représentant, le directeur régional des affaires culturelles ou son représentant, ainsi que des personnes qualifiées, d’une part, au titre de la protection du patrimoine et, d’autre part, au titre des intérêts économiques
concernés.

[2A la différence près qu’auparavant, soumis aux pressions de ses administrés, le maire pouvait s’appuyer sur l’avis négatif de l’ABF sans apparaître comme responsable de celui-ci, ce qui était pratique pour beaucoup d’entre eux.

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