Interview d’Alexandre Gady, président de la S.P.P.E.F.

En novembre dernier, nous avions interviewé Alexandre Gady après sa nomination comme président de la Société pour la protection des paysages et de l’esthétique de la France.
Près d’un an plus tard, nous avons voulu revenir sur l’actualité de cette association qui a déjà lancé plusieurs actions judiciaires allant d’ailleurs souvent dans le sens des propres combats de La Tribune de l’Art qui, comme vous le savez, pratique un journalisme engagé pour la cause du patrimoine et des musées.
Une telle association, reconnue d’utilité publique, a besoin de nombreux adhérents, et nous souhaitons lui donner ainsi une meilleure visibilité. Cet interview, pour la première fois sur le site, a été filmé. Nous en donnons également une transcription (légèrement réduite) pour ceux qui n’auraient pas le temps ou l’envie de la visualiser entièrement (elle dure 13’ 34’’).


Interview d’Alexandre Gady par latribunedelart


Transcription écrite (légèrement réduite) :

Qu’est-ce que la S.P.P.E.F. ?

C’est la plus ancienne association de protection du patrimoine français puisqu’elle a été créée au lendemain du vote de la loi sur les associations. Elle regroupait, autour de Sully-Prudhomme, des gens qui s’inquiétaient d’abord du massacre des paysages. Son deuxième président, Charles Beauquier, qui était un député du Doubs, va porter en 1906 la première loi de protection du paysage qui porte son nom. Cette loi est la mère de l’actuelle loi de 1930 qui est le texte législatif qui aujourd’hui protège les sites.

Quelles sont vos actions ?

Au cours de sa longue histoire, presque 112 ans, la S.P.P.P.E.F a utilisé plusieurs armes. D’abord simplement l’arme de la mobilisation. Des citoyens veulent exprimer un point de vue qui n’est pas forcément celui de l’administration. Ensuite, elle a beaucoup travaillé avec les pouvoirs publics. Nous tenons à cet aspect des choses, c’est une association qui possède aussi un peu un caractère institutionnel. L’idée était d’agir au mieux auprès des cabinets ministériels, ou des élus. Également par le biais d’information, notamment à travers la revue Sites et Monuments qui donne beaucoup d’informations sur le patrimoine français.
La S.P.P.E.F. s’est aussi positionnée, assez tôt, et avec beaucoup de courage car c’est une chose très difficile évidemment, dans l’action en justice. Les autres actions ne suffisent pas toujours à faire triompher ce que nous pensons être le bien public et le bon sens. Nous avons donc été amenés, dès les années 60/70 à Paris, à mener des procès, qui se sont multipliés dans les années 80/90, notamment grâce à un extraordinaire avocat, Me Olivier Chalot, un ami très proche, malheureusement disparu très jeune et qui faisait des miracles. Ces actions en justice, j’ai tenu à les relancer depuis que j’ai été élu président il y a un an, pour montrer aux pouvoirs publics que nous ne sommes pas de simples amateurs sympathiques qui nous réunissons de temps à autre pour parler de patrimoine.

Quelles sont les actions judiciaires en cours ?

Il y a actuellement une dizaine de procédures judiciaires en cours. Il s’agit de justice administrative. Nous avons l’habitude de pratiquer cela depuis longtemps. Ce sont des procédures assez longues, coûteuses c’est vrai, mais nous avons un excellent avocat et ces recours nous servent un peu d’« arme nucléaire ». Nous n’attaquons évidemment pas tout. Nous sélectionnons les meilleurs combats, ceux à la fois justes et représentatifs. Un procès, c’est à la fois une logique interne, pour sauver quelque chose, mais il y a aussi une logique externe, pédagogique auprès des élus, des promoteurs…
Je peux citer un recours contre la déclaration d’utilité publique de la destruction de la rue des Carmes à la demande du maire actuel d’Orléans. Lorsque le ministère de la Culture de l’ancienne majorité n’a pas été en mesure de s’opposer au maire, il a fallu prendre la décision assez lourde de conséquences pour nous : attaquer la déclaration d’utilité publique prise par le préfet pour détruire les maisons du Moyen Age, du XVIe et du XVIIe siècle de la rue des Carmes.
Et puis il y a eu les élections et le nouveau ministre a pris un parti qui nous paraissait juste mais qui aurait dû être pris très en amont, c’est d’annoncer la protection de cette portion précieuse de la rue des Carmes. Le problème est que la déclaration d’utilité publique préalable à la destruction est toujours valable. J’ai d’ailleurs reçu après la déclaration du ministre le mémoire en défense de la partie adverse. L’intérêt d’une telle procédure, même si l’on pourrait dire que cela ne sert à rien, que le ministre a fait son travail, c’est que cela nous permet de rester dans le jeu et donc de nous assurer qu’il n’y aura pas un accident.
De la même manière, nous avons un procès retentissant contre l’extension du stade de Roland-Garros, ou plutôt des stades de Roland-Garros. Nous avons présenté, avec le concours d’une autre association reconnue d’utilité publique, les Vieilles Maisons Françaises et son président Philippe Toussaint, un contre-projet à ce que Roland-Garros prétend être la seule solution, comme par hasard, celle de massacrer les Serres d’Auteuil et de s’étendre sur un site tout à fait remarquable, protégé au titre des monuments historiques d’ailleurs. Ce contre-projet a été bien accueilli par la presse, mais balayé d’un revers de main par nos adversaires – au sens sportif du terme évidemment. Il est clair que nous allons au procès, et nous attaquons, dans les quelques jours qui arrivent, le P.L.U. de Paris qui permet les constructions à venir du bois de Boulogne, site classé je le rappelle par un décret de 1957. Depuis cette date il n’a cessé d’être grignoté, et Roland-Garros n’est pas le dernier dans ce grignotage. Voilà un des grands procès que nous menons aujourd’hui, avec, comme très souvent, d’autres associations, locales. Nous sommes une association nationale avec une reconnaissance d’utilité publique, mais j’aime agir avec des associations locales ou des citoyens car cela montre qu’il y a une convergence d’intérêt et surtout - ce qu’il faut éviter, qu’il n’y a pas de chantage ou de défense des intérêts privés. Je n’ai rien à gagner, que des coups à prendre… Je défends ce que je crois être le bien public et, souvent d’ailleurs, il faut dire que je ne fais que défendre des lois qui sont votées par le parlement mais qui sont mal appliquées par l’administration et qu’il suffirait d’appliquer pour que je démissionne de cette association, et que nous nous dissolvions. C’est normal, nous sommes dans une démocratie, l’Etat ne peut pas tout faire et bien, il a besoin des citoyens qui sont là pour l’aider à prendre de bonnes décisions ou pour lui éviter d’en prendre de mauvaises.

Comment financez-vous ces actions ?

Nos ressources ne proviennent que des adhésions – nous avons plusieurs milliers d’adhérents – qui, avec la vente du bulletin, sont notre grande ressource. Nous avons également des dons ou des legs. Nous avons deux subventions, l’une du ministère de l’Ecologie, l’autre du ministère de la Culture, mais qui qui nous servent à délivrer des prix, donc qui transitent par nous et ne servent pas au fonctionnement de l’association. Nous sommes indépendants au sens propre et noble du terme, avec une fragilité financière énorme. Il faut prendre des décisions. Il y a des permanents, mais beaucoup de bénévoles évidemment. L’appel que je pourrais lancer, il n’est pas très original et en ce moment il ne tombe pas très bien, c’est que tous ceux qui s’intéressent au patrimoine, qui sont très nombreux, tous ceux qui n’ont pas totalement envie de voir disparaître un certain nombre de monuments ou de paysages qui les entourent qui, forment le « fond de l’œil », le fond de leur « mental » presque, et bien que ces gens là se mobilisent. Soit ils adhèrent, cela ne coûte pas grand-chose et cela fait une force, cela fait du nombre, soit ils peuvent faire un don, même modeste, j’ai mis en ligne le système des micro dons. On peut donner un euro, deux euros, cinq euros pour une cause précise. Je reçois beaucoup de dons en ce moment pour le bois de Boulogne. Il est clair que les gens sont absolument scandalisés que la Fédération française de tennis s’installe dans le bois comme si de rien n’était…

Y-a-t-il une déductibilité fiscale ?

Comme nous sommes reconnus d’utilité publique, vous pouvez déduire 66% de vos impôts, à hauteur bien sûr de 20% du revenu imposable.

Et votre nouveau site internet ?

Le nouveau site de la S.P.P.E.F, c’est une histoire à rebondissement car nous étions très papier, c’est un problème de culture. J’ai un peu appuyé pour aller vers internet. Ce qui est sûr c’est que le site va ouvrir dans dix jours www.sppef.fr [1]. Il présentera nos actions, les combats que nous pensons justes, des informations pour nos adhérents, avec un espace dédié, des informations juridiques... Bref, une boite à outils, et une caisse de résonance pour tous les combats que nos avons la prétention de mener pour essayer que ce pays reste, comme on le dit, le plus beau pays du monde – je n’en suis pas tous les jours convaincu. Mais on peut essayer de faire en sorte que la France reste ce pays que nous aimons. Dans le nom il y a le mot « esthétique », on n’a pas honte de dire que nous défendons le beau. Aujourd’hui cela fait rire tout le monde, plus personne ne parle de beau, sauf que, à la fin, ça se termine toujours par « j’aime », « j’aime pas », alors nous on a pris parti, on défend ce que nous croyons être beau, et on essaye de le transmettre après nous.

Propos recueillis par Didier Rykner

Société pour la protection et l’esthétique de la France, 39, avenue de la Motte-Piquet. Tél : 01 47 05 37 71. sppef@wanadoo.fr

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