Géricault, le Radeau de la Méduse et l’idéologie du seul but d’art

Je n’ai pas une extrême admiration pour l’Art pour l’Art. Je ne me passionne pas pour un beau torse, pour une belle draperie bien peinte, si ce n’est seulement pour faire voir le talent de l’artiste. [...] La forme sans la pensée, c’est l’œuvre d’un savant grammairien.

David d’Angers, Carnets de notes [1]

Ce qui va suivre n’est pas la vérité. Ce n’est que notre vérité. C’est-à-dire une vérité parmi tant d’autres. A ce titre, elle mérite sans doute autant de respect et de sens critique que les vérités que nous allons passer en revue. Nous serons sans pitié puisque telle est la vérité. A moins que nous nous trompions de vérité et que la vraie, elle, ne soit qu’Amour et Pardon. Peut-être. Mais à vrai dire, la vérité n’est peut-être qu’un extraordinaire mensonge qui voudrait se parer de toutes les vertus. Généreusement, nous lui laisserons ses illusions et, seul, avec les nôtres, nous irons explorer d’autres chemins.

Sainte vérité géricaldienne, j’écrirai ton nom

Cette route, dans le cadre de cet article, s’appellera tout simplement Théodore Géricault (1791-1824). Géricault, le célèbre peintre du Radeau de la Méduse (Paris, musée du Louvre). Première vérité : le peintre et son tableau sont célèbres. Est-ce si vrai ? Combien de fois n’ai-je pas entendu que cette immense toile était de Delacroix ! Connu Géricault ? Mais oui ! Son Radeau ne l’est-il pas universellement ? Sans doute. Les milliers d’articles et les dizaines d’ouvrages qui lui ont été consacrés ne sont-ils pas là pour l’attester ? Il y a quelques années, j’eus l’idée saugrenue de fonder une association des amis de Géricault. Naturellement, il me fallait quelques pontes dans le comité d’honneur et je proposai à Jacques Thuillier, alors professeur au Collège de France, d’en faire partie. Il refusa courtoisement. On avait, m’assura-t-il, suffisamment étudié ce peintre et depuis plusieurs années il déconseillait formellement à ses élèves de s’y intéresser. En cela Thuillier était parfaitement logique avec lui-même : il détestait cordialement Géricault et l’avait exprimé à deux reprises. En 1978, dans l’introduction d’un Tout l’œuvre peint [2] et en 1987 (un peu plus sagement) dans le catalogue d’une exposition qui eut lieu au Japon [3]. La vérité de Thuillier était simple : Géricault n’était pas vraiment un grand peintre ni vraiment un romantique. Fils de bonne famille, il n’avait pas souffert financièrement pour assouvir sa passion et n’avait donc aucun mérite. Thuillier n’était-il pas prisonnier du mythe suranné selon lequel renoncement et pauvreté devaient être « le lot du génie » [4] ? De plus, s’il n’était pas mort à trente-deux ans, il aurait sans doute fait une carrière académique. Comme tout le monde, il aurait fini par nier sa jeunesse révoltée : « l’audace de Géricault » tenait « de l’inconscience de la jeunesse » [5]. Thuillier – à moins que ce ne soit de sa part une pure projection – lui appliquait le schéma de carrière bien connu du peintre Horace Vernet, camarade d’adolescence de Géricault. Pourquoi pas ? N’est-on pas libre de fantasmer et de faire faire aux morts ce que bon nous semble ? L’historien – de bonne foi – n’agit-il pas ainsi ? Ne serait-ce qu’inconsciemment ? En fait, ce que cherchait à faire Thuillier en cette fin des années 1970, début 1980 – et pas seulement avec l’auteur du Radeau de la Méduse – était tout simplement de remettre en cause l’idée même d’avant-garde et de modernité [6]. A l’époque, l’une des rares, sinon la seule, réponses aux thèses de Thuillier fut cinglante, pour ne pas dire courageuse. Jean-Claude Lebensztejn assimila les démarches de Jacques Thuillier, « chef de file des néo-pompiers », à celles des falsificateurs de documents : révisionnistes, négationnistes et autres nazis [7]. Le coup porté était terrible. Lebensztejn, quelques années plus tard, nous assura qu’il ne regrettait pas un mot de sa démonstration et ceci malgré l’avis de quelques-uns de ses amis qui estimaient qu’il y avait été « un peu fort ». C’est bien évidemment de telles réactions qui peuvent et doivent intéresser l’historien et le sociologue. Pourquoi et comment en vient-on à de tels arguments dans la « douce » patrie des arts ?
Géricault, pour revenir à lui, a l’immense intérêt de pouvoir focaliser ce genre d’attitude passionnelle. Est-ce un hasard si les historiens de l’art qui se sont penchés sur sa vie et ses œuvres se sont eux-mêmes baptisés les « fous de Géricault » [8], allusion directe à la célèbre série des portraits de monomanes ? Cette thèse du « délire partiel hors duquel les monomanes sentent, raisonnent et agissent comme tout le monde » [9] inventée par les pionniers de la psychiatrie fit scandale pour être enfin abandonnée au milieu du XIXe siècle. Mais puisque nous sommes dans le domaine insondable de la vérité, nous pourrions dire que chacun des historiens de Géricault a développé consciencieusement sa propre monomanie dans le but de créer de toutes pièces son Géricault idéal. L’auteur de ces lignes n’échappant nullement à cette terrible maladie. Afin d’ausculter nos malades, il conviendrait sans doute de revenir aux sources, ou si l’on préfère, de revenir au cadavre de notre artiste.
De Géricault, nous ne savons rien, ou si peu. L’axiome, nous allons le constater, induit une terrible logique. Pourquoi, tout d’abord, ne savons-nous rien ? Le premier à le dire et à s’en plaindre fut Henry, l’auteur de la notice du catalogue après décès de Géricault. La vente eut lieu les 2 et 3 novembre 1824. Son avant-propos commençait ainsi, avec six majuscules :

« TOUTES les tentatives que nous avons faites pour obtenir quelques renseignements sur la vie et les ouvrages de Géricault, ont été sans succès, nous nous bornerons à rappeler ici le peu de faits qui marquent les principales époques de sa trop courte existence dans les arts [10]. »

Ces quelques lignes d’Henry, « Commissaire-expert des Musées royaux » consacrent l’aura de mystère qui entoura, dès sa mort, les faits et gestes de Géricault. Henry disait-il la vérité ? Quel crédit faut-il accorder aux tentatives dont il se targue ? Un mort qui reste mystérieux n’est-il pas susceptible de faire naître l’imaginaire des futurs acquéreurs qui auront ainsi l’impression d’acheter puis de posséder une partie du secret ? En tout état de cause on peut dire qu’Henry est en quelque sorte l’un des créateurs du mythe Géricault. Car mythe il y a et mythe il y aura toujours. Ces lignes en témoignent et ne font que l’avaliser. Quand on ne sait rien, l’imagination galope. Encore plus lorsque l’on donne à ses fantasmes l’occasion de se focaliser sur une icône, qui plus est macabre. Dix ans après sa mort, on commença la commercialisation du masque funéraire de Géricault, ainsi fustigée par Jules Janin : « Voyez ce que le plâtre mortuaire a fait de ce noble jeune homme ! Ne dirait-on pas qu’il avait soixante ans quand il est mort et qu’il est mort de la vie des libertins ? Je vous le répète, votre plâtre est un exécrable mensonge, une atroce calomnie » [11]. Cette calomnie ne devait plus cesser. En 1988, une journaliste du Figaro-Magazine, sans aucune crainte du ridicule, titrait encore, et en pleine page : « Géricault. Il mourra d’être tombé d’un cheval furieux et d’avoir trop fait l’amour » [12]. Le titre pourrait prêter à sourire si, derrière, ne se cachait l’image du Géricault revendiqué par Thuillier : un pauvre type qui ne fit de bien que ses chevaux et quelques cavalcades avec les dames. Encore est-il juste de préciser que Thuillier n’insiste pas trop sur les dames. S’il évoque l’érotisme de Géricault – via ses dessins – c’est, une fois encore, pour en minimiser les audaces : point d’obsession ni de perversité ni de fascination du fruit défendu [13]. Oui, décidément, pauvre pauvre Géricault !

De l’art pour l’art, ou de l’art pour ne plus rien voir ?

Le début des années 1840 fut sans doute très important pour le mythe géricaldien et le figea à tout jamais. En 1841, le sculpteur Etex construisait un tombeau à Géricault, sépulture qu’une famille aisée avait totalement laissé à l’abandon [14]. La même année, Louis Batissier (1813-1882) publiait une notice de vingt-quatre pages qui tentait ce qu’Henry et quelques autres avant lui n’avaient pu faire. Dès 1836, Batissier, alors âgé de 23 ans, avait commencé à recueillir les témoignages d’anciens camarades de Géricault. Le fait mérite d’être souligné, car le jeune biographe recueillit les propos de témoins directs, douze ans seulement après la mort du peintre. Ceci dit, en douze ans, la mémoire a ses limites et qui d’entre nous accepterait que l’on résume sa vie en vingt-quatre pages ? Dans le cas de Géricault, c’est moins d’une page par an. Autant dire que ce que nous propose Batissier est une synthèse, courte, très courte et forcément lacunaire. Ou, pour reprendre une expression d’Henri Zerner, une « biographie archiromantique » [15]. Que faut-il entendre par archiromantique ? La vision que nous propose Batissier peut ainsi se résumer : le génie de Géricault fut « méconnu de son temps » [16]. Si la fameuse expression « artiste maudit » n’est pas prononcée, on comprend bien que cette tentative de « réhabilitation » – dont Batissier, comme par hasard, se défend [17] – l’induit formellement. S’il ne veut pas réhabiliter le peintre (ce qui naturellement est archi-faux) Batissier n’en fustige pas moins les critiques du Salon de 1819 qui osèrent « avec une audace inouïe » maltraiter son héros. Batissier, à son tour, allait donc maltraiter les critiques d’art qui ne surent pas reconnaître, dans le Radeau de la Méduse, l’œuvre d’un « penseur » qui a « étudié son art à fond » [18]. Batissier, en bon romantique ennemi de l’école classique, entendait régler leurs comptes à des journalistes qu’il estimait inféodés à l’école davidienne. Et en bon romantique des années 1840, sans doute partisan ou simplement influencé par le concept de l’art pour l’art, Batissier allait commettre l’irréparable. Qu’allait-il donc faire ? Pour défendre son héros des opinions absurdes émises par les critiques de 1819, le biographe pensa devoir les « attribuer à quelque passion politique ; car il faut bien dire – ajouta-t-il – qu’on fit une affaire politique de cette peinture composée dans un seul but d’art ». Tout est dit. A notre tour, nous l’écrivons en majuscules : DANS UN SEUL BUT D’ART. Mais que veut dire cet étrange axiome ? Pour Batissier, il convenait de laver Géricault d’un grave péché par omission. Sa nouvelle esthétique, quoiqu’issue d’un mouvement qui leva « l’étendard de la révolte [...] contre les principes exclusifs de l’école académique » [19], ne pouvait être au service d’une cause politique. Géricault, avant toute chose, était un peintre. Et s’il était aussi un penseur, il concevait la peinture comme une simple juxtaposition de plans et de pigments sur une toile. Le tout, bien sûr, sans aucune arrière-pensée politique. Bref, on l’aura compris, il peignait dans un seul souci de délectation pure, c’est-à-dire dans un seul but d’art.
En défendant son héros, Batissier adoptait en fait une méthode qui contredisait celle utilisée quelques années plus tôt par la génération des romantiques républicains [20]. Dans plusieurs articles d’une folle virulence publiés en 1832 par un journal à la vie très éphémère et dont le titre, à lui seul, vaut manifeste, La Liberté, journal des arts, Alexandre Decamps, Jeanron et Pétrus Borel attaquèrent l’enseignement artistique de leur époque. Leur mot d’ordre était alors « anarchie et destruction » [21]. Leur bête noire était bien évidemment l’Académie des Beaux-Arts mais aussi les davidiens. Pour Jeanron, les élèves de David (et non David lui-même) n’étaient que de serviles tâcherons qui après avoir célébré l’Empereur se mirent au service des Bourbons. Ces davidiens-là, affirmait Jeanron, avaient osé fermer « la galerie contemporaine à Géricault qui pleurait les défaites héroïques de Moscou et de Waterloo, qui nous faisait voir nos vétérans insultés par la consigne des Suisses, qui mettait sur ses toiles les cuirassiers et les polytechniciens mourants à Saint-Chaumont, qui poursuivait l’émigration dans sa Méduse, et qui préparait à sa dernière heure sa grande épopée du marché des esclaves ». Cette énumération groupée des tableaux politiques de Géricault est rarissime et la conclusion de Jeanron montre à quel point il entendait faire des mânes de Géricault le symbole même de sa lutte :

« Cet homme fort nous manque, il nous aurait été en aide, lui qui préparait la guerre que nous avons engagée [22]. »

C’est bien l’idée même de cette guerre idéologique dont Batissier voulut laver son cher artiste. Triomphalement il apporta la preuve absolue de ses propos. Il s’agissait d’une lettre de Géricault à Musigny, son ancien condisciple de l’atelier Guérin, écrite peu après l’ouverture du Salon de 1819 (on peut la dater de la fin août, début septembre 1819 [23]). Malgré sa longueur il nous semble indispensable de la publier in-extenso car c’est elle qui est à l’origine du discours lénifiant qui a régné – et règne encore – dans les études géricaldiennes. L’original n’ayant toujours pas réapparu, nous citons cette missive d’après sa publication de 1841 [24] :

« J’ai reçu votre aimable lettre, et n’ai rien de plus pressé ni de mieux à faire que d’y répondre tout de suite. La gloire, toute séduisante que vous la dépeignez et que je la suppose quelque fois, ne m’absorbe pas encore entièrement, et les soins que je lui donne passent de beaucoup après ceux que réclame la douce et bonne amitié. Je suis plus flatté de vos quatre lignes et du gracieux présage que vous aviez formé de mon succès, que de tous ces articles où l’on voit dispenser avec tant de sagacité [25] les injures comme les éloges. L’artiste fait ici le métier d’histrion, et doit s’exercer à une indifférence complète pour tout ce qui émane des journaux et des journalistes. L’amant passionné de la vraie gloire doit la rechercher sincèrement dans le beau et le sublime, et rester sourd au bruit que font tous les vendeurs de vaine fumée.
Cette année, nos gazetiers sont arrivés au comble du ridicule. Chaque tableau est jugé d’abord selon l’esprit dans lequel il a été composé. Ainsi vous entendez un article libéral vanter, dans tel ouvrage, un pinceau vraiment patriotique, une touche nationale. Le même ouvrage, jugé par l’ultra, ne sera plus qu’une composition révolutionnaire, où règne une teinte générale de sédition. Les têtes des personnages auront toutes une expression de haine pour le gouvernement paternel. Enfin, j’ai été accusé par un certain Drapeau Blanc d’avoir calomnié, par une tête d’expression, tout le ministère de la marine. Les malheureux qui écrivent de semblables sottises n’ont sans doute pas jeûné quatorze jours, car ils sauraient alors que ni la poésie, ni la peinture, ne sont susceptibles de rendre avec assez d’horreur toutes les angoisses où étaient plongés les gens du radeau.
Voici un échantillon de la gloire dont on veut nous combler ici, et les coupables causes qui peuvent nous en frustrer. Avouez qu’elle mérite bien qu’on l’appelle vanité des vanités. Mais celle que chérissait Pascal, et que vous aimez aussi, je ne la dédaignerais pas [26].

Tout à vous de cœur,

T. Géricault. »

Cette lettre est fondamentale à plus d’un titre. A la suite de Batissier, elle servira longtemps de preuve absolue pour refuser à Géricault toute intentionnalité politique. Son Radeau de la Méduse en serait donc vierge mais aussi l’ensemble de son œuvre peint, dessiné et lithographié. Résumons : de retour d’Italie, Géricault décida d’immortaliser sur une toile monumentale un sujet d’actualité brûlante dont toute l’opposition (libérale, bonapartiste et républicaine) s’était emparée pour dénigrer les ultras (l’extrême-droite) qui siégeaient au gouvernement de Louis XVIII. Il s’agissait de fustiger les émigrés et, dans ce cas précis, leur incompétence meurtrière : le royaliste Chaumareys, commandant de la frégate La Méduse n’avait pas navigué depuis vingt-cinq ans. Depuis Batissier, bon nombre de biographes nous martèlent ainsi que Géricault s’empara d’un sujet politique pour en faire un tableau non politique. C’est très fort ! Imaginons Picasso peignant son Guernica pour en faire une apologie du tourisme en Espagne ou bien encore des artistes contemporains réalisant vidéos, performances ou fresques monumentales sur les services secrets français et leur talentueuse opération du Rainbow-Warrior, ou bien encore sur les sinistres incompétences d’un certain milieu médico-politique compromis dans le scandale du sang contaminé. Naturellement, ces artistes seraient tous de tendres poètes, fils à papa, peintres du dimanche et amoureux des berges de la Marne. En s’emparant soudainement de tels sujets ils chercheraient tout simplement à exprimer leur conception de l’humanité souffrante. D’arrière-pensées politiques, non, décidément, ils seraient bien incapables. Ça peut sembler caricatural, mais c’est exactement le Géricault que l’on nous a fabriqué. En cette fin du XXe siècle il existe grosso modo deux tendances : d’une part les historiens pour lesquels le Radeau de la Méduse est bien évidemment un tableau archi-politique – mais tout ceci reste oral et pratiquement aucun d’eux ne l’écrit et, surtout, ne s’essaie à le prouver – et ceux, majoritaires, qui suivent la tradition bien établie. Nous en donnerons deux exemples. Ils émanent d’écrivains politiquement engagés. Tout d’abord Jean Lacouture, qui dans son Histoire de France en 100 tableaux a choisi d’illustrer la Restauration avec l’œuvre de Géricault. Après avoir rappelé l’engagement de Géricault en 1814 dans la Maison du roi, Lacouture note son hostilité au gouvernement de Louis XVIII :

« Pour marquer son rejet du régime impérial, il s’engage en 1815 [sic], pendant les Cent-Jours, dans les « mousquetaires gris » du roi qui accompagnent Louis XVIII dans sa fuite à Gand [...].

Est-ce l’amertume des souvenirs que lui a laissés cette escapade bourbonienne en Flandre ? Ou la résurgence de son tempérament rétif comme les chevaux qu’il peint ? On le retrouve hostile au régime de la Restauration, franc-maçon et libéral. Certains ont voulu voir en ce radeau ballotté par les flots une allégorie de la France livrée à ces gens d’Ancien Régime qui n’ont “rien oublié ni rien appris”. Interprétation probablement abusive [27]. »

Nous reviendrons sur le « certains ont voulu voir » qui claque comme une condamnation. Venons-en ensuite à Pierre Daix qui dans son récent livre intitulé Pour une histoire culturelle de l’art moderne consacre un chapitre entier à Géricault. On y retrouve deux conceptions du peintre de la Méduse qui nous semblent antinomiques. Pour Daix, tout d’abord, « les résonances subversives » du Radeau de la Méduse sont « évidentes » et la censure du titre – il fut exposé comme une Scène de naufrage – souligne bien « la signification politique » du tableau. Et de conclure : « la tension politique sous-jacente au Radeau ne fut pas [...] une inadvertance chez Géricault » [28]. Jusqu’ici tout semble logique. La suite se gâte. Constatant que l’Etat n’a pas acquis le tableau à l’issue du Salon de 1819, Daix affirme :

« C’est un échec brutal, redoublé par la critique, et dont Géricault ne se remettra jamais. La biographie de Denise Aimé-Azam est très éclairante sur ce point. [...]
Qu’est-ce à dire, sinon que Géricault avait misé très gros sur Le Radeau, que l’échec était pour lui inattendu et traduit qu’il n’était pas conscient de ce que la modernité de son tableau avait d’inassimilable pour le conservatisme ambiant ? Il suffit de le voir se défendre comme un beau diable contre l’interprétation politique terre à terre [29]. »

La défense en question, on l’aura deviné, est la fameuse lettre à Musigny. Nous y reviendrons. Pour l’instant soulignons que Géricault a travaillé plus d’un an et demi sur un tableau monumental sans être « conscient » de ce qu’il faisait. Très vite on glisse sur le concept déjà évoqué du pauvre type. Et Daix d’affirmer que notre peintre, ce « jeune dandy riche » au « talent fou », n’était pas « un opposant, encore moins un révolté », et il ne savait pas à quel point il transgressait « l’ordre établi » [30]. En d’autres termes c’était un peintre génial mais complètement idiot, ou pour le moins limité. Disons à la décharge de Pierre Daix qu’il n’est en rien l’inventeur de telles contradictions. Il donne lui-même ses sources en citant l’ouvrage de Denise Aimé-Azam (1956) [31] qui après ceux de Batissier (1841) et de Clément (1868 et 1879) devait sceller à tout jamais la légende géricaldienne. Mais n’allons pas trop vite dans notre cheminement vers la vérité et revenons un bref instant à Batissier.
Jules Michelet, l’enchanteur Merlin de l’histoire

La brochure de Batissier devait avoir un impact très important sur Michelet. Les deux hommes se connaissaient et dès la sortie de sa brochure, Batissier s’empressa de l’offrir à l’historien [32]. Quelques années plus tard, Michelet consacra plusieurs pages à Géricault dans lesquelles il proposait une interprétation radicalement nouvelle du Radeau de la Méduse qui non seulement s’opposait à la vision de Batissier mais faisait de ce tableau une allégorie de la France. Rien de moins. Le « certains ont voulu voir » de Lacouture vise donc Michelet.
Nommé professeur au Collège de France en 1838, Michelet préparait une vaste histoire de France qui devait le mener, peu à peu, à la période révolutionnaire. Il devait y consacrer sept volumes entre 1847 et 1853. Pendant les années 1840, Michelet s’intéressa tout particulièrement à la formation de la nation française en même temps qu’il rassemblait tout ce qu’il pouvait glaner sur Géricault. Le 20 juillet 1840 il notait dans son Journal ses premières impressions devant l’Officier de chasseurs et le Cuirassier blessé [33] (Paris, musée du Louvre), recueillait les témoignages de ceux de ses amis qui l’avaient connu, comme le peintre Belloc et Mlle de Montgolfier, allait au cimetière du Père-Lachaise se recueillir sur sa tombe, et ne laissa « passer aucune occasion d’aller voir ses tableaux » [34]. Peu à peu l’historien allait établir des liens étroits entre « Géricault et le nationalisme républicain » [35].
Le bellicisme revanchard, issu des invasions de 1814 et 1815, avait fait place dans les années 1840 à un nationalisme plus sentimental, plus réfléchi, élaboré par une toute nouvelle génération d’historiens, au premier rang desquels se trouvait Michelet. A cette époque (1843), il entrait en relation avec Béranger, « le poète national », partageant avec ce dernier des racines populaires et le même amour pour le peuple [36]. Réfléchissant sur l’échec de la Révolution à installer durablement l’ordre républicain, Michelet concluait à l’urgence d’une éducation populaire afin de prévenir, le moment venu, des égarements similaires à ceux de la Terreur et de l’Empire. Le 24 janvier 1845, Michelet se donnait un an pour rédiger un livre intitulé Le Peuple. Il allait y explorer la permanence du sentiment national et mettre en avant l’amour de la patrie qui, seul, permettait au peuple français d’exprimer son attachement mystique à sa terre [37]. Hachette mit en vente Le Peuple le 28 janvier 1846. Le lendemain, Michelet commençait ses cours au Collège de France, consacrés à la nationalité. En tout neuf leçons qui firent courir tout Paris. Dans sa troisième leçon, Michelet avait prévu d’évoquer « La nationalité dans l’art (peinture) : David, Géricault " [38]. Elle eut lieu le jeudi 12 février. D’emblée Michelet commençait par dévaloriser David, lui reprochant d’incarner « la Terreur en peinture », de ne pas avoir glorifié la nationalité française et enfin de ne pas avoir privilégié « l’individualité ». Michelet reprochait encore à David d’avoir été le témoin infidèle de son époque et de ne pas avoir su en saisir l’héroïque énergie. En s’inspirant de l’esthétique de Lessing et de Winckelmann, David avait opté pour un héroïsme pur, abstrait, idéal, le coupant du « jaillissement vivant d’un peuple, fait d’enthousiasme et de souffrances, d’espoirs et de doutes, d’énergie et de mémoire » [39]. David, enfin, en s’emparant de l’image de Napoléon, avait choisi d’en faire un Héros individuel. Tout compte fait, il n’avait réussi à forger qu’une simple allégorie du pouvoir.
Tout au contraire, Michelet appréciait chez Géricault ses représentations d’une épopée héroïque sans héros individualisé. Comme le remarque si bien Pierre Malandain, ses géants de 1812 et de 1814 étaient anonymes et faisaient figure de Héros réels : « en peignant “le Soldat de 1812”, “le Soldat de 1814”, Géricault semblait céder à la généralisation du symbole ; en fait, il peignait le Héros réel, le seul qui ait à la fois senti et assumé le mouvement même de l’Histoire » [40]. Le Héros réel, auxiliaire du peuple, en incarnait les profondes aspirations. Ce Héros autorisait enfin un phénomène d’identification. D’où la force de l’image et son incroyable modernité. Et Michelet d’affirmer : « Oui, Géricault est l’artiste national, grand comme œuvre et plus grand comme méthode, le seul qui ait pris la France hors de toute imitation » [41].
Michelet ne devait pas en rester là puisqu’il avait prévu de s’emparer une nouvelle fois du peintre dans ses cours de 1848. Ceux-ci, interdits pour raisons politiques le 31 décembre 1847, ne furent pas professés mais, en revanche, immédiatement publiés. Cette fois-ci Michelet entendait donner la vie de Géricault en exemple à la jeunesse, l’inciter à procéder à une véritable contre-éducation et prôner la fraternité. S’il parlait encore des géants de 1812 et 1814 – symbole de l’Empire défait – Michelet évoquait également le Radeau de la Méduse et lançait sa fameuse phrase : « C’est la France elle-même, c’est notre société tout entière qu’il embarqua sur ce radeau de la Méduse... » [42].
Les interprétations de Michelet suscitèrent de la part de plusieurs historiens un rejet total. Ernest Chesneau, en octobre 1861, fut l’un des premiers. Tout en rendant hommage à Michelet, il tentait de rectifier, sinon de minimiser l’interprétation de l’historien :

« Le Chasseur à cheval et le Cuirassier blessé sont maintenant au Louvre. On a fort éloquemment prêté à Géricault, dans la conception de ces deux toiles, une arrière-pensée patriotique et chevaleresque. Sans accepter absolument cette hypothèse, disons qu’elle séduit l’imagination ; il y a certaines légendes qu’il est bon de garder, quel que soit leur antagonisme avec la froide raison. C’est pourquoi l’on aime à trouver dans le Chasseur à cheval une allusion à l’intrépide élan de nos armées partant à la conquête du monde ; dans le Cuirassier blessé, le symbole douloureux de nos revers au milieu des plaines glacées du Nord [43].. »

Pour Chesneau, Géricault ne pouvait avoir conçu ses deux tableaux avec une arrière-pensée patriotique et chevaleresque. Autrement dit il ne pouvait y avoir de sa part aucune arrière-pensée politique. Y voir l’emblème d’un désastre national n’était pour cet historien de l’art qu’une « poétique erreur ». Plusieurs auteurs allaient s’engouffrer dans cette dénégation mais aucun ne tint compte du total et très rapide revirement de Chesneau. Ce dernier écrivait à Michelet le 18 février 1862 :

« Monsieur et bien cher maître,

J’ai pu enfin me procurer votre cours de 1847-1848. J’y ai lu d’admirables pages sur Géricault. Voulez-vous me permettre d’en reproduire quelques-unes dans l’appendice de mon volume d’études sur les peintres modernes ? [...] [44] »

Michelet donna son accord [45]. Chesneau republia son texte en 1862 et fit un renvoi à son appendice, juste après le dernier mot de la phrase « On a fort éloquemment prêté à Géricault [...] une arrière-pensée patriotique et chevaleresque » :

« Je cédais en écrivant cette phrase à l’impression que j’avais gardée d’une lecture déjà ancienne du Cours de 1847, par M. Michelet. Depuis j’ai relu ces pages vivantes, frémissantes et pleines d’aperçus profonds sur Géricault. J’y ai trouvé, sauf de légères dissidences, une éloquente et constante confirmation à mon propre jugement ; je mets donc à profit ce secours qui m’arrive inopinément en détachant de ce livre, maintenant rare, le beau chapitre qui suit [46]. »

Les « légères dissidences » sont incontestables. Michelet commet quelques erreurs chronologiques qui ont pu faire douter du sérieux de son interprétation. Mais ce qui importe ici c’est bien le mea-culpa de Chesneau et, dans son texte, l’endroit précis où il intervient : l’arrière-pensée patriotique. C’est cette idée même que ne pouvait admettre Charles Clément, le biographe incontournable de Géricault dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Si Clément ne cite jamais ni le texte ni le nom de Michelet – il le qualifie néanmoins d’historien célèbre – on comprend bien qu’il était fondamental pour lui de condamner formellement son approche des œuvres de Géricault. Les sujets de ce dernier n’étaient que des motifs, ils ne pouvaient ni faire sens ni être des symboles. Michelet se trompait. Pourquoi ? La réponse de Clément est terrifiante. Elle allait fonder le mythe d’un artiste dépourvu de toute capacité intellectuelle :

« Il n’y a pas eu de parti pris, d’intention a priori. Chez Géricault, le peintre dominait le penseur ; c’est l’histoire qui, en se déroulant, lui a fourni ses sujets. Il a peint ces deux représentations de la gloire heureuse et de la gloire malheureuse, comme il a peint à Rome la Course de chevaux libres, et plus tard, de retour à Paris, et sous le coup de l’émotion publique, le Radeau de la Méduse [47].. »

Le démenti de Clément suscita – et suscite encore – une totale approbation de plusieurs auteurs. En 1879, deux des plus conservateurs, Barbey d’Aurevilly et Henry Houssaye, fustigèrent Michelet et l’accusèrent purement et simplement de délire. Au mois de juin, le premier le traita d’Enchanteur Merlin de l’Histoire :

« Eh bien, malgré le talent de Michelet, je ne crois pas au Géricault qu’il invente ! Géricault en peignant le Chasseur de la garde, n’a pensé nullement à symboliser la guerre stupide, brutale, comme les philanthropes le font pour la déshonorer ! En peignant le Cuirassier blessé, il n’a nullement pensé à exprimer la douleur d’un peuple qui sent la défaite et qui geint de la guerre, et qui s’afflige des malheurs à venir. O magicien, remportez votre baguette ! [...]
Non, non, non ! Ce n’est pas cela, Géricault ! Géricault n’est qu’un artiste, mais cela suffit pour la gloire d’un homme, pour la douleur de sa vie et pour sa mort prématurée [48]. »

En novembre, Houssaye enchaînait :

« Michelet, dont le lumineux génie va parfois jusqu’à l’illuminisme, s’est imaginé que dans ces deux tableaux Géricault “a voulu peindre et juger l’empire”. [...] Michelet ne prête-t-il pas à Géricault une idée philosophique que celui-ci n’a jamais eue ? Que Géricault ait dans ces deux figures épiques exprimé les deux alternatives du combat et les deux antithèses de la guerre : la victoire et la défaite, cela saute aux yeux, frappe et émeut. Mais il y réussit inconsciemment, grâce à son génie de synthèse et à sa puissance objective. Il ne faut voir là aucune pensée politique. C’est abuser de croire, c’est abuser les autres d’écrire, que Géricault a voulu personnifier dans le Chasseur les victoires de 1812 et dans le Cuirassier les défaites de 1814 [49]. »

Houssaye – l’historien, rappelons-le, qui allait bientôt publier deux ouvrages fondamentaux : 1814 et 1815 – explicite fort bien les propos de Clément : Géricault était incapable de penser. Dès 1861, Chesneau l’avait doté d’un « esprit peu étendu » [50]. Dès lors comment aurait-il pu imaginer et vouloir représenter des faits contemporains sous un angle politique ? En 1956, Denise Aimé-Azam adhéra pleinement à cette théorie : « Réfléchir n’était pas son fort, mais au moins il ne se figurait pas réfléchir comme le font trop d’intellectuels » [51]. On retrouve enfin les mêmes condamnations chez le docteur Gilles Buisson : « Michelet, multipliant avec emphase les belles images, se trompa lourdement » [52]. Toutes ces idées prédominent enfin dans les écrits récents de Lorenz Eitner et de Germain Bazin : Géricault, jeune homme de bonne famille, ne pouvait avoir d’idées et encore moins d’idées politiques. Et Thuillier de se moquer de Michelet, inventeur d’un Géricault « sorte de héros républicain », « juge de son temps » [53]. Les expressions et petites formules distillées par Clément tout au long de son livre visaient ainsi à nier, purement et simplement, son statut d’artiste engagé. Nous citons les plus importantes de ces petites phrases assassines : « Simple et modeste, il admirait les autres et était rarement content de lui-même. Il ne posait pas, il ne songeait pas à jouer un rôle, et on serait tenté de croire qu’il s’ignorait » [54] ; « ce n’était pas, je l’ai dit, un esprit extraordinaire » [55] ; « chez Géricault, le peintre dominait le penseur » [56] ; « Géricault cherchait alors ses compositions au bout du pinceau » [57].
Tout compte fait, ce n’est qu’après son retour d’Angleterre, alors que le peintre était malade, que Clément commença à lui accorder un nouveau statut : « mais son caractère, son esprit se mûrissaient, [...]. Il avait beaucoup réfléchi sur la théorie de son art » [58]. Après avoir relaté la mort de Géricault, Clément lui décernait enfin la palme du « génie » [59] et reconnaissait qu’il portait « sans doute l’empreinte de la société dans laquelle » il avait vécu. De cette empreinte, il n’avait jamais été question dans son livre. Ou si peu. Récemment, Henri Zerner s’est élevé contre ce genre d’idées largement distillées dans la littérature géricaldienne. Soulignant l’originalité manifestée par Géricault dans ses recherches graphiques pour la Course des chevaux libres, l’affaire Fualdès et la Méduse, Zerner enchaînait :

« Cette curieuse façon de procéder a frappé tous ceux qui se sont intéressés à Géricault, mais on ne va guère au-delà pour donner une interprétation de cette démarche sauf à dire que Géricault réfléchit le crayon en main pour stimuler son imagination (Eitner), qu’il pense visuellement. J’avoue ne pas très bien comprendre ce qu’on entend par là. Les autres peintres ne pensaient-ils pas visuellement ? Personne, pourtant, n’avait procédé comme Géricault. Je verrais plutôt dans sa démarche le résultat d’une attitude nouvelle envers la narration, d’une anxiété, d’une remise en question des principes de la peinture, du langage pictural, et plus particulièrement, bien sûr, de la peinture d’histoire [60]. »

Géricault, peintre d’histoire ou peintre du « dada » ?

Ce revirement à l’encontre de Géricault est tout récent. Bien qu’il ait existé quelques textes d’avant-garde (Rosenthal en 1905 [61], Berger en 1952 [62], Aragon entre 1954 et 1959 [63], Gaudibert en 1954 [64], Rosen et Zerner en 1984-1986 [65]), on peut le faire remonter à 1991, année de la grande rétrospective au Grand Palais et du colloque international qui eut lieu grâce à Régis Michel sous la pyramide du Louvre. Rappelons enfin qu’on a rarement écrit – si ce n’est presque jamais – que Géricault était un artiste intellectuel. La seule mention connue émane de Victor Darroux et remonte à 1836 :

« On a prétendu que Géricault était mort à la suite de honteuses débauches, lui, dont l’existence ne fut qu’une lutte tout intellectuelle contre la froideur et l’indifférence de son siècle. L’envie qui le poursuivait vivant n’a pu s’arrêter devant sa tombe [66]. »

La citation de Darroux peut prêter à sourire, mais on sait qu’il n’affabule aucunement. Ne vient-on pas de voir que c’est seulement au seuil de cette tombe que Clément reconnaissait à Géricault la faculté de penser ? De plus, Clément se refusait bien évidemment à lui décerner le titre de peintre d’histoire. Viendra sans doute un temps où ce qualificatif paraîtra l’évidence même. Ce n’est pas encore le cas. On lui préfère encore, et de loin, le qualificatif de peintre du cheval. « Géricault, peintre d’histoire » est un titre rarissime, si ce n’est unique. Ce fut pourtant celui que choisit Alphonse Rabbe en 1824 pour l’un des très rares articles nécrologiques consacrés à l’artiste. Publié trois jours après sa mort dans La Pandore, journal d’opposition fondé par des membres du cercle amical et politique de Géricault (Arnault et Jouy), l’article de Rabbe commençait ainsi : « La peinture historique vient de perdre dans la personne de M. Géricault une de ses plus chères espérances »Anonyme [67]. Rabbe, après avoir rappelé le « succès populaire » obtenu en 1819 par le Radeau de la Méduse soulevait immédiatement le fond du problème :

« Quelques artistes, que toutes les innovations épouvantent, et qui, sans cesse prosternés aux pieds des classiques du genre, ont horreur de tout ce qui est hors des préjugés que la longueur des temps a rendus sacrés, crièrent à l’insubordination, à la violation des usages. »

L’article de Rabbe a l’immense avantage d’évoquer d’emblée l’une des problématiques primordiales chez les romantiques et chez Géricault en particulier : la violation des usages, c’est-à-dire la perversion des genres. Rabbe, dans la suite de son article, cherchait à nier cette « violation », dans l’intention, sans doute, de prouver l’honorabilité du défunt :

« Une voix, qui semblait être l’écho des classes, avança que la manière de M. Géricault n’avait rien d’historique ; que la majesté du pinceau appelé à perpétuer les traits des anciens et les souvenirs des Grecs et des Romains, était blessé de l’emploi auquel un jeune romantique l’avait rabaissé en ne peignant que les malheurs de Français contemporains. Cette réclamation eut tout l’effet qu’elle devait produire ; on regarda le tableau, et d’un commun accord, on reconnut que le Radeau de la Méduse était tout-à-fait digne d’être compté parmi les productions les plus estimables de la peinture historique. »

Quoiqu’en dise Rabbe, l’intérêt d’un Géricault « peintre d’histoire » réside bien dans la violation manifeste et consciente « des usages » de ce genre. Sans cette lecture, on risque de minimiser la modernité de l’œuvre de Géricault et de passer à côté de ses audaces (ce sont, de fait, les lectures de Clément, Aimé-Azam, Eitner, Thuillier et Bazin). Reste alors le peintre du cheval. Au moins celui-là n’appartient ni à la génération des rebelles, ni à celle des romantiques [68]. Génération à laquelle Rabbe, nous l’avons vu, n’hésite pourtant pas une seconde à le rattacher.
On pourrait ainsi résumer le cas Théodore Géricault : Géricault, peintre politique ? Non, non, surtout pas. Peintre d’histoire, allons bon ! Peintre romantique, vous n’y pensez pas... Géricault est un pur classique, totalement inféodé à son maître Guérin, garant du dogme néo-classique. La preuve, Géricault tenta le concours du Prix de Rome. La preuve, il décida d’aller parfaire son éducation classique en terre sacrée (l’Italie). La preuve, la composition et les naufragés de son Radeau de la Méduse sont totalement académiques. La preuve, il ira s’incliner devant David alors en exil à Bruxelles. Et ses amis ? Ah oui, Horace Vernet et Charlet. Oui, de sacrés coquins bonapartistes ceux-là, mais bon, ils n’eurent aucune influence sur Géricault et encore moins sur ses productions artistiques puisqu’il était royaliste. La preuve ? Il s’engagea dans les Mousquetaires du roi en 1814. Les cercles politiques de Géricault ? Mais il vécut presque seul. Tel un peintre maudit [69]. Dans ces conditions, on mesure la difficulté de proposer une nouvelle vision de la vie et de l’œuvre de ce peintre.
S’il est vrai que Théodore Géricault demeure « inconnaissable » [70] sous bien des aspects de sa vie privée, ses nombreuses peintures et la multitude de ses dessins permettent, tout au contraire, de le lire à livre ouvert. Encore faut-il s’en donner la peine. Cette lecture ne pouvant avoir lieu et trouver son sens qu’en acceptant au préalable une véritable plongée dans le contexte historique, politique et sociologique de son époque. Cette histoire-là reste encore à écrire. Si un jour elle pouvait se faire, nous sommes convaincus qu’il n’y aurait plus vraiment ni mystère ni légende noire autour de notre artiste « maudit ». S’il fut maudit, les historiens en portent l’entière responsabilité. A vouloir écrire l’histoire vraie, à vouloir la trop simplifier, on risque de tomber dans ces extraordinaires cécités qui parcourent toute la littérature géricaldienne. La négation – on a pu s’en rendre compte –, est présente chez la plupart des hagiographes de Géricault. A tel point que toutes les affirmations péremptoires sont souvent de véritables pistes à suivre riches en découvertes futures. En janvier 1924, Rosenthal notait :

« Je crois devoir ajouter une dernière observation. A plusieurs reprises, dans ses lithographies et particulièrement dans celles de la suite anglaise, Géricault avait manifesté une passion politique et sociale. Les préoccupations politiques n’avaient pas été étrangères aux choix de la Méduse [71]. »

Géricault, peintre politique ? Quelques semaines plus tard, la réponse de Vauxcelles ne se fit pas attendre :

« Géricault [...] n’est réaliste, ni moderniste, ni naturaliste, il n’est surtout point peintre social ainsi que Courbet sous l’influence de Proudhon. Certes les passions généreuses de l’époque ont gonflé sa poitrine et il voulut traiter des sujets d’actualité. Mais tenir le Radeau de la Méduse pour un pamphlet dirigé contre les Bourbons serait la pire erreur. Géricault lui-même a dénoncé cette erreur et s’en est plaint amèrement dans une lettre souvent citée où il montre le béotisme des critiques [72]. »

Si l’un des ces malheureux béotiens avait un jour l’idée de soutenir une thèse sur « Géricault, peintre politique », ou mieux encore, « Géricault, peintre du politique », il saurait parfaitement à quoi s’attendre ; à cette sentence de Chastel, par exemple, datant de 1954 :

« Mais va-t-on “expliquer” l’artiste par la découverte du social, des drames sociaux, de la pression des sociétés sur l’homme moderne ? Ces plates généralités n’expliquent rien des curiosités qui vont aux extrêmes et fixent le spectacle incessant des forces vives et des forces mortes ; il n’est vraiment pas nécessaire de recourir à Engels – comme croit devoir le faire M. Berger – pour saisir ce que Géricault va retenir de l’Angleterre de 1821 [...] [73]. »

Pour Chastel, seule comptait cette évidence : Géricault était « profondément romantique ». Elle expliquait tout. Mais naturellement, de définition du romantisme, il n’en était pas question. Et tenter de discerner les tendances politiques de ce mouvement esthétique encore moins. Ce serait sans doute tomber dans de plates généralités.
Jean Sagne, en 1991, dans une biographie malheureusement prisonnière du mythe et des poncifs inventés de toutes pièces par Denise Aimé-Azam, s’y risqua quand même [74]. La réaction fut cinglante. Marcel Schneider, dans Le Figaro littéraire, lui reprocha aussitôt d’avoir fait de Géricault « un artiste engagé », militant « en faveur des droits de l’homme » et de « l’émancipation des Noirs ». Rien dans sa correspondance, ajoutait Marcel Schneider, « ne permet de telles conjectures. Géricault n’a pas, comme Delacroix, laissé de journal. Muet sur sa vie sentimentale, sur ses pratiques sexuelles, il l’est aussi sur ses idées politiques. [...] Il avait d’ailleurs une nature trop instable, trop sujette à l’enthousiasme comme à la dépression (trois hommes du côté maternel meurent dans des asiles d’aliénés) pour que son engagement politique, s’il y eut engagement politique, puisse être tenu pour un choix pris de façon raisonnable et délibérée » [75]. Le titre de l’article de Schneider, « Géricault : le pur-sang foudroyé », disait bien la seule voie qu’il était digne d’explorer : le cheval, rien de plus. On devine le danger. De l’absence de lettre politique on concluait qu’il n’en n’avait jamais écrit. Donc, sa peinture était bien apolitique. De plus, avec ces tares familiales, s’il avait eu l’outrecuidance d’émettre quelques idées, qui plus est politiques, on peut être certain qu’elles auraient été marquées du sceau de la folie. Quant à l’interrogation des œuvres elles-mêmes et du contexte dans lequel elles virent le jour, il n’en était pas question. Jean Sagne, indigné, parla d’un complot de la presse contemporaine, incapable, comme au temps du Salon de 1819, de juger l’apport de Géricault [76]. Sans doute était-il plus sûrement la victime d’une histoire de l’art et de journalistes réactionnaires qui, à de très rares exceptions près, se refusent sciemment à explorer les continents vierges.
Du danger insupportable de la recherche

L’ouvrage de Clément, déjà cité (la dernière version date de 1879), se veut être, pour certains, la référence définitive : « Il n’y a, somme toute, guère à changer aux grands traits du Gericault que Clément a livré à la postérité voici plus d’un siècle » écrivait Thuillier en 1978 [77]. Si l’on comprend que les termes racoleurs d’ouvrage définitif puissent apparaître sur une jaquette pour augmenter les chances de succès commercial d’un livre et vanter par la même occasion le travail novateur de son auteur, on ne peut s’empêcher de soupçonner ce qualificatif d’escroquerie intellectuelle. Rien n’est jamais définitif et surtout pas dans les sciences humaines. Bien au contraire, de nouvelles découvertes, de nouveaux concepts peuvent – et doivent – chambouler continuellement nos convictions. S’il est juste de dire que Clément n’est pas responsable de la récupération de son ouvrage, il est par contre entièrement responsable de sa méthode de travail et de ses partis-pris. On a dit, et c’est sans doute vrai, que son catalogue, dans le contexte des années 1860, était novateur et remarquablement précis. Clément, comme Batissier, fit appel aux témoins qui avaient connus Géricault. La méthode est digne de louanges. A ceci près que les principaux amis du peintre étaient tous morts à l’époque de ses investigations. Ses principaux informateurs furent trois rapins de Géricault, priés à sa demande expresse de rassembler leurs souvenirs quarante années après les faits. L’avancée fulgurante des recherches géricaldiennes de ces vingt-cinq dernières années confirment bien évidemment ce qu’il était facile d’entrevoir : les jeunes rapins ne savaient pas tout et demandèrent même à Clément de taire les amours adultérines du peintre et de sa tante par alliance. Union qui devait donner naissance à un enfant illégitime. Si le souci de préserver la vie privée de cette femme – (la baronne Alexandrine Caruel de Saint-Martin), encore vivante à l’époque où Clément publiait ses recherches – peut être avancé, voire même salué, il est en fait symptomatique de la démarche générale de Clément : taire ce qui pourrait heurter la sensibilité bourgeoise de son époque (nous sommes sous le règne de Napoléon III). Son livre est donc marqué du sceau de la bienséance et de son inévitable corollaire : la censure. En d’autres termes, l’idéologie de Clément est celle de la négation. Une négation d’autant mieux camouflée qu’elle se cache derrière le sérieux incontestable de sa démarche et, comme de bien entendu, derrière une sage et vertueuse modestie :

« C’est en tremblant que j’ai commencé cette étude. Je n’ai jamais été autant effrayé, et, je le dirai, affligé du sentiment de mon insuffisance que dans ce moment où je voudrais rendre hommage et justice au génie du plus grand artiste de notre temps, [...] [78]. »

Dès lors, comment fustiger un tel biographe dont le seul but avoué était de glorifier un artiste génial. Génial, certes, mais nous avons vu ce que Clément entendait par là... Clément, donc, fut adulé. Pendant près d’un siècle, pas un article, pas un livre ne devait sortir de l’orthodoxie cleméntienne. Le Clément était la Bible même. On y trouvait tout. Il avait tout dit. Et si merveilleusement. C’est-à-dire dans cette élégance de la langue française des gens bien comme il faut. Ce Clément, homme de goût et de mesure, était décidément un bien grand homme. Remettre en cause sa vision du peintre semblait non seulement exclu, mais surtout totalement injustifié. L’ouvrage, n’est-ce pas, était définitif. Mais les faits sont terribles et viennent parfois détruire nos plus belles croyances. Il en est ainsi de la fameuse visite de Géricault au peintre-régicide Louis David, alors exilé à Bruxelles. L’action, attestée par plusieurs documents datés, se passait en novembre 1820, époque à laquelle le peintre de la Méduse était censé résider à Londres [79]. Oui, mais voilà... comme par hasard, Clément n’en dit mot. Comment est-ce possible, lui qui savait tout ? Lui qui était si bien informé, par les amis même du peintre. Comment aurait-il pu ignorer une telle visite, lourde, ou si l’on préfère pleine de sens ? Cette visite bruxelloise avait en outre le malheur de détruire complètement la chronologie de Géricault, fondée sur l’idée d’un séjour unique de deux ou trois ans à Londres. D’où la surprise de deux biographes de la fin des années 1920 : « On a peine à croire, écrit Régamey, qu’il ait interrompu ce séjour pour revenir sur le continent. [...] Cette date de novembre 1820 est étrange. Doit-on lire 1819, ou 1822 ? En attendant que des documents nouveaux nous éclairent, deux choses sont certaines : la réalité de ce pèlerinage symbolique à Bruxelles pour embrasser David, et l’incertitude de la biographie de Géricault. Nous sommes souvent obligés de nous contenter d’à peu près » [80]. Oprescu se montrait tout aussi troublé et, sans mettre en doute l’année 1820, constatait lui aussi que ce « détail » avait échappé à Clément [81]. Pour la première fois, la statue du Commandeur était égratignée. On devine aisément quelle pouvait être désormais la nature du mal susceptible de la déstabiliser définitivement : la découverte d’œuvres et de documents inédits. La première attaque, lourde de conséquences, remonte à seulement vingt ans. Philippe Grunchec, pour la première fois depuis Clément, refit un catalogue raisonné de l’œuvre peinte. L’évidence même éclata : l’ouvrage de ce biographe adulé, « l’un des historiens d’art les plus consciencieux de l’époque », dixit Grunchec, était loin d’être parfait :

« C’est à cet ouvrage, dont la rigueur scientifique est tout à fait exceptionnelle pour l’époque, disons-le d’emblée, qu’il est traditionnellement fait référence de nos jours encore. C’est là pour toute recherche sur Géricault une base solide, même s’il ne faut pas, comme on le fait trop souvent, transformer chaque affirmation en article de foi [82] »

Grunchec situait clairement le problème. L’allégeance à Clément était une histoire de foi. Si la foi est un mystère, on sait aussi qu’elle peut être aveugle. Hélas, le dieu Clément n’était qu’un homme avec ses propres limites. Et Grunchec pour sa « plus grande perplexité » de s’étonner, non sans raison, des graves lacunes biographiques, catalographiques et méthodologiques du Biographe-Commandeur [83]. Mais la critique a ses limites. Il convenait aussi de ne pas trop faire vaciller la statue de son socle :

« Nous avons dit et répétons que malgré ces détails le catalogue de Clément est un instrument indispensable pour la connaissance de l’œuvre de Géricault et, dans la plupart des cas, le meilleur garant d’une juste attribution [84]. »

Avant de conclure :

« Le catalogue de Clément doit être envisagé sous cet aspect particulier : on constate en effet qu’à de rares exceptions près l’ouvrage présente une vision rassurante pour le lecteur, d’où le doute semble écarté. A peine y perçoit-on certaines hésitations, de faible importance, concernant la datation de quelques œuvres. Ce serait pécher par anachronisme que de reprocher à Clément de ne pas nous avoir entretenus plus largement de ses doutes : c’est là une précaution méthodologique qu’ignore son siècle [85]. »

L’article de Grunchec – par ailleurs remarquable – attaque, comme on peut s’en rendre compte, le catalographe Clément, non l’historien de l’art. Devinant le danger d’une telle remise en cause, Lorenz Eitner – grand séide clémentien – fit tout ce qu’il pouvait pour que l’on ne touche pas à son saint patron. Clément devait rester la référence obligée. Tous les écrits de ce spécialiste américain (son premier article consacré à Géricault date de 1953 [86]) sont ainsi marqués d’une totale allégeance au Père. Face aux critiques, Eitner n’argumente pas. Il affirme simplement que l’on ne doit pas toucher aux dogmes. Pour reprendre une expression de Grunchec, ce serait pécher. Eitner, dans l’ouvrage qu’il consacra à Géricault en 1983L [87] (traduit en français en 1991) – résumé de ses 30 ans de recherches – affirmait d’emblée dans sa préface qu’il était hors de question de remettre en cause cette « énorme travail de recherche » [88]. Premier mensonge ou première cécité d’Eitner ? Clément, d’après ce que nous savons aujourd’hui, travailla à son ouvrage au plus cinq ans. C’est peu. De loin, de très loin, les publications d’Eitner (en temps consacré et en volume) dépassent celles de son maître à penser. L’apport de Clément « reste irremplaçable » et nous offre « une biographie établie d’après des témoignages de première main » clame encore Eitner. Mensonges ou cécités ? Le travail de Clément, sur bien des points, est complètement dépassé et quant aux témoignages de première main, nous savons à quel point ils étaient limités à quelques personnes et, de plus, erronés sur bien des points. Mieux encore, certains, comme Dedreux-Dorcy (l’un des rares amis intimes de l’artiste encore vivants au moment de l’enquête de Clément), firent de la rétention d’informations [89]. C’est avec ces éléments, souligne Eitner dans sa conclusion, que le biographe de Géricault « compose un portrait de l’artiste sobrement factuel, écrit sur un ton mesuré et économe en détails. Clément sait beaucoup de choses, mais ne dit que ce qu’il juge essentiel à son propos. Laissant de côté les anecdotes pittoresques, il démolit tranquillement la légende, et attire l’attention du lecteur sur l’œuvre elle-même. Son ouvrage est la première étude, exemplaire, consacrée à l’artiste Géricault ». Cécité, nouveau mensonge ou éloge de la censure ? Une note – en petits caractères –, la dernière de son ouvrage, précise en renvoyant à l’article de Grunchec : « Malgré ses grandes qualités, l’ouvrage de Clément n’est pas exempt d’erreurs, et on peut lui reprocher sa conception trop schématique » [90]. Toute la mauvaise foi d’Eitner est là. Elle trahit, de fait, l’esprit de son ouvrage qui n’est fait que de contradictions sadiques. Celles-ci portent un nom que cet auteur refuse pourtant avec brutalité : idéologie. Terme répugnant, si l’on en croit Eitner, qui dans sa préface clame haut et fort : « Ici, l’idéologie n’est pas de mise » [91]. C’est-à-dire pas d’interprétations, c’est-à-dire la vérité, rien que la vérité de l’œuvre et de l’artiste... C’est-à-dire la vérité de Lorenz Eitner, recréant de toutes pièces une légende que Clément, soi-disant, aurait détruite. L’aphorisme d’Eitner, souligne Régis Michel, « laisse rêveur, tant il exhale ordinairement de rancœurs partisanes. Quoi de plus idéologique à l’évidence que le refus de l’idéologie ? [...] Eitner avoue sans fard ses buts de guerre : protéger le peintre contre les “interprétations extravagantes”. La formule, on s’en doute, vaut pléonasme : toute interprétation, pour Eitner, extravague (le mot caractérise d’ailleurs la folie chez Descartes). Qui s’étonnera que l’érudit fasse d’entrée le panégyrique de Clément, tel un hagiographe citant les Ecritures avant tout autre prêche, pour sanctifier par avance les arcanes tortueuses de sa légende dorée ? » [92].
Dans cette logique de guerre – une guerre de tranchées : attendre, ne pas bouger – on comprend mieux qu’Eitner n’ait jamais brillé par la découverte de documents inédits. Une lettre, plus encore peut-être qu’un dessin, peut tout remettre en cause. C’est là un danger véritablement insupportable. Eitner, comme par hasard, n’a donc pratiquement jamais rien trouvé. Confortant ainsi ses croyances en la toute-puissance de Clément, il a beau jeu de dire que « les recherches sur Géricault en sont encore à un stade peu avancé » [93]. C’est à l’évidence, plus encore qu’un refus, un mépris total pour l’histoire et ses méthodes modernes d’investigation. Allant au bout de sa logique, son refus d’interprétation des œuvres va de pair avec un refus de toute analyse critique des documents.
Aucune intention polémique

Le lecteur, peut-être choqué par l’extrême violence de tous ces enjeux, aura bien compris que le refus de l’idéologie signifie d’abord et avant tout le refus du politique. La politique, à l’évidence, c’est le diable même. Le Radeau de la Méduse ne peut pas être un tableau politique puisque c’est avant tout de la peinture. Et l’on sait que la vraie peinture, elle, est pure de cette tâche infamante. C’est bien évidemment cette thèse que défendit Eitner en 1972 dans la monographie qu’il consacra à la toile monumentale et dans l’un des chapitres de son Géricault publié en 1983. La thèse était la suivante : Géricault transforma un fait divers politique en un sujet plus universel qui traitait de l’espoir, du désespoir et de la souffrance :

« L’artiste n’avait aucune intention polémique en peignant Le Radeau de la Méduse. Toutes les motivations politiques qu’il avait pu avoir dans les premières étapes du projet s’étaient effacées depuis longtemps devant les problèmes picturaux et les réflexions d’une portée beaucoup plus générale. Géricault n’a pas travaillé d’arrache-pied pendant dix-huit mois pour le seul plaisir de plonger dans un embarras très passager un ministère remplaçable à merci [94]. »

Pour Eitner, Géricault avait « généralisé, ou humanisé, son sujet, le plaçant ainsi hors du temps et des querelles partisanes ». Eitner, il faut bien l’admettre, n’a pas tort : cette immense toile nous présente bien une « scène de souffrance humaine » qui « étant donné l’actualité brûlante du sujet, la valeur universelle donnée à la scène du naufrage semble particulièrement remarquable. Géricault en est arrivé peu à peu, à mesure qu’il avançait dans son travail, à considérer la tragédie du radeau comme une illustration du conflit fondamental entre l’homme et la nature ». Il est vrai que ce naufrage est susceptible de nous émouvoir au plus profond de notre être. Mais est-ce tout ? Est-ce vraiment tout ? Et Eitner d’affirmer encore :

« Les critiques supposent que le tableau exprime spectaculairement des opinions politiques, et plus tard d’autres auteurs reprendront cette thèse, interprétant Le Radeau de la Méduse comme une offensive contre le gouvernement royal. Mais si la peinture a une teneur polémique, contre qui est-elle précisément dirigée ? Si le gouvernement se sent visé, pourquoi a-t-il laissé exposer Le Radeau de la Méduse dans le cadre d’une manifestation aussi officielle ? [95] »

Eitner, il faut encore l’admettre, pose une très bonne question : le gouvernement pouvait-il se sentir visé par un tel tableau ? En 1975 déjà, Paul Joannides avait tenté l’esquisse d’une réponse. Dans son compte rendu du livre d’Eitner (celui de 1972), Joannides reprocha tout d’abord à l’auteur le peu de cas qu’il semblait faire du contexte politico-historique et ses tendances à tout simplifier pour enfin souligner qu’en août 1819 – contrairement à l’époque où le scandale éclata – les ultras n’étaient plus majoritaires au gouvernement. Le climat politique étant radicalement différent ce dernier pouvait se montrer plus tolérant [96]. Certes. Il n’en reste pas moins qu’un tableau aussi monumental, exposé dans un lieu public, ne pouvait passer inaperçu et risquait de réactiver un scandale politique gênant qui, de plus, ne pouvait plus guère servir la droite modérée. D’où la censure du titre ? Nous y reviendrons.
Le Radeau de la Méduse, « scène de souffrance humaine », tel était donc le seul sujet de cette icône monumentale. En 1984-1986, Henri Zerner – qui clamait pourtant (et clame encore) son admiration pour les travaux de Clément et d’Eitner – trouva la couleuvre un peu dure à avaler : « Dans une excellente monographie sur cette toile [...], Lorenz Eitner, écrit Zerner, a cherché à minimiser sa portée politique. [...] Eitner affirme que Géricault a lui-même nié avoir voulu faire de ce tableau un geste politique, et cite à l’appui de cette thèse une lettre [...] » [97]. Cette fameuse lettre, on l’aura deviné, est celle qu’il adressa à Musigny (cf. supra). Eitner revenait donc à l’argumentation émise en 1841 par Batissier – dans un seul but d’art – et naturellement dans son refus obsessionnel de l’interprétation il n’allait pas au delà. Zerner devina parfaitement que la clef de voûte de l’édifice idéologique d’Eitner se trouvait là, c’est-à-dire dans la première partie du deuxième paragraphe de la missive de Géricault. Nous la citons à nouveau :

« Cette année, nos gazetiers sont arrivés au comble du ridicule. Chaque tableau est jugé d’abord selon l’esprit dans lequel il a été composé. Ainsi vous entendez un article libéral vanter, dans tel ouvrage, un pinceau vraiment patriotique, une touche nationale. Le même ouvrage, jugé par l’ultra, ne sera plus qu’une composition révolutionnaire, où règne une teinte générale de sédition [98]. Les têtes des personnages auront toutes une expression de haine pour le gouvernement paternel. »

Et Zerner d’enchaîner immédiatement : « Géricault s’attaque ici à la critique d’art de son temps, qui, de fait, s’exprimait presque exclusivement en termes politiques, ou du moins en termes politiquement orientés. Pour Géricault, le libéralisme et la sédition n’étaient pas des caractéristiques de touche ou de couleur, ni des critères de valeur artistique recevables. Mais cela n’implique pas qu’il ait renoncé à exprimer ses intérêts politiques et sociaux » [99]. Zerner souligne l’évidence : Géricault se moquait des « gazetiers » qui trouvaient dans ce Salon de 1819 l’occasion de raviver leurs querelles. Raviver n’est peut-être pas le terme exact car lorsque l’on prend le temps de se plonger dans la presse parisienne de l’époque – presse qui dépasse en nombre, et de très loin, celui de nos actuels quotidiens nationaux – on est surpris par son extraordinaire vivacité. Bénéficiant depuis quelques mois à peine de nouvelles lois sur la liberté de la presse, tous ces quotidiens, ceux de l’extrême droite à l’extrême gauche, enfin libérés de la censure et de l’obligation préalable, se livraient alors à une véritable guerre idéologique. Tous les débats tournaient autour du sens à donner à la Restauration, à sa fameuse Charte octroyée par Louis XVIII ainsi qu’aux valeurs fondamentales de la Révolution française. Le Salon de 1819, pour les ultras comme pour les libéraux (dont se moque Géricault), n’était pour eux qu’une occasion supplémentaire de se livrer à leurs analyses partisanes. A la différence notoire et fondamentale qu’il s’agissait dans ce cas précis de tableaux dont le programme iconographique était susceptible de trahir une conception de la société. Géricault, le peintre ou, mieux encore, le peintre d’histoire, exprimait à Musigny son regret qu’aucun de ces gazetiers n’ait eu les compétences suffisantes pour indiquer à ses lecteurs l’incroyable nouveauté de son tableau. Mais ces critiques d’art en étaient-ils seulement capables ? En juillet 1820, dans une lettre au peintre Gérard, l’écrivain Lafont d’Aussonne les fustigeait à son tour :

« Vous lirez dans la Quotidienne d’aujourd’hui un article, sans talent, sur votre grand portrait du duc de Berry, où le talent abonde. Il est de la destinée des hommes supérieurs d’avoir pour juges insolents de petits êtres imperceptibles, qui, soldés à la page ou à la semaine, prononcent hardiment sur toutes choses, à la faveur d’un heureux incognito. Moquez-vous de toutes ces misères [100]. »

Pour mieux comprendre la déception de Géricault, il convient de relater les tous premiers moments de la réception de son Radeau de la Méduse et de la gêne manifeste qu’il provoqua. La preuve de cette gêne se trouve tout simplement dans le livret du Salon. Le nom du tableau, nous l’avons dit, fut censuré et remplacé par un titre totalement neutre : Scène de naufrage. Le subterfuge était grossier, pour ne pas dire naïf. Les critiques d’art du Salon de 1819 – et naturellement le public – savaient pertinemment ce que représentait la toile. Avant même l’ouverture du Salon, deux journaux d’opposition annoncèrent ainsi à leurs lecteurs les futures vedettes de l’exposition. Le Courrier tout d’abord, le 22 août :

« A M. le Rédacteur du Courier.

Monsieur,

Voici les dispositions faites dans l’intérieur du Louvre pour l’exposition. [...] Aux sujets de tableaux annoncés déjà, j’ajouterai les suivants : [...]. – Les naufragés de la Méduse, par M. Géricault (tableau de 25 pieds de longueur sur 16 de hauteur) [101]. »

Puis La Renommée, le 24 août :

« Une autre grande page, dont on parle encore avantageusement, représente un épisode du Naufrage de la Méduse. C’est l’ouvrage d’un jeune homme, de M. Jericault, connu aux expositions précédentes par quelques belles esquisses de chevaux [102]. »

Le 25 août, jour de l’inauguration, un journal gouvernemental plutôt modéré, le Journal de Paris, publia ce premier aperçu :

« Au moment où nous écrivons à la hâte ce premier article, il règne un si grand mouvement de tableaux dans les trois salles d’exposition et dans une partie de la galerie, qu’il est difficile de saisir et encore plus de décrire l’ensemble des dispositions, qui, sans doute, n’ont pu être terminées ce matin que peu d’instants avant l’ouverture du Musée. [...]
L’une des grandes machines qui frappent d’abord tous les regards représente les horreurs d’un naufrage, dont les désastres de la Méduse ont sans doute fourni l’effroyable idée [103]. »

La prudence du chroniqueur est manifeste : le peintre a « sans doute » trouvé l’idée de son tableau dans « les désastres de la Méduse ». Le même journal, via son chroniqueur anonyme, écrivait le lendemain :

« La foule s’arrête d’abord devant l’épouvantable scène de naufrage représentée par M. Géricault [104].. »

On remarquera bien évidemment le glissement du titre et l’aveu du succès populaire remporté par la toile. Ce dernier point est important à souligner car il est d’usage d’affirmer que cette exposition fut un échec total pour l’artiste. Si c’en est un, on constate qu’il serait pour le moins paradoxal. La première allusion à la censure du titre se trouve dans un journal d’opposition assez virulent, à savoir La Renommée du 26 août :

« Marf[orio]. [...]. Mais la foule augmente ; profitons du seul instant qui nous reste pour signaler ce que nous trouverons de plus remarquable.

Pasq[uin]. Quel mouvement, quelle verve dans ce grand tableau ! Les voilà bien, ces malheureux, si lâchement abandonnés à la merci des flots ! La mort plane sur ce radeau fatal ; elle a moissonné les plus faibles ; elle va frapper ceux qui déjà se sont abandonnés au plus sombre désespoir : épargnera-t-elle le petit nombre dont l’espérance soutient encore le courage ? La vue de cette grande composition frappe de terreur, et cependant l’artiste a sauvé avec beaucoup d’art tout ce qui pouvait faire naître le dégoût et révolter les sens. Il est impossible d’avoir été ni mieux ni plus vivement inspiré. Lisons la description ; elle doit faire horreur.

Marf[orio]. N° 510. Scène de naufrage. Pas d’autre information.

Pasq[uin]. Ah ! j’y suis, l’auteur du livret est un ancien rédacteur de la Gazette [105].. »

L’attaque de la Gazette – c’est à dire de la Gazette de France – était une attaque frontale visant les ultras royalistes. Pour les chroniqueurs de la Renommée, la censure du titre était donc l’œuvre de l’extrême droite qui avait sans doute voulu minimiser l’impact du tableau de Géricault. On ne s’étonnera pas que la Gazette de France ait fort peu goûté la grande toile :

« On distingue dans ce salon [le salon carré] une composition très-vaste, de M. Géricher [sic], dans laquelle le sublime de l’horreur est celui qu’on a cherché à faire dominer. Ce tableau, d’un effet très-heurté, d’un coloris mort, d’un dessin qui est peut-être un peu loin de notre école, est une scène de naufrage [106]. »

Ces quelques mots acides furent publiés le 27 août, pour solde de tout compte pourrait-on croire. Mais le lendemain, 28 août, un autre journal royaliste, Le Drapeau Blanc, prit le relais :

« Dans une grande marine, par M. Géricault, on croit reconnaître l’intention de représenter l’effroyable naufrage de la Méduse. Ce tableau, d’un ton blanc et noir, d’un effet bizarre, est beaucoup au dessous de la relation que tout le monde connaît. Nous n’avons pu nous défendre, à ce souvenir, de regretter que la manifestation de sentiments coupables ait resserré dans le cercle obscur d’un parti méprisé cet appel à la bienfaisance, qu’auraient voulu pouvoir entendre les amis du trône et de la légitimité.
M. Géricault est un jeune homme en qui nous nous plaisons à reconnaître d’heureuses dispositions. Aussi notre intention n’est-elle point de l’affliger, mais, au contraire, de l’encourager sincèrement à choisir, une autre fois, un sujet plus analogue à ses moyens : surtout de ne pas oublier que le spectateur a le droit de se montrer difficile, quand on affiche la prétention de faire naître en lui des émotions fortes et douloureuses [107]. »

Le 31 août enfin, la Gazette de France se sentit obligée de consacrer un nouvel article à la Scène de naufrage de Monsieur Géricault. Le but, cette fois-ci, était bel et bien de discréditer le tableau. Naturellement, il n’était guère possible pour le journal d’attaquer l’artiste sur le choix de la scène – en aucun cas il ne fallait prononcer le nom fatal de la Méduse – aussi essaya-t-il de susciter le dégoût du lecteur :

« [Un] tableau monstrueux [...] point de figures principales, point d’épisodes, tout est ici hideusement passif ; rien ne repose l’âme et les yeux sur une idée consolante, pas un trait d’héroïsme et de grandeur, pas un indice de vie et de sensibilité ; rien de touchant, rien d’honorable pour l’humanité morale ; on dirait que cet ouvrage a été fait pour réjouir la vue des vautours. Sous le rapport de l’exécution, il n’a qu’un défaut, c’est qu’on a oublié de le peindre. [...] on dirait à la blancheur de ces muscles en mouvement, que l’auteur a pris pour modèles de ces naufragés des académies en plâtre [108].. »

En comparant les naufragés à « des académies en plâtre », on essayait de faire passer Géricault pour un peintre débutant, peu conscient de ce qu’il avait fait. On comprend bien aussi que la critique esthétique se faisait ici le porte-parole de propos à caractère politique. Ce sont bien ces enjeux que dénonça Géricault dans sa célèbre lettre à Musigny.
Pour revenir à l’occultation du titre, il est intéressant, sinon indispensable, de la comparer avec celle dont Robert Simon a retrouvé récemment la trace. En fouillant dans les archives de la censure parisienne, Simon trouva cette note, en date du 28 juin 1818 : « Ne pas laisser annoncer dans les journaux une pièce intitulée le naufrage de la Méduse. Cette pièce ne sera point autorisée » [109]. Soumis à la censure gouvernementale, le texte de la nouvelle pièce perdit tous les repères nécessaires à l’identification du sujet. Un rapport du 21 août le stipulait formellement :

« Cette pièce est la réforme de celle du Radeau, qui rappelait trop cruellement la catastrophe de la Méduse. On a tâché dans le nouvel ouvrage d’effacer la trace de ce funeste événement [...] le personnage mis en scène est connu, historique, et le rôle qu’il remplit est honorable ; il ne s’agit plus d’une partie de l’équipage révolté, mais de pirates et de Malais [...] Outre ces changements notables, on a exigé des auteurs d’autres corrections qu’ils ont faites, et notamment le sacrifice des combats que se livraient les naufragés. [...] tous les révoltés pirates et Malais, porteront un habit étranger, différent de celui de l’équipage. »

La nouvelle pièce, qui aux dires des censeurs, n’était plus qu’un « mélodrame ordinaire » fut approuvée par Elie Decazes. Le 14 avril 1819, à quatre mois de l’ouverture du Salon, la pièce qui s’intitulait désormais Le Banc de sable fut jouée et obtint un grand succès. Est-il besoin de préciser que la censure du titre et le profond remaniement du texte ne laissèrent aux journalistes, de gauche comme de droite [110], aucun doute sur l’événement réel qui était à l’origine de ce mélodrame : « La pièce du Banc de sable continuait d’attirer la foule au théâtre de la Porte Saint-Martin », écrivait le 25 avril Le Constitutionnel (journal bonapartiste), « le tableau plein de vérité au moment où le navire touche le sable, produit une grande sensation sur les spectateurs ; [...] On doit savoir gré à cette administration d’avoir monté un ouvrage qui rappelle le courage et l’héroïsme de la nation » [111].
Cette dernière phrase est des plus étonnantes, ou si l’on préfère des plus piquantes, surtout quand on se rappelle que la censure de la pièce visait, entre autres, à ce que le public ne pût reconnaître un événement contemporain, qui plus est national. Pour revenir au tableau de Géricault, qu’il achevait à cette même époque, il est fondamental de savoir que la question de la nationalité des naufragés peints par l’artiste fut l’une des toutes premières à être abordée par les critiques. Là encore, ce fut Le Constitutionnel qui ouvrit le feu :

« Un grand nombre [de tableaux] se disputent les regards et l’attention du public ; plusieurs m’ont frappé ; mais j’avoue que mon cœur a tressailli en voyant les naufragés de la Méduse (de M. Géricault) luttant contre les fatigues de toute espèce, contre la faim, contre la mort. J’admire, en frémissant, cet homme dont les traits annoncent le courage et la résignation pour ses propres dangers, et qui, d’un bras mutilé, retient un compagnon d’infortune qui semble chercher dans les flots un soulagement aux tourments qu’il endure. Je considère cet être généreux qui s’oublie lui-même pour secourir son semblable ; et mon œil humide aperçoit avec transport la croix des braves qui décore sa poitrine [112]. »

La croix des braves était le surnom patriotique de la Légion d’honneur. En regardant attentivement le tableau, on voit qu’elle pend effectivement au cou du naufragé que l’on a pris l’habitude d’appeler « le père ». Il est de fait que la présence de cette croix de la Légion d’honneur – présence niée purement et simplement par Eitner [113] – ne laisse plus aucun doute sur la nationalité des naufragés : ils étaient bien Français. Ce fut le Journal de Paris qui ouvrit la polémique. On se souvient que ce journal avait tout d’abord donné le véritable sujet du tableau à ses lecteurs pour, dès le lendemain, ne parler que d’une « épouvantable scène de naufrage ». Le 28 août, son critique d’art anonyme fit encore mieux. Après avoir confirmé que ce tableau attirait « tous les regards », il écrivait :

« On se demande pourquoi les naufragés sont tous nus ? Pourquoi ils n’ont pas jeté à la mer ces cadavres qui, déjà tombés en putréfaction, ne peuvent plus servir d’aliments à leur faim dévorante ? L’auteur n’a d’ailleurs cru devoir indiquer ni la nation, ni la condition de ses personnages. Sont-ils Grecs ou Romains ? sont-ils Turcs ou Français ? sous quel ciel naviguent-ils ? à quelle époque de l’histoire ancienne ou moderne se rapporte cette horrible catastrophe ? Rien de tout cela ne peut être deviné [114]. »

Le 8 septembre suivant, Henri de Latouche, dans une lettre destinée au peintre Louis David, répondit à sa manière à l’aveuglement volontaire du Journal de Paris :

« Mon cher Maître,

Voyez-vous, sur ce frêle radeau, lutter contre la mort le reste d’un équipage qui s’était éloigné du port avec tant d’espérances. [...] Ce jeune homme souffre et voudrait mourir ; plus ferme dans la détresse, un vieillard (peut-être son père !) le soutient d’un bras mutilé. N’admirez-vous pas en frémissant l’expression de ses traits ? J’y vois l’empreinte du courage et le sentiment profond du malheur. Cet homme, quel est-il ? quel pays l’a vu naître ? Ah ! je l’ai reconnu : l’étoile qui décore sa poitrine m’apprend qu’il est Français : ces infortunés sont nos frères !
Oui, ce sont nos frères. Ce sont les naufragés de la Méduse. Une pudeur, explicable, a voulu nous déguiser ce nom qui rappelle tant de douleurs ; elle a redouté l’indignation de nos souvenirs. Mais les lois ont vengé ces victimes d’un infâme calcul, et la nation leur a consacré de pieuses offrandes dans leurs amis échappés au naufrage. La nature frémit, le coeur saigne à l’aspect de leur longue agonie [115]. »

Un autre journal d’opposition souligna encore la présence de la Légion d’honneur [116], mieux encore, d’uniformes militaires. Auguste Jal expliqua pour sa part les raisons qui auraient forcé Géricault à ne pas trop mettre en évidence la nationalité des naufragés. L’explication est fondamentale. Signalons juste auparavant que Jal – farouche opposant politique – était alors lié d’amitié avec Corréard, le rescapé que Géricault avait peint dans son propre rôle :

« Je crois avoir deviné la raison qui l’a empêché de faire entrer dans son tableau un plus grand nombre de costumes militaires, et je la trouve dans la crainte qui a fait inscrire au livret les mots Scène de naufrage [...]. Les considérations ont été plus puissantes que la vérité, et si l’on a pardonné à M. Géricault d’avoir présenté une scène que plusieurs personnes pouvaient regarder comme imaginaire, on ne lui aurait pas permis d’y mettre cette exactitude de costume qui n’aurait permis aucun doute sur le temps de l’événement. Il est sans doute absurde et malheureux que ces considérations aient pu retenir l’artiste ; mais nous sommes dans un temps où tout ce qui est ridicule est à l’ordre du jour ; demandez à MM. tels ou tels, administrateurs généraux et particuliers, préfets, directeurs ou premiers commis de ministères [117] »

L’explication de Jal s’éclaire encore mieux quand on se rappelle la censure qui frappa la pièce du théâtre Saint-Martin.
Ces multiples citations nous ont donc permis d’effectuer une véritable plongée dans le contexte passionnel dans lequel fut reçu le Radeau de la Méduse. Pour revenir à la lettre à Musigny, la fin du deuxième paragraphe – jamais commenté ni analysé – est celui qui semble autoriser la négation des intentions politiques de Géricault :

« Enfin, j’ai été accusé par un certain Drapeau Blanc d’avoir calomnié, par une tête d’expression, tout le ministère de la marine. Les malheureux qui écrivent de semblables sottises n’ont sans doute pas jeûné quatorze jours, car ils sauraient alors que ni la poésie, ni la peinture, ne sont susceptibles de rendre avec assez d’horreur toutes les angoisses où étaient plongés les gens du radeau. »

Germain Bazin a très bien remarqué que le Drapeau Blanc du 28 août (cf. supra) ne disait rien de tel. Et Bazin d’en conclure : « Géricault exagère » [118]. C’est naturellement cette exagération qu’il est important d’explorer. Nous avons vu quelle était la nature exacte de l’attaque du Drapeau Blanc. Elle visait, trois jours seulement après l’ouverture du Salon, à contrecarrer la polémique lancée par la Renommée à propos de la censure du titre, un acte attribué à l’extrême droite. Les réponses de la Gazette de France et du Drapeau Blanc ne se firent pas attendre : le tableau de Géricault était horrible et mal peint. Comment Géricault aurait-il pu s’enthousiasmer pour de telles attaques qu’il savait devoir mettre sur le compte des luttes politiques que se livraient alors les « gazetiers » ? Géricault était tellement conscient de ces enjeux qu’il livra à Musigny sa propre interprétation politicienne de l’attaque du Drapeau Blanc. Cette dernière, il faut bien l’avouer, peut nous sembler obscure. Elle commence par évoquer la relation de Corréard et Savigny, à l’origine, on le sait, du scandale. Nous citons une nouvelle fois le passage incriminé :

« Ce tableau, d’un ton blanc et noir, d’un effet bizarre, est beaucoup au dessous de la relation que tout le monde connaît. Nous n’avons pu nous défendre, à ce souvenir, de regretter que la manifestation de sentiments coupables ait resserré dans le cercle obscur d’un parti méprisé cet appel à la bienfaisance, qu’auraient voulu pouvoir entendre les amis du trône et de la légitimité. »

Le « parti méprisé » en question était celui des libéraux, bonapartistes et autres républicains qui s’enthousiasmèrent pour une souscription nationale, largement politisée, lancée fin novembre 1817 dans le but de venir en aide aux rescapés du radeau de La Méduse. Outre son aspect philanthropique, cet appel à l’aide publique visait aussi à fustiger les carences du pouvoir royal, incapable de venir en aide à ces malheureux : « L’habitude de ces actes de bienfaisance est un des traits caractéristiques des peuples qui aiment la liberté et qui sont dignes d’en jouir. L’esclave est nécessairement égoïste ; mais la liberté est la mère de toutes les vertus » [119] prévenait le Journal du Commerce (futur Constitutionnel), avant d’enchérir trois jours plus tard :

« L’appel fait à l’humanité et au patriotisme, dans le Mercure et le Journal du Commerce, et répété aujourd’hui par le Journal de Paris en faveur des naufragés du radeau de la Méduse, a été entendu des âmes généreuses, et le succès de cette souscription offre la plus belle réponse aux calomniateurs du caractère national. Non seulement il s’est déjà présenté des personnes d’un rang élevé dans la société, mais même le denier du pauvre, de l’officier à la demi-solde, vient se placer à côté de la contribution que s’impose la richesse [120]
Cette souscription patriotique permettait de soulager les victimes du commandant Chaumarey, véritable incapable – mais royaliste – nommé par Dubouchage, ministre de la marine [121]. La calomnie dont se plaint Géricault pourrait être de cet ordre là. Cette souscription avait été l’œuvre d’un parti méprisable qui avait calomnié « tout le ministère de la marine ». Outré que l’on puisse remettre en cause l’utilité de cette aide, Géricault enchaînait aussitôt en rappelant les malheurs et « toutes les angoisses où étaient plongés les gens du radeau ».
Demeure, dans notre analyse, le problème de la « tête d’expression » qu’évoque notre peintre. Quelle était cette tête capable de calomnier tout un ministère ? Et quel pouvait être son rapport à la fameuse souscription ? On a beau relire le passage du Drapeau Blanc, on n’en trouve aucune allusion. Ce qui fait écrire à Bazin que Géricault « exagère ». Qu’est-ce à dire ? En fait, Géricault n’aurait-il pas mis sur le compte de ce journal royaliste toutes les critiques qui le touchaient et qu’il aurait entendues et lues les jours précédant sa lettre à Musigny. La démarche, on en conviendra, n’est pas impossible. C’est en tout cas ce genre de résumé sommaire qu’il fit dans le premier paragraphe de sa lettre en évoquant le regard partisan des libéraux et des ultras. La tête d’expression dont il est question ne pourrait-elle être celle de Corréard ? De tous les critiques du Salon de 1819, Jal est le seul à nommer et à signaler la présence sur le radeau des deux auteurs à l’origine de l’affaire. Ils formaient selon lui, et à eux seuls « le groupe principal » de tout le tableau [122]. Jal alla beaucoup plus loin en parlant d’un portait de Corréard par Legros, exposé lui aussi au Salon de 1819. Le passage est une véritable bravade :

« Messieurs ; remarquez, je vous prie, ce portrait, d’une couleur solide, mais brillante, c’est celui de M. Corréard dont j’ai eu occasion de parler ; il est d’une ressemblance si étonnante, que l’un de ces jours derniers M. le vicomte Dubouchage passant dans cette galerie, l’aperçut et recula trois pas. Cette figure, où les souffrances sont encore peintes, faisait à Monsieur l’ex-ministre un reproche qu’il avait peine à soutenir. On dit que, transporté de colère, il aborda M. Le directeur des musées, et lui dit : “Monsieur, est-ce pour m’insulter que vous avez permis à je ne sais quel peintre d’exposer le visage accusateur de ce M. Corréard, qui, non content de me braver dans une relation séditieuse, ose me braver encore ici ? Je vous en avertis, Monsieur, si d’ici à deux jours ce portrait n’est répudié, je ferai retirer le mien, et j’engagerai tous les hommes monarchiques à en faire autant ; votre Salon deviendra désert, et vous apprendrez ce qu’il en coûte à insulter un homme de ma qualité”. On ne dit pas ce que répondit M. le comte de Forbin, mais les deux portraits sont restés à leur place au grand déplaisir de Monseigneur, et à la satisfaction de tous ceux qui avaient été témoins de la colère de Son Excellence [123]. »

Ces impertinences valurent à son auteur les foudres de la censure. Le 4 novembre 1819, Le Constitutionnel en informait ainsi ses lecteurs :

« On vient de mettre en vente chez Corréard, libraire-éditeur, Palais-Royal, galerie de bois, n° 258, l’Ombre de Diderot et le Bossu du Marais, dialogue critique sur le Salon de 1819, par M. Gustave Jal, ex-officier de la marine (3 fr. et 4 fr. 50 cent. par la poste). Les personnes qui sont curieuses des brochures mises à l’index de la police s’empresseront de lire celle-ci, dont la vente a été interdite à la porte du salon. On aura sans doute trouvé que, surtout lorsqu’il juge des chefs d’administration et quelques grands seigneurs, M. Jal a été trop libéral de critique [124]. »

On conviendra qu’il est fort tentant d’établir un rapport entre le texte de Jal évoquant l’insulte à Dubouchage par la simple présence du visage de Corréard et l’accusation de calomnie envers le ministère de la marine dont Géricault se dit la victime. A moins qu’il ne fasse directement allusion au texte de Jal (en le ramenant à lui), Géricault résumerait donc à Musigny tout ce qui courait de plus choquant sur son compte. Ceci dit, pourquoi Géricault aurait-il utilisé les termes de « tête d’expression » pour évoquer le visage de Corréard placé tout au fond de sa composition. C’est pour le moins étrange. De fait, cette tête réaliste n’a véritablement aucune vocation au stéréotype. Aucune autre d’ailleurs, à l’exception toutefois de l’une d’entre elle, et non des moindres : le naufragé du premier plan, dit le père. Le visage sombre de ce naufragé, désespéré par la mort de son fils, présente en effet toutes les caractéristiques des têtes d’expression, à savoir un modèle quelque peu idéalisé. A tel point que plusieurs critiques du Salon de 1819, non sans raison, y reconnurent la tête bien connue du Marcus Sextus, héros malheureux du tableau de Guérin peint en 1798 (Paris, musée du Louvre) [125]. Or on se souvient que c’est cette figure du père qui suscita immédiatement l’attention de certains critiques car elle leur permettait d’évoquer – grâce à sa croix de Légion d’honneur – la nationalité des naufragés. Et c’est bien leur nationalité française qui autorisa ces critiques bonapartistes ou libéraux à faire allusion aux malheurs de ces compatriotes, victimes d’un certain ministère de la marine.
On s’aperçoit que Géricault, selon toute vraisemblance, a donc bien fait l’amalgame des centres d’intérêt manifestés par les gazetiers de droite et de gauche pour bien faire comprendre à Musigny la nature de leurs critiques partisanes. Arrivé à ce stade de notre investigation, faut-il en conclure qu’il nie dans sa lettre toute intention politique à son tableau ? A l’évidence il regrette certaines attaques qui sont la conséquence, comme nous dirions aujourd’hui, de la politique politicienne du moment. On pourrait même avancer qu’il fustige le parti pris nationaliste, voire chauviniste de la querelle. Mais ces regrets, en aucun cas, ne veulent signifier chez lui l’absence d’une intentionnalité politique. Toute la difficulté est d’en définir les véritables enjeux mais aussi d’en repérer les transcriptions picturales.
Une route nouvelle

Pour proposer une nouvelle interprétation de l’œuvre de Géricault, une énième négation d’Eitner nous sera d’une grande utilité. Si l’on accepte en effet notre hypothèse selon laquelle Géricault était loin d’être ce peintre tout juste capable de penser avec ses pinceaux, mais bel et bien – et ceci dès son premier essai du Salon de 1812 – un peintre d’histoire qui se revendiquait comme tel, des pans entiers de l’historiographie géricaldienne tombent dans le domaine de la fable gentillette. C’est ce risque majeur qu’il convenait à Eitner de juguler en expliquant tout d’abord que si la peinture d’histoire, sous l’Empire, « était toujours officielle, et donc politique », Géricault, en enfreignant si ouvertement les règles de ce genre, ne pouvait naturellement y prétendre : « Apparemment, ce tableau ne rime à rien. Il n’y a là ni héros ni message. Les souffrances des naufragés ne sont mises au service d’aucune cause, leur martyre reste sans gloire » [126]. Eitner, sans le vouloir, définit par là l’essence même du romantisme qui cherchait alors de nouvelles voies pour sortir des modes de représentation mis au point sous l’Empire. C’est bien la recherche de ces nouveaux modes esthétiques qui fait tout l’intérêt et toute l’originalité de la peinture de cette époque. Modifier les codes de la peinture d’histoire ne veut pas dire pour autant que l’on renonce à l’un de ses objectifs premiers : délivrer un message idéologique. Dire que le Radeau de la Méduse ne « rime à rien » est à la fois terriblement vrai si l’on se place dans la seule optique d’Eitner, mais c’est en même temps une grossière erreur. Cette perversion du message de la peinture d’histoire, six ans après les faits, fut parfaitement résumé par Mahul dans la notice nécrologique qu’il consacra à Géricault en 1825 :

« Pendant toute la durée de l’exposition, la foule resta comme fixée en permanence, devant le Radeau de la Méduse ; on en parlait dans les journaux, dans les ateliers, dans les salons. En vain quelques artistes et même quelques théoriciens que tout ce qu’ils voient pour la première fois épouvante, crièrent à l’abomination, à la violation des usages. Les uns demandaient si c’était un tableau d’histoire, d’autres ne consentaient à y voir qu’une marine : encore ils auraient voulu agrandir la mer et rapetisser le radeau. Ces critiques divertirent beaucoup le public, et peut-être même l’auteur [127]. »

Frédéric Mercey, en 1838, alla dans le même sens :

« La Méduse était un acte de double opposition, opposition artistique et opposition politique ; aussi cette toile fut-elle froidement accueillie par les juges qui, en matière d’art, décidaient alors du bien et du mal. On avait daigné ouvrir les portes du Musée à cette effrayante croûte, répétaient les plus surannés d’entre eux, pour que le public se chargeât de la leçon. [...] Le déchaînement fut tel que Géricault était quelque peu découragé quand sa toile revint du Musée dans son atelier [128]. »

Il serait insultant pour Géricault de croire qu’il ne savait pas ce qu’il faisait. Qu’il ait été déçu par la nature de la polémique engagée dès l’ouverture du Salon est une chose. Qu’il ait longuement prémédité une réflexion sur les moyens de renouveler un genre pictural en est une autre. Ary Scheffer évoque très bien dans une longue lettre inédite sur le Salon de 1819 cette tentative audacieuse. Scheffer, condisciple de Géricault à l’atelier Guérin, avait lui aussi exposé une composition de très grand format s’intitulant : Dévouement patriotique de six bourgeois de Calais (château de Versailles, aile du Parlement). Son tableau, bien qu’il ait retenu l’attention des fameux gazetiers fut beaucoup plus mal accueilli que le Radeau de la Méduse. Dans sa lettre adressée le 25 septembre 1819 du château de La Grange (résidence de la famille Lafayette) à Mme Destutt de Tracy (son époux avait souscrit en faveur des naufragés [129]), Scheffer passait en revue les tableaux qu’il jugeait essentiels. Il enchaîna sur ce constat :

« Mr. Gericault et moi avons échoué, moi complètement, lui en partie, en cherchant une route nouvelle, nous avons doublé les difficulttées [sic], a lui il sera bien facile de prendre sa revanche, son tableau fait preuve d’un grand talent, surtout d’une grande energie, le mien, ne fait preuve que de quelques dispositions dont j’ignore l’emploi [130]. »

La « route nouvelle » dont il est question est bien évidemment celle de la peinture d’histoire. On peut affirmer que Scheffer – comme Géricault auquel il n’hésite pas une seconde à s’associer – exprimaient tous deux leur déception de ne pas avoir été célébrés comme de grands innovateurs. Leurs erreurs selon Scheffer : avoir « doublé les difficulttées ». C’est-à-dire avoir proposé un nouveau mode d’expression où la complexité narrative des codes traditionnels de la peinture d’histoire, sans être abandonnée, était totalement revisitée.
Les plaintes de Géricault et de Scheffer sont donc bien de cette nature et nous autorisent – n’en déplaise aux négationnistes – à cerner les messages politiques qui se cachent derrière les innovations de leur langage pictural. Ce travail est encore à faire mais il se pourrait bien que la piste soit républicaine et que le Radeau de la Méduse soit en fait une allégorie de la révolution de 1789 (voire même de l’abolition de l’esclavage de 1794) et de sa fameuse devise : Liberté, Egalité, Fraternité. Trois concepts fondamentaux que l’on retrouve dans l’œuvre du Salon de 1819 : future délivrance des naufragés, égalité des hommes face au malheur, fraternité entre les races blanches et noires [131]. Toutes les audaces interprétatives ne sont-elles pas légitimes dès lors que l’on s’est débarrassé du carcan idéologique qui entourait l’une des œuvres majeures de l’art occidental ? Un toile exécutée, on l’aura bien compris, dans un seul but d’art.

Ménilmontant, le 8 février 1999

Bruno Chenique
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Bruno Chenique

Notes

[1André Bruel, Les Carnets de David d’Angers, II, Paris, Plon, 1958, pp. 418-419.

[2Jacques Thuillier, « Gericault et sa légende », Tout l’œuvre peint de Gericault, Paris, Flammarion, 1978, pp. 5-9. Thuillier, suivant Grunchec, proclama qu’il fallait supprimer l’accent aigu du « e » de Géricault. Y voir un acte inconscient de castration semble évident, mais encore faut-il accepter l’idée même de castration.

[3Jacques Thuillier, « Réflexions sur Gericault », catalogue de l’exposition Théodore Géricault (1791-1824), Kamakura, Musée d’Art Moderne, 31 octobre - 20 décembre 1987 ; Kyoto, Musée National d’Art Moderne, 2 février - 21 mars 1988 ; Fukuoka, Musées des Beaux-Arts, 24 mars - 24 avril 1988, pp. 28-35.

[4Ernst Kris et Otta Kurz, L’image de l’artiste. Légende, mythe et magie. Un essai historique, traduit de l’anglais par Michèle Hechter (édition de 1934 revue en 1979), Paris, Rivages, 1987, p. 158.

[5J. Thuillier, op. cit., 1987-1988, p. 35.

[6Thuillier défendait cette thèse dans son essai : Peut-on parler d’une peinture « pompier » ?, Paris, PUF, 1984, 67 pages.

[7Jean-Claude Lebensztejn, « Deuxième puissance », Critique, n° 454, mars 1985, p. 243. Cet article a été republié dans : « De l’imitation dans les beaux-arts », Poitiers, Editions Carré, 1996, p. 75.

[8Il y a quelques années, Denise Aimé-Azam nous a affirmé que les collectionneurs Pierre Dubaut et le duc de Trévise revendiquaient tous deux ce titre.

[9Esquirol, Des Maladies mentales considérées sous les rapports médical, hygiénique et médico-légal, I, Paris, J.-B. Baillière, 1838, p. 22.

[10Le catalogue de la vente après décès est reproduit par Germain Bazin, Théodore Géricault. Étude critique, documents et catalogue raisonné, I, Paris, La Bibliothèque des arts, 1987, p. 94.

[11Jules Janin, « Les Masques », L’Artiste, VIII, 1834, p. 74.

[12Véronique Prat, « Géricault. Il mourra d’être tombé d’un cheval furieux et d’avoir trop fait l’amour », Le Figaro-Magazine, 9 avril 1988, pp. 106-113.

[13J. Thuillier, op. cit., 1978, p. 7.

[14B. Chenique, « Le tombeau de Géricault », actes du colloque Géricault, 14-17 novembre 1991, ouvrage collectif par Régis Michel, II, Paris, La documentation Française, 1996, pp. 721-758.

[15Henri Zerner, « Géricault (Théodore) 1791-1824 », Encyclopédia Universalis, VIII, 1984, p. 539, col. 3.

[16Louis Batissier, « Géricault », tiré à part de la Revue du dix-neuvième siècle, Rouen, sans date [1841], p. 1.

[17L. Batissier, Ibid., p. 2.

[18L. Batissier, Ibid., p. 13.

[19L. Batissier, Ibid., p. 20.

[20Sur ce point, voir Frances Suzman Jowell, « Théodore Géricault, emblème idéal et radical des républicains de 1830 », La Méduse, feuille d’information de l’association des amis de Géricault, n° 2, octobre 1996, p. 1 et p. 4.

[21Jeanron, « De l’anarchie dans les arts », La Liberté, journal des arts, n° 8, septembre 1832, p. 115.

[22Jeanron, « De l’anarchie dans les arts. (2e article) », La Liberté, journal des arts, n° 11, novembre 1832, pp. 162-163.

[23Batissier ne donne aucune date mais cette fourchette chronologique se déduit de la date de parution de l’article du Drapeau Blanc (cf. infra).

[24Batissier, op. cit., 1841, pp. 13-14 ; Charles Clément, Géricault. Étude biographique et critique avec le catalogue raisonné de l’œuvre du maître, troisième édition augmentée d’un supplément, Paris, Didier, 1879, pp. 170-172.

[25Publiant cette lettre d’après la version de Clément, Bazin (op. cit., I, 1987, p. 49, doc. 158) omet les italiques des mots « sagacité » et « esprit ». Clément, pour sa part, la publie d’après la version de Batissier mais supprime les virgules après les mots « histrion », « ouvrage », « ultra », « révolutionnaire », « Enfin », « calomnié », « expression », « poésie » et « peinture » (Clément, op. cit., pp. 171-172).

[26Batissier précise : « Allusion à un passage de Pascal que lui citait M. de Musigny dans la lettre à laquelle Géricault répond » (op. cit., p. 14, note 1). Selon Bazin, l’allusion à Pascal se réfère à cette citation : « Quelle vanité que la peinture qui attire l’attention sur la ressemblance des choses dont on n’admire point les originaux » (op. cit., I, 1987, p. 49, doc. 158).

[27Jean Lacouture, « Radeau de la Méduse ou de la Restauration ? (1816) », Histoire de France en 100 tableaux, Paris, Hazan, 1996, p. 140.

[28Pierre Daix, « Géricault dans une histoire non linéaire », Pour une histoire culturelle de l’art moderne. De David à Cézanne, Paris, Odile Jacob, 1998, pp. 63, 65, 67.

[29P. Daix, Ibid., pp. 65-66.

[30P. Daix, Ibid., pp. 61, 66.

[31Denise Aimé-Azam, Mazeppa. Géricault et son temps, préface de Pierre Dubaut, Paris, Plon, 1956, 349 pages.

[32L’article de Batissier, sans date, connu par un tiré à part (imprimé à Rouen) est traditionnellement daté de 1842. Une lettre d’Alfred Dumesnil atteste qu’il a été publié en juillet 1841 : « Puis on annonça un jeune homme, M. Louis Batissier, qui a passé quinze jours à Rouen où il avait été appelé pour faire le compte rendu de l’exposition dans le Journal de Rouen. Il apportait une notice sur Géricault » (Lettre d’ A. Poullain Dumesnil à Eugène Noël, 25 juillet 1841, « La vie quotidienne de Michelet en juillet 1841 », Jules Michelet, Correspondance générale, 1839-1842, textes réunis, classés et annotés par Louis Le Guillou, III, Paris, H. Champion, 1995, p. 450). Michelet lui-même, à la date du 24 juillet, notait : « Le soir, à dîner, M. Müller et Baudry, puis Batissier, qui apporte sa notice sur Géricault » (Jules Michelet, Jules, Journal (1828-1848), texte intégral établi et publié par Paul Viallaneix, I, Paris, Gallimard, 1959, p. 363).

[33Jules Michelet, Journal, Ibid. pp. 331-332. Les deux toiles, propriété du roi Louis-Philippe, étaient alors exposées au Palais Royal.

[34Pierre Malandain, « Michelet et Napoléon à travers les peintres de l’Empire », Europe, avril 1969, p. 258.

[35Pierre Malandain, « Michelet et Géricault. L’histoire d’un mythe - Un mythe dans l’histoire », Revue d’histoire littéraire de la France, novembre-décembre 1969, p. 983.

[36Jean Touchard, « Béranger et Michelet », La Gloire de Béranger, II, Paris, Colin, 1968, pp. 232-249.

[37Jacques-Olivier Boudon, « L’essor des nationalismes français », Le XIXe siècle. Science, politique et tradition, sous la direction d’Isabelle Poutrin, préface d’Alain Corbin, Paris, Berger-Levrault, 1995, pp. 356-357.

[38Jules, Michelet, Cours au Collège de France, publiés par Paul Viallaneix, II, Paris, Gallimard, 1995, p. 107.

[39P. Malandain, op. cit., avril 1969, p. 256.

[40P. Malandain, op. cit., avril 1969, p. 259.

[41Jules Michelet, Cours au Collège de France, II, 1995, p. 125.

[42Jules Michelet, « Cinquième leçon. 13 janvier 1848 (Leçon non professée) », Cours professés au Collège de France, 1847-1848, Paris, Chamerot, 1848, p. 143.

[43Ernest Chesneau, « Le Mouvement moderne en peinture. Géricault », Revue Européenne, XVII, 1er octobre 1861, p. 487

[44Lettre de Chesneau à Michelet, Sèvre, 18 février 1862 (Paris, Bibliothèque Historique de la Ville de Paris, A. 4919, t. 36, f° 13).

[45Lettre de Chesneau à Michelet, Sèvres, 14 mars 1862 : « Et n’ai-je pas pour moi-même à vous remercier aussi : et de m’avoir si généreusement autorisé à enrichir mon livre de votre Géricault, et de l’intérêt dont toutes vos lettres témoignent pour les miens autant que pour moi » (Paris, Bibliothèque Historique de la Ville de Paris, A. 4919 (7), t. 36).

[46Ernest Chesneau, « Géricault », Les Chefs d’école, Paris, Didier, 1862, p. 139 et p. 393.

[47Clément, 1868 et 1879, op. cit., p. 65

[48Jules Barbey d’Aurevilly, « Géricault. Par M. Charles Clément (chez Didier) », Le Constitutionnel, n° 167, lundi 16 juin 1879, p. 3.

[49Henry Houssaye, « Un maître de l’école française : Géricault », Revue des deux Mondes, XXXVI, 15 novembre 1879, pp. 380-381.

[50Chesneau, op. cit., 1861, p. 484.

[51Aimé-Azam, op. cit., p. 98.

[52Gilles Buisson, Géricault, de Mortain à Paris. Le Conventionnel Bonnesœur-Bourginière, oncle de Géricault, Coutances, OCEP, 1976, p. 49.

[53J. Thuillier, op. cit., 1987-1988, p. 31.

[54Clément, op. cit., p. 2.

[55Clément, Ibid., p. 44. Clément se trompe : il ne l’a pas déjà dit. Mais c’est bien le fond de sa pensée.

[56Clément, Ibid., p. 65.

[57Clément, Ibid., p. 69.

[58Clément, Ibid., p. 233.

[59Clément, Ibid., p. 268.

[60Henri Zerner, « La problématique de la narration chez Géricault », actes du XXVIIIe Congrès international d’histoire de l’art (15-20 juillet 1992), Berlin, Akademie Verlag, s.d. [1993] ; texte réédité dans : Henri Zerner, Géricault, Paris, Editions Carré, 1997, p. 49.

[61Léon Rosenthal, Les Maîtres de l’Art. Géricault, Paris, Librairie de l’art ancien et moderne, sans date [1905], 176 pages.

[62Klaus Berger, Géricault et son œuvre, traduit de l’allemand par Maurice Beerblock, Paris, Grasset, 1952, 171 pages.

[63Aragon, « Géricault et Delacroix ou le réel et l’imaginaire », Les Lettres françaises, n° 500, 21-28 janvier 1954, p. 1 ; Aragon, La Semaine Sainte, Paris, Gallimard, 1956, 597 pages ; Aragon, « Sur Géricault », France nouvelle, n° 713, jeudi 25 juin 1959, pp. 30-31.

[64Pierre Gaudibert, « Géricault », Europe, n° 106, octobre 1954, pp. 74-101.

[65Charles Rosen et Henri Zerner, Romantisme et réalisme. Mythe de l’art du XIXe siècle, traduit de l’ouvrage américain (1984) par Odile Demange, Paris, Albin Michel, 1986, 252 pages.

[66Victor Darroux, « Géricault (Jean-Louis-Théodore) », Répertoire des connaissances usuelles. Dictionnaire de la conversation et de la lecture, XXX, Paris, Belin-Mandar, 1836, p. 195.

[67[Alphonse Rabbe], « Nécrologie, Géricault, peintre d’histoire », La Pandore, Journal des spectacles, des lettres, des arts, des moeurs, et des modes, n° 198, jeudi 29 janvier 1824, p. 3. L’attribution de ce texte à Rabbe est de Lucienne de Wieclawik, Alphonse Rabbe dans la mêlée politique et littéraire de la Restauration, Paris, Nizet, 1963, p. 322, note 83.

[68Bien évidemment, nous ne nions pas l’importance fondamentale de ce motif chez Géricault. Ce que nous nommons un « dada » – pur plaisir esthétique pour certains – n’a rien à voir avec un cheval. Le motif équestre mérite la même attention politique, sociologique et psychanalytique que le reste de son œuvre.

[69En 1968, Sérullaz n’hésita pas à le faire entrer dans son Panthéon (Maurice Sérullaz, Peintres maudits, Paris, Hachette, 1968, pp. 92-96).

[70Régis Michel, Géricault, l’invention du réel, Paris, Gallimard, 1992, p. 136.

[71Léon Rosenthal, « Géricault et notre temps », L’Amour de l’art, n° 1, janvier 1924, p. 14.

[72Louis Vauxcelles, « La méthode et la leçon de Géricault », L’Art d’aujourd’hui, printemps 1924, p. 32.

[73André Chastel, « Le renouveau d’actualité d’un grand romantique. Signification de Géricault, peintre de la violence et de la folie », Le Monde, 13 août 1954, p. 7.

[74Jean Sagne, Géricault, Paris, Fayard, 1991, 348 pages.

[75Marcel Schneider, « Géricault : le pur-sang foudroyé », Le Figaro littéraire, lundi 30 septembre 1991, p. 8.

[76Jean Sagne, « Géricault et l’opinion libérale », actes du colloque Géricault (sous la direction de Régis Michel), II, Paris, La documentation Française, 1996, pp. 597-614.

[77J. Thuillier, op. cit., 1978, pp. 5-6.

[78Clément, op. cit., p. 1.

[79Sur cette visite, voir notre mise au point dans « Géricault : une vie », catalogue de l’exposition Géricault, Paris, Galeries nationales du Grand Palais, 10 octobre 1991 - 6 janvier 1992, p. 293, cols. 2 et 3.

[80Raymond Régamey, Géricault, collection Maîtres de l’art moderne, Paris, Rieder et Cie, 1926, pp. 38-39.

[81Georges Oprescu, Géricault, Paris, La Renaissance du Livre, sans date [1927], pp. 132-133.

[82Philippe Grunchec, « Géricault : problèmes de méthode », Revue de l’Art, n° 43, 1979, p. 37.

[83Ph. Grunchec, Ibid, p. 40.

[84Ph. Grunchec, Ibid, p. 41.

[85Ph. Grunchec, Ibid, p. 56.

[86Lorenz Eitner, « Deux œuvres inconnues de Géricault au Musée d’Art moderne », Bulletin des Musées royaux des beaux-arts, n° 2, juin 1953, pp. 55-64.

[87orenz Eitner, Géricault, His Life and Work, Londres, Orbis Publishing, 1983, 376 pages.

[88Lorenz Eitner, Géricault, sa vie, son œuvre, traduit par Jeanne Bouniort, Paris, Gallimard, 1991, p. 5. Pour plus de commodité, nous citerons désormais cette édition.

[89Ph. Grunchec, op. cit., p. 47.

[90L. Eitner, op. cit., p. 440, note 205.

[91L. Eitner, Ibid., p. 7.

[92Régis Michel, « Le nom de Géricault ou l’art n’a pas de sexe mais ne parle que de ça », actes du colloque Géricault, Paris, la documentation Française, I, 1996, pp. 4-5.

[93L. Eitner, op. cit. p. 7.

[94L. Eitner, Ibid., p. 270.

[95L. Eitner, Ibid., p. 268.

[96Paul Joannides, « The Literature of Art. The Raft of the Medusa », The Burlington Magazine, CXVII, n° 864, mars 1975, pp. 171-172.

[97Charles Rosen et Henri Zerner, Romantisme et réalisme. Mythes de l’art du XIXe siècle, traduit de l’ouvrage américain (1984) par Odile Demange, Paris, Albin Michel, 1986, p. 45.

[98La traduction du livre de Rosen et Zerner a quelque peu modifié ce dernier passage : « Cette année nos journalistes ont atteint le sommet du ridicule. Chaque peinture est jugée avant tout selon l’esprit dans lequel elle a été composée. C’est ainsi que l’on peut lire un article libéral vantant la facture nationale d’un tableau. La même œuvre jugée par un critique de droite, n’est qu’une composition révolutionnaire généralement teintée de sédition. » (Ch. Rosen et H. Zerner, Ibid., p. 46).

[99Ch. Rosen et H. Zerner, Ibid., p. 46.

[100Lettre de Lafont d’Aussonne à François Gérard, Paris, 13 juillet 1820, publiée par le baron Gérard, Lettres adressées au baron François Gérard, peintre d’histoire, II, Paris, 1886, p. 212.

[101Xavier, « A. M. le Rédacteur du Courier », Le Courier, n° 63, 22 août 1819, p. 4. Notons que Le Courier ne prend ici qu’un seul « r ».

[102I.[G.], « Beaux-Arts », La Renommée, n° 70, 24 août 1819, p. 280.

[103Anonyme, « Musée Royal. Exposition des Tableaux », Journal de Paris, politique, commercial et littéraire, n° 237, mercredi 25 août 1819, p. 3.

[104Anonyme, « Musée Royal. Salon des Tableaux », Journal de Paris, politique, commercial et littéraire, n° 238, 26 août 1819, p. 1

[105I.[G.], « Salon de 1819 », La Renommée, n° 72, 26 août 1819, p. 283

[106Anonyme, « Beaux-Arts. Exposition de 1819. Premier article. – Aperçu général du Salon », Gazette de France, n° 239, 27 août 1819, p. 1036.

[107Louis C. « Beaux-Arts. Salon de 1819 (Premier article) », Le Drapeau Blanc, n° 74, 28 août 1819, p. 3.

[108Anonyme, « Beaux-Arts. Exposition de 1819. Deuxième article », Gazette de France, n° 243, 31 août 1819, p. 1050

[109Robert Simon, « Le Banc de sable et le Radeau de la Méduse », La Méduse, feuille d’information de l’association des amis de Géricault, n° 1, janvier 1996, p. 1.

[110« Le naufrage de la Méduse, ou le Banc de Sable, soutient l’administration du théâtre de la Porte Saint-Martin, qui chancelait d’une manière fâcheuse. Emile, que l’apparition de Potier n’avait pas intimidé, joue dans cette pièce à tableaux, un rôle de forban, assez froid par lui-même ; mais à qui cet acteur, plein de talent, donne le cachet de l’originalité. » (Charles ****** [Robert], « Spectacles », Le Furet, 1819, pp. 31-32). La durée de vie de la revue de Robert (un ultra royaliste) fut de courte durée (1818-1819).

[111Anonyme, « Intérieur. Paris 25 avril », Journal du Commerce, de politique et de littérature, n° 116, lundi 26 avril 1819, p. 3.

[112Anonyme, « Intérieur. Paris, 25 août. Le 25 août 1819 », Le Constitutionnel, journal du commerce, politique et littéraire, n°
239, 26 août 1819, p. 2.

[113« Moved to tears, the Bonapartist critic of the Constitutionnel imagined that he saw the cross of the Legion of Honour glistening on the chest of the Father » (L. Eitner, op. cit., 1983, p. 199) ; « Le critique bonapartiste du Constitutionnel, ému jusqu’aux larmes, s’imagine avoir vu la croix de la Légion d’honneur sur la poitrine du “père” » (L. Eitner, op. cit., 1991, p. 274).

[114Anonyme [Fabien Pillet], « Musée Royal. Exposition des Tableaux (Premier article) », Journal de Paris, politique, commercial et littéraire, n° 240, 28 août 1819, p. 3.

[115A. F. [Henri de Latouche], « Huitième lettre. Paris 8 septembre 1819 », Lettres à David, sur le Salon de 1819. Par quelques élèves de son école, Paris, 1819, pp. 49-50.

[116C. B...., « Beaux-Arts. Salon de 1819. – suite du 2e article », Le Pilote, Journal du Commerce, Politique et Littéraire, II, n° 301, 10 septembre 1819, p. 1.

[117Gustave Jal, ex-officier de la marine, L’Ombre de Diderot et le Bossu du Marais : Dialogue critique sur le Salon de 1819, Paris, Corréard, 1819, p. 127.

[118Bazin, op. cit., I, 1987, p. 49, doc. 158.

[119Anonyme, « Intérieur. Paris, 22 novembre », Journal du Commerce, de politique et de littérature, n° 123, dimanche 23 novembre 1817, p. 1.

[120Anonyme, « Intérieur. Paris, 25 novembre », Journal du Commerce, de politique et de littérature, n° 123, mercredi 26 novembre 1817, p 1.

[121Bien plus tard, Jal (qui abandonna entre-temps le prénom de « Gustave ») écrivait : « Corréard était revenu en France par la Loire, non-seulement dans ce cruel état de maladie, mais encore dans un dénuement complet, d’où il avait été tiré en partie, grâce à une souscription provoquée par M. Jay, à la suite d’un article publié dans le Mercure, sur une relation que Corréard et le chirurgien Savigny avaient publiée de ce naufrage. Ce fut alors que je connus Corréard, et que nos sentiments communs de colère contre le ministre Dubouchage formèrent entre nous la liaison à laquelle je dus mes débuts. » (Auguste Jal, Souvenirs d’un homme de lettres (1795-1873), Paris, L. Techener, 1877, p. 412).

[122Jal, op. cit., 1819, p. 124.

[123Jal, op. cit., 1819, pp. 166-167. Signalons que le portrait de Dubouchage était exposé à ce même Salon : « DELAVAL, rue de l’Oratoire, n° 4/ [n°] 304 – Portrait de M. Le Vte. Dubouchage, ministre d’Etat, pair de France et lieutenant-général. » (Explication des ouvrages de peinture, sculpture, architecture et gravure, des Artistes vivans, exposés au Musée Royal des Arts, le 25 août 1819, Paris, C. Ballard, 1819).

[124Anonyme, Le Constitutionnel, n° 309, jeudi 4 novembre 1819, p. 4.

[125K[ératry], « Troisième lettre d’un vieil ami des arts à son ami. », Le Courrier, n° 71, 30 août 1819, p. 3 et A. F. [Henri de Latouche], « Huitième lettre », Lettres à David, sur le Salon de 1819. Par quelques élèves de son école, Paris, 1819, p. 52.

[126L. Eitner, op. cit., 1991, p. 268.

[127A. Mahul, « Géricault (Jean-Louis-Théodore-André) », Annuaire Nécrologique, année 1824, Paris, 1825, pp. 116-117.

[128Frédéric Mercey, « Salon de 1838 », Revue des deux Mondes, XIV, 1er mai 1838, pp. 373-375. Ce passage est repris dans son Etudes sur les Beaux-Arts depuis leur origine jusqu’à nos jours, II, Paris, 1855, pp. 375-377.

[129« Liste des souscriptions reçues pour les naufragés du radeau de la Méduse, jusqu’à la date du 11 décembre inclusivement. [...] Le comte Destutt de Tracy, pair de France, 50 [francs] » (Journal du commerce, de politique et de littérature, n° 158, dimanche 28 décembre 1817, p. 3).

[130Lettre d’Ary Scheffer à Mme Destutt de Tracy, La Grange, 25 septembre 1819 (Archives nationales, papiers Lafayette en provenance du château de Chavaniac, 217 Mi. 16). Nous avons l’intention, dans un avenir plus ou moins proche, de publier cette lettre avec une étude sur le tableau d’Ary Scheffer.

[131Nous avons abordé cette nouvelle lecture dans notre thèse. Nous y reviendrons en détail.

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