Inquiétude pour le Ministère de la Culture

Depuis quelques semaines, le ministère de la Culture vit au rythme de la révision générale des politiques publiques (RGPP), le projet du gouvernement visant à « maîtriser et rationaliser les dépenses publiques tout en améliorant la qualité des politiques publiques » [1]. Il s’agit d’un des premiers ministères à faire l’objet d’une réorganisation entrant dans ce cadre. A ce titre, il servira sans doute de modèle pour la suite. Une perspective inquiétante, si l’on observe comment les choses se déroulent.

Christine Albanel, dans une lettre envoyée le 19 février aux employés du ministère, indique qu’elle souhaite ainsi « permettre aux politiques publiques, et donc à la politique culturelle, de mieux répondre aux exigences de la société. [La RGPP] vise à améliorer la qualité du service rendu au public, avec le souci constant d’un égal accès de tous à la culture, et à valoriser le travail des agents tout en rationalisant les dépenses publiques ». Il semble, à en croire la manière dont est mené ce projet, qu’il s’agisse surtout de réaliser à tout prix des économies, sans prendre en compte la spécificité évidente du sujet.

Voici quelques-unes des hypothèses sur lesquelles travaille, actuellement, le ministère, dans le domaine des musées et du patrimoine :

 Regroupement des dix directions (et délégations) existantes rue de Valois en trois (ou quatre) directions : une direction patrimoniale qui regrouperait les fonctions actuelles de la Direction du Patrimoine, de la Direction des Musées de France et de la Direction des Archives ; une direction de la Création ; une direction de la Démocratisation culturelle (on admirera le flou d’une telle dénomination). L’architecture, actuellement rattachée à la Direction du Patrimoine, pourrait rejoindre la nouvelle direction de la création, mais rien n’est encore certain.

 Rattachement de certains musées nationaux à de plus grands établissements. Si celui de l’Orangerie avec le Musée d’Orsay semble cohérent [2], comme l’avait été celui du musée Delacroix au Louvre, le rattachement du musée de Cluny au Louvre, comme le bruit en avait couru un moment, se justifierait beaucoup moins. Il semble peu probable.

 D’autres musées, au contraire (et Cluny en fait partie), pourraient être transformés en Etablissements Publics, notamment certains musées-châteaux (éventuellement en les regroupant). Davantage d’établissements publics signifierait probablement de nouveaux postes de directeurs confiés à des administrateurs au détriment des conservateurs, comme c’est le cas pour la plupart d’entre eux (hors le Louvre et Orsay).

 Des musées nationaux (par exemple le Musée Magnin de Dijon) se verraient proposés à des collectivités locales. On voit mal comment celles-ci pourraient souhaiter récupérer des établissements de ce type, alors qu’il est plus que probable que les dotations budgétaires ne suivront pas, ou de manière très provisoire.

 Selon le même principe, de nouveaux monuments historiques pourraient également être « décentralisés ». La précédente opération de ce genre (voir l’éditorial du 17/11/03 et la brève du 27/7/06) avait pourtant abouti à un quasi échec. On se rappelle que la liste avait été établie par une commission dirigée par René Rémond, chargée de définir les monuments d’importance régionale ou locale appartenant à l’Etat et susceptibles d’être transférés à des collectivités territoriales. On se demande donc quels sont ceux qui seraient choisis aujourd’hui. S’agira-t-il, faisant fi des critères de cette commission, de se débarrasser d’éléments patrimoniaux « d’importance nationale » comme le Domaine national de Saint-Cloud pour lequel, d’après les syndicats, Parick Devedjian serait candidat ?

 Autre solution : la Réunion des Musées Nationaux prendrait en charge la plupart des musées nationaux. Certains pourraient aussi être rattachés au Centre des Monuments Nationaux (à moins que la RMN et le CMN ne fusionnent, autre hypothèse envisagée). Thomas Grenon, le président de la RMN mène un forcing effréné pour récupérer cette gestion des musées, et serait allé jusqu’à agacer en hauts lieux comme l’a révélé Vincent Noce dans Libération du 19 février.

 Plusieurs activités de la Réunion des Musées Nationaux pourraient être filialisées, notamment celles à fort enjeu scientifique, comme l’édition et l’agence photographique. Cela reviendrait, comme le dénoncent les syndicats, à privatiser une part importante de missions qui relèvent pourtant du service public. Notons que dans l’hypothèse où la RMN ne récupérerait pas l’administration des musées, ces filialisations réduiraient son activité à peu de chose...

Il faut ajouter les incertitudes qui pèsent sur les services du ministère en région et en département. Si les DRAC devraient être conservées, qu’en sera-t-il des services départementaux qui risquent d’être absorbés par les préfectures. Au cas où ils seraient rattachés aux DRAC, seraient-ils géographiquement relocalisés ? On reste encore dans le flou le plus complet, mais le passé, et les conséquences néfastes des lois de décentralisation, qui ont conduit notamment à un éclatement de l’Inventaire Général, n’incite pas à l’optimisme.

Il est possible que l’organisation retenue ressemble à une espèce de patchwork de toutes ces hypothèses. On imagine alors la confusion. Devant la complexité du problème, la précipitation est pourtant de mise. Les solutions doivent en effet être trouvées en à peine plus de deux mois : sollicitée le 12 décembre par Christine Albanel, Francine Mariani-Ducray, la Directrice des Musées de France, doit lui remettre vendredi prochain, 22 février, le rapport évaluant les différents scénarios [3].
Très fragilisée par l’annonce, officieuse mais permanente, de son remplacement prochain, la ministre de la Culture ne paraît pas disposer sur ces sujets de beaucoup d’autonomie. Il semble que les vraies décisions soient prises par les conseillers de l’Elysée.

Dans ces conditions, tous les syndicats Culture, unanimes, dénoncent ce qu’ils considèrent comme une attaque sans précédent contre les missions qui font, depuis plus de cinquante ans, la raison d’être du ministère. Réunis en intersyndicale, ils se montrent très résolus et très inquiets. Ils soulignent que, s’ils sont effectivement conviés à des réunions d’information, il ne s’agit pas d’une réelle concertation et que leurs interlocuteurs, souvent, ne savent pas répondre à leurs questions. Une manifestation est prévue le 21 février devant le ministère, une pétition circule dans les services et d’autres actions devraient être menées dans les prochaines semaines.

Tout observateur soucieux de la préservation du rôle de l’Etat dans les domaines du patrimoine et des musées peut légitimement s’interroger. La part du budget du ministère de la Culture dans celui de la Nation est très faible (moins de 1%, rappelons-le). Les économies possibles dans ce domaine (seule raison réelle de toute l’opération) apparaissent dérisoires. S’il y a un domaine qui devrait se voir épargné cette course aux économies, c’est bien celui-là. N’est-ce pas la France qui a inventé l’exception culturelle ?

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