Interview de Roselyne Bachelot, ministre de la Culture, sur le patrimoine et les musées

Cette interview de la ministre de la Culture a eu lieu vendredi 4 décembre. Comme nous le faisons à chaque fois, nous avons accepté sa relecture afin de s’assurer qu’il n’y a pas eu de mauvaise compréhension. Les modifications demandées ne changent absolument rien à la teneur de l’interview. En revanche, le cabinet de la ministre a tenu, après l’avoir consultée, à rajouter une précision que nous avons soulignée, et que nous commentons dans notre analyse de l’interview que nous publions parallèlement.
L’interview a également été mise à jour pour tenir compte des événements depuis une semaine, notamment le prolongement de la fermeture des musées.

Roselyne Bachelot, ministre de la Culture
Photo : Didier Plowy/MC
Voir l´image dans sa page

L’évolution de l’organisation du ministère de la Culture me semble inquiétante : avec la décentralisation, on a l’impression que celui-ci perd de son efficacité face à des élus locaux qui deviennent une nouvelle féodalité, et parallèlement la déconcentration transfère aux Directions régionales des affaires culturelles un pouvoir qu’elles utilisent parfois de manière autonome par rapport aux services parisiens. Cette double évolution n’est-elle pas un facteur de perte d’efficacité pour le ministère ?

Effectivement, suite à plusieurs réformes et en particulier à celle des grandes régions, avec l’interdiction du cumul des mandats, un certain nombre de présidents de conseils régionaux sont désormais un peu comme les grands féodaux face à l’État. Il y a eu un changement tout à fait significatif, et les services déconcentrés de l’État peuvent parfois apparaître soit en position d’infériorité, soit en position d’opposition. Ce n’est pas ma vision et ce n’est, en tout cas, pas ce que je donne comme instructions aux DRAC. Il faut être à la fois ferme sur ce que représente l’État et ce que sont ses prérogatives, et en même temps savoir qu’un certain nombre de politiques culturelles ne peuvent être menées qu’en bonne intelligence avec les élus locaux. D’ailleurs, cette demande est relayée par beaucoup de personnes sur le terrain, ce qu’on a vu par exemple à travers la crise sanitaire. Il y a une volonté que les territoires soient écoutés et qu’on puisse travailler ensemble dans ce domaine. En tout cas, je n’ai pas l’impression que sous mon impulsion les DRAC se soient effacées, au contraire. Ce sont les consignes fermes que je donne à tous et notamment aux directeurs régionaux que j’ai nommés récemment pour remplacer des départs à la retraite. Ceci étant, je veux aussi laisser aux services déconcentrés de vraies marges de manœuvre. La DRAC Nouvelle-Aquitaine, ce n’est pas la même chose que la DRAC Hauts-de-France par exemple. Il faut donc donner des directions fermes tout en laissant appréhender les situations locales. Je me sens très à l’aise avec ça, je n’ai pas du tout l’impression que « mes » DRAC s’effacent ou n’existent pas…

Le ministère doit gérer, à mon sens, deux questions primordiales : le budget, et les protections monuments historiques. Sur le budget, vous avez réussi là où les précédents ministres ont échoué, vous avez défendu votre budget, et obtenu un budget plutôt bon.

Il est très bon. Il n’est pas « plutôt bon », il est très bon. Malgré la situation actuelle, les crédits ont atteint un niveau jamais vu, et pas uniquement dans le cadre du plan de relance. Celui-ci aurait pu être une espèce de fusil à un coup qui aurait maintenu le budget habituel assez bas. En l’occurrence les deux choses vont de pair, les deux budgets sont excellents, et je n’ai pas obtenu ce résultat pour mes beaux yeux, il est le fruit d’une haute lutte. Et le fait que j’aie obtenu ces budgets, qui auront vraiment un impact sur le patrimoine qui nous est si cher, est un signe politique de première importance.

Parlons de la protection du patrimoine. Cela fait longtemps qu’il n’y avait pas eu autant de dossiers inquiétants, et sur certains c’est le ministère de la Culture qui est à la manœuvre. Par exemple, le parc de Saint-Cloud, ou les étangs de Corot de Ville-d’Avray. Un autre exemple : on a vendu aujourd’hui le décor Art nouveau d’un restaurant parisien. J’ai interrogé la DRAC, et je n’ai jamais eu de réponse. On s’aperçoit qu’il y a une sous-protection, et une apathie de la DRAC qui ne connaît pas le patrimoine de sa région et qui ne le protège pas. Nous pourrions rajouter la question de la chapelle de Lille pour laquelle il y a eu encore récemment la signature d’une centaine de spécialistes qui défendent sa conservation ou le classement du Conservatoire national d’art dramatique, demandé par une commission, mais que le ministère refuse. Tout cela me choque car c’est le ministère de la Culture qui ne fait pas son travail de base.

Je préfère aborder les choses de façon globale, mais je suis à votre disposition pour envisager chacun de ces dossiers qui sont d’ailleurs très différents dans leur nature. Il y a effectivement dans notre pays un patrimoine très important : 44 000 bâtiments dont il faut s’occuper, ils sont parfois en très mauvais état. Ils relèvent de notre responsabilité première. Je suis frappée de la montée très forte de l’intérêt des personnes pour le patrimoine... Quand on leur demande ce qu’est pour eux la Culture : ils répondent en premier le patrimoine ! Face à l’inquiétude pour notre avenir et celui de nos enfants - et la crise du Covid a renforcé ce sentiment - de plus en plus de gens se disent que le patrimoine est quelque chose de solide, de constant, quelque chose auquel on peut s’accrocher pour donner un sens à la vie. Je trouve ça vraiment intéressant. Pour en revenir à votre question il y a toutes sortes d’éléments patrimoniaux qui ne sont pas classés ou inscrits. Vous me parlez de vitraux et d’éléments de décor dans une brasserie, c’est un bien privé, qui appartient à un propriétaire qui a le droit de le vendre…

Certes, mais le ministère de la Culture a le pouvoir d’inscrire ou de classer, et dans un tel cas c’est même son devoir. Il n’y a plus tant de décors Art nouveau dans les restaurants parisiens. Le propriétaire a le droit de démanteler et de vendre ce décor, mais vous pouvez le protéger au titre des monuments historiques, et en empêcher la vente.

Oui, mais ce que je veux aussi, c’est concentrer mes efforts. Le rôle d’un ministre est aussi de choisir. Les crédits sont très importants mais ne sont pas illimités, chaque fois que je décide de protéger quelque chose, c’est quelque chose d’autre que je ne protégerai sans doute pas.

Si je peux me permettre, la protection ne dépend pas du budget dont on dispose, elle dépend de l’intérêt du monument. Il y a un malthusianisme de la protection…

Un malthusianisme avec 614 millions d’euros pour le patrimoine ?

Je ne parle pas du budget, je parle de la protection, pour laquelle le coût n’est pas un critère. En plus, dans le cas qui nous occupe, c’est en bon état, il n’y a pas besoin de budget de restauration.

Il reste que je veux bien situer les priorités dans le domaine, je ne peux pas non plus classer tout ce qui m’est présenté pour le classement.

Oui, mais il y a des commissions pour cela qui ne sont pas toujours consultées.

Il y a des commissions et il y a un certain nombre de décisions qui relèvent de compromis et que je veux respecter.

Prenons deux autres exemples : le Conservatoire national d’art dramatique. Il mérite le classement, ce que la commission régionale a d’ailleurs dit, mais le ministère de la Culture ne veut pas trop le protéger car si on le protège il vaudra moins cher. Mais c’est quand même le ministère de la Culture qui est en charge des protections, et il mérite d’être classé.

Nous allons avancer sur ce sujet. L’inscription a déjà été faite mais pourquoi ne pas classer, effectivement ? Je trouve que l’ensemble architectural du Conservatoire national d’art dramatique mérite cela. Autant il y a des sujets sur lesquels je suis moins d’accord, autant je vais regarder celui-ci avec le plus grand intérêt.

Il y a aussi la chapelle Saint-Joseph à Lille, je suis allé sur place, c’est un ensemble urbain, placé dans l’axe du palais Rameau lui-même classé. Il y a une erreur manifeste d’appréciation de l’Architecte des Bâtiments de France, peut-être sur la pression de la mairie. Cette chapelle a un intérêt architectural évident et devrait être classée. Cela choque tout le monde. Ce serait un geste important, dont on se rappellerait.

Je m’interroge sur ce sujet. Je n’ai pas vu le monument mais j’ai pris connaissance de photographies qui m’ont été présentées. Le débat est ouvert sur l’intérêt patrimonial qui aurait justifié un classement, or il a été considéré que les conditions d’un classement n’étaient pas réunies et j’assume cette décision [1]. Je note par ailleurs que les autorités ecclésiastiques sont favorables à la destruction !

Vous êtes sans doute bien placée pour savoir que le clergé n’est pas toujours le plus à même de protéger le patrimoine. Ce que vous avez dit pour Notre-Dame le prouve et tous les amoureux du patrimoine vous remercient sur ce point. Le clergé dans les années 1960/1970 a causé la plus grande vague de vandalisme dans les églises depuis la Révolution française, le clergé n’est malheureusement pas synonyme de protection du patrimoine. C’est là que le rôle du ministère de la Culture est important en bloquant des projets qui ne respectent pas le patrimoine.

Je préfère me battre pour la Butte Rouge, pour la Maison du Peuple à Clichy ou pour l’abbaye Saint-Vaast à Arras. Nous avons effectivement des appréciations différentes sur cette chapelle de Lille.

Vous avez parlé d’Arras, également un dossier très important. Là, vous pouvez parfaitement dire non.

C’est un monument historique majeur, c’est un musée de France. Il ne s’agit pas de faire n’importe quoi, et on ne laissera pas faire n’importe quoi, je surveille cela comme le lait sur le feu. En revanche, rien ne s’oppose à l’installation d’un hôtel dans une partie du monument à condition que le patrimoine et le musée soient préservés.

Et pour les étangs de Corot ?

Je suis assez ennuyée par cette affaire, parce que j’ai des avis de dangerosité qui sont formellement établis. Je n’ai pas de raison de les mettre en doute. S’il y a mise en jeu de la vie des personnes, qui sera responsable ? Ce ne sera pas vous ! Ce qui me revient à ce sujet est très inquiétant, avec un danger imminent.

Un danger imminent, il n’y en a pas à Saint-Cloud !

Pour l’instant, je ne peux pas vous répondre à ce sujet que je ne connais pas encore en profondeur. Pardonnez-moi de ne pas être au fait de tous les dossiers patrimoniaux, je vais regarder celui-ci de plus près.

J’aimerais revenir très rapidement au budget. Je milite depuis longtemps pour deux mesures, l’augmentation de la taxe de séjour, et une taxe sur les mises de la Française des Jeux. L’enjeu est bien de pérenniser un budget très important pour les monuments historiques.

Vous pensez bien qu’en tant que ministre de la Culture, tout argent qui peut être apporté au ministère de la Culture est bon à prendre. Mais à une condition : que cela n’aboutisse pas à diminuer le budget parallèlement. On voit bien la chose se dessiner : il y aurait une sorte de tuyauterie budgétaire et on nous dira que puisqu’on a obtenu ces ressources par tel prélèvement et par des crédits ciblés, nous aurons moins de crédits non individualisés. Une vieille bête ministérielle comme moi connaît très bien les systèmes. Je ne suis pas sûre que votre idée apporte in fine des crédits supplémentaires au ministère.

Avec 300 millions d’euros donnés chaque année par le ministère, ces mesures permettraient d’obtenir peu ou prou un milliard. En admettant même qu’on les enlève, ça ferait tout de même 700 millions, soit plus de deux fois le budget actuel.

Et en ce moment, créer de nouvelles taxes et de nouveaux impôts, même soi-disant réputés indolores, ne semble pas très opportun.

Pour les touristes, 50 centimes ou 1 euro, sur une taxe de séjour qui est déjà basse, je ne pense pas que ce soit véritablement douloureux.

Regardez la levée de boucliers qu’a entraînée chez certains la diminution de 5 euros par mois sur l’APL. 7 euros par semaine pour un ménage modeste, parce que cela les concernera aussi, quand ils passent 15 jours de vacances, ça peut être beaucoup, et on doit l’avoir à l’esprit. Tout influe sur les revenus des ménages. Un certain nombre de gens diront que c’est un impôt supplémentaire qui frappe les plus modestes ; ils seront obligés de payer une taxe de séjour, alors que déjà certains renoncent à leurs vacances. L’idée me paraît très intéressante, mais elle n’est pas si facile que cela à porter politiquement et elle comporte des risques de « tuyauterie budgétaire ».

Et la taxe sur la Française des Jeux

L’argumentation est un peu identique.

Pouvez-vous me dire ce que vous pensez de la loi Elan ? Un exemple d’actualité est celui de Sierck-les-Bains, où une maison du XVIIe est menacée de destruction. L’ABF y est opposé, il n’y a aucune raison de la démolir et elle risque pourtant d’être détruite.

Ah oui, la loi Elan, c’est mon chagrin. Vous n’avez pas complètement tort. C’est vrai : que l’avis de l’ABF soit maintenant consultatif et non plus impératif est un réel problème patrimonial. Je crois que sur ce sujet il nous faut tenir bon dans notre action déconcentrée, avoir une force de persuasion, pour remplacer la coercition. Je dois dire que je suis assez inquiète d’une sorte de montée des polémiques des élus locaux qui trouvent que les DRAC en font trop, que l’archéologie préventive c’est odieux, que les mesures de conservation les empêchent de procéder au développement économique indispensable des territoires. J’entends ça toute la journée quand je me promène à l’Assemblée nationale et qu’on me porte des petits mots… Vous savez, je suis la ministre à qui on porte le plus de petits mots. Je sais que sur le plan législatif, ce que vous préconisez n’a pas le vent en poupe, il faut que nous unissions nos efforts afin d’expliquer à quel point c’est indispensable.

Parmi les dossiers importants en ce moment, il y a aussi l’Hôtel-Dieu, bâtiment qui aurait dû accueillir le musée de l’Assistance Publique, et qui pourrait accueillir celui de l’œuvre de Notre-Dame. Au moins une partie de l’Hôtel-Dieu pourrait être consacrée à la Culture et le ministère de la Culture aurait son mot à dire. Même la maire de Paris, pourtant peu attentive au patrimoine, s’en est inquiétée.

J’en appelle à une forme de cohérence de la part de la maire de Paris, qui est également présidente de l’APHP et qui a donc toute autorité à travers sa fonction. Je ne suis pas sûre qu’on puisse avoir une attitude différente à l’Hôtel de Ville et à la tête du conseil de surveillance de l’APHP.
Pour l’Hôtel-Dieu, l’ABF a donné un avis favorable au projet et je n’ai pas trouvé le projet odieusement attentatoire au patrimoine, je trouve que c’est assez bien venu.

Ce n’est pas tellement l’attaque contre le monument que contestent les opposants, mais bien l’utilisation du monument : on est devant Notre-Dame, et beaucoup pensent qu’on a une occasion unique de faire quelque chose de plus respectueux du lieu.

Personnellement, je ne verrais que des avantages à coordonner la partie Hôtel-Dieu avec Notre-Dame. Peut-être que dans le projet de la Ville de Paris, pour le parvis de Notre-Dame, à propos duquel j’ai dit que je serai très attentive, y-aura-t-il quelque chose ?

Passons aux musées. J’ai écrit des dizaines d’articles documentés sur les dérives de la gestion du Louvre. Par exemple, vous lui donnez 36 millions pour surmonter les conséquences de la pandémie, et parallèlement il fait des travaux hors de prix et inutiles, comme ceux qu’il s’apprête à faire pour le département des Antiquités Grecques, Étrusques et Romaines, refaites entre 1997 et 2010, qui vont coûter 40 millions d’euros. Elles n’ont pas besoin d’être refaites, cette somme va être dépensée pour rien. Je pourrais multiplier les exemples.

On m’a effectivement rapporté vos articles, mais la politique d’un établissement public comme le Louvre relève d’un certain nombre d’opérations de contrôle. Évidemment, les projets passent en Commission nationale du patrimoine et de l’architecture, ils sont instruits par les Architectes en chef des monuments historiques, ils font l’objet de commissions scientifiques… Comment ce que vous décrivez serait-il possible ? Ce qui m’était apparu, c’est que les travaux de rénovation des salles étrusques et romaines, les travaux de réaménagement des salles étrusques et italiques, le réaménagement des salles romaines dans les appartements d’Anne d’Autriche et la cour du Sphinx, que tout cela faisait partie d’un plan de travaux qui était acté, qu’il n’y avait pas de doublonnage…

Je peux vous assurer qu’il s’agit de travaux inutiles et d’argent dépensé pour rien. Prenons l’exemple des Étrusques : on a enlevé les aménagements du XIXe siècle pour qu’on ne puisse plus jamais accrocher de tableaux, on a envoyé les tableaux de Jean-François de Troy à Liévin où on ne les reverra plus. Cela choque tout le monde.

Qu’est-ce-que vous a répondu le Louvre ?

En général le Louvre ne répond pas, ou répond de manière peu satisfaisante. Et quand il me répond, je cite ses réponses dans mes articles. Pourquoi a-t-on enlevé ces tableaux ? Pourquoi ferme-t-on des salles - c’était avant la pandémie - en disant qu’il y a des travaux, alors qu’il n’y a pas de travaux ? Pourquoi pendant le premier confinement le Musée du Louvre a-t-il été le seul à interdire à ses conservateurs de travailler, et même de télétravailler ? Des exemples comme ça, j’en ai cinquante. Je n’ai pas de réponses.

Heureusement qu’ils ont tout de même travaillé.

Oui, mais ils l’ont fait contre les instructions qu’ils avaient reçues.

Je pense qu’il est très important de vous apporter toutes les informations complètes, je vous transmettrai les explications du Louvre.

Nous assistons à une véritable hémorragie d’œuvres d’art qui sortent de France, malgré le système des trésors nationaux, et cela ne date pas d’hier.

Le terme d’hémorragie ne convient pas. Là, je trouve que vous exagérez, il y a aussi des achats.

Certes, et j’en parle beaucoup. Mais entre 2011 et 2013, le budget a été divisé par deux, et n’a pas bougé depuis. Cet argent qui n’a pas été dépensé pendant huit ans aurait permis d’avoir le montant nécessaire à l’achat du Porte-Étendard de Rembrandt.

Même si les budgets ont été diminués à une époque qui ne relève pas de ma responsabilité, il y a toutes sortes de dispositifs qui ont permis aussi de se procurer des œuvres à l’achat duquel l’État participe directement par un certain nombre de dispositions fiscales, de mécénat d’entreprises, de dations…

Ces dispositifs existaient déjà à l’époque.

L’État, même si cela n’émarge pas au budget de la Culture stricto sensu, participe tout de même et de façon propre à de très beaux achats et j’en suis très heureuse. Il y a évidemment des achats emblématiques qui ont été réalisés, et cela continue. Et il y a aussi des opérations privées tout à fait intéressantes, comme l’achat par la Fondation Bemberg à Toulouse du beau Zurbarán… au grand dam des Espagnols d’ailleurs.

Pour rester dans les trésors nationaux, La Tribune de l’Art et l’association Sites & Monuments demandent depuis très longtemps une plus grande transparence du ministère sur les certificats d’exportations.

On m’a tenu informée de cette requête, il semblerait que ce soit tout de même très difficile. Il y a eu un jugement là-dessus.

La procédure judiciaire n’a pas été jusqu’au bout car cela coûtait trop cher aux associations. En tout cas, La Tribune de l’Art, qui demandait de consulter les comptes-rendus de la Commission des trésors nationaux, a obtenu gain de cause et fait condamner le ministère… Quant à avoir les éléments sur les certificats d’exportation, si vous dites qu’il n’y a pas d’hémorragie, il serait bien de pouvoir le vérifier.

On m’a dit que c’était un outil informatique de gestion, et pas une base de données, ce qui n’est pas tout à fait pareil. J’ai confiance dans les services de mon ministère, je n’ai pas de raisons de les mettre en doute a priori, et je ne vois pas ce qu’il y aurait à cacher.

Ils ne veulent pas que l’on sache quelles sont les œuvres qui sortent de France, car certaines devraient être des trésors nationaux. Et même quand on les interroge sur des dossiers particuliers, et pas sur tous les certificats d’exportation, le ministère refuse de répondre.

Nous vous répondrons si les demandes sont proportionnées, il n’y a de ma part aucun problème de transparence.

Les musées devaient rouvrir le 15 décembre…

L’ouverture au 15 décembre était envisagée à la condition que la situation sanitaire ce soit améliorée, ce qui n’est pas le cas, loin de là. Nous allons donc décaler la réouverture des musées, comme des monuments historiques privés.

Cette crise est très difficile pour les propriétaires de monuments. Il faut vraiment les aider. Il ne faudrait pas qu’il y ait des monuments historiques qui ferment ou qui soient vendus à cause de la crise du Covid.

Vous avez raison d’attirer l’attention là-dessus, mais cela dépasse largement la crise covidaire. Je vois véritablement des propriétaires de bâtiments historiques qui sont incapables de les transmettre à leurs enfants, parce que ceux-ci font carrière à l’étranger par exemple ou disent à leurs parents qu’ils ne veulent pas s’occuper du château. Il y a des propriétés qui sont en vente dont on ne sait pas ce qu’elles vont devenir. C’est un vrai sujet d’inquiétude pour moi. Évidemment l’État ne peut pas les prendre en charge. Ce n’est même plus une question de facilité fiscale, parfois on donnerait ce château aux enfants, ils n’en voudraient pas !

Est-ce qu’il y a des réflexions, des groupes de travail qui sont organisés par le ministère pour réfléchir à ces questions ?

Il n’y a pas de groupes de travail, mais des réflexions que j’ai entamées avec la Demeure Historique et avec les associations de ce type. Vous avez parlé de la crise du Covid. Je pense que pour cela, on trouvera des solutions, on parviendra à aider les propriétaires privés et à surmonter cette crise. Mais sur cet autre sujet, j’ai une inquiétude de fond. Il y a un phénomène de société dont je ne vois pas quels outils pourront nous aider à le surmonter. D’ailleurs quand j’interroge les uns et les autres ils ne le voient pas non plus. Et vous même m’avez dit que vous n’en avez pas…

Ma dernière question porte sur le Panthéon. Les six boîtes d’Anselm Kiefer ont été installées en négation de l’architecture et devant des peintures murales importantes du XIXe siècle. Or c’est un monument protégé. Pourquoi l’État s’autorise-t-il à faire ce qu’il refuserait à un propriétaire privé ?

C’est un élément, certes fixe, mais qui n’empêche pas de voir les décors…

On ne peut plus voir l’ensemble des compositions peintes.

J’ai trouvé qu’on les voyait bien. En tout cas, on ne peut pas du tout comparer cela avec l’affaire des vitraux en grisailles de Notre-Dame, qui sont un élément constitutif de l’architecture. Et même les propositions contemporaines, auxquelles je ne suis pas par principe opposée, doivent être faites dans un monument comme Notre-Dame de Paris en concertation avec l’État. Certains se sont offusqués que j’aie une position aussi ferme dans ce domaine alors qu’il y a un clergé affectataire. Certes il y a un clergé affectataire, mais l’État doit être consulté. J’ai redit simplement le droit sans porter de jugement.
Sur les vitrines d’Anselm Kiefer, je suis moins choquée que vous, c’est une appréciation je dirais de subjectivité et elle est parfaitement recevable.

Ce ne sont pas les œuvres, c’est le fait qu’elles se mettent devant d’autres œuvres qu’elles nient.

Qu’elles nient ? Non, qu’elles complètent !

Propos recueillis par Didier Rykner

Vos commentaires

Afin de pouvoir débattre des article et lire les contributions des autres abonnés, vous devez vous abonner à La Tribune de l’Art. Les avantages et les conditions de cet abonnement, qui vous permettra par ailleurs de soutenir La Tribune de l’Art, sont décrits sur la page d’abonnement.

Si vous êtes déjà abonné, connectez-vous.