Foix, ou le ministère de la Culture schizophrène...

Ces derniers temps, le ministère de la Culture a mis en œuvre plusieurs protections de monuments historiques contre l’avis des propriétaires, même lorsque ceux-ci étaient des collectivités territoriales. Ce fut le cas de Sierck-les-Bains, de l’église de Bordeaux, de la caserne Gudin ou - nous n’en avons pas parlé - du palais du roi de Rome à Rambouillet. Il faut donc le féliciter pour ces mesures qui nous semblent plus fréquentes qu’elles ne l’étaient encore il y a quelque temps, même si en l’occurrence le ministère ne fait que son travail.

Cela n’explique pas néanmoins une espèce de schizophrénie que nous pouvons constater dans le fonctionnement de cette administration. Car ces points incontestablement satisfaisants sont contrebalancés par des abandons incompréhensibles, souvent liés, ces derniers mois, à l’application de la loi Elan. Les cas se multiplient d’exemples d’utilisation de celle-ci par des élus qui se débarrassent ainsi de monuments échappant désormais à l’avis conforme des architectes des bâtiments de France. Le patrimoine de notre pays est aujourd’hui gravement menacé, comme il ne l’avait jamais été depuis les années 1970 puisque ce vandalisme porte sur des ensembles urbains cohérents, aux abords de monuments historiques ou dans des sites patrimoniaux remarquables.

La réponse doit être globale car la solution ne réside pas dans la protection individuelle de bâtiments qui ne le justifient pas toujours, même si leur conservation est nécessaire. Le ministère de la Culture vient de lancer une mission de l’Inspection pour examiner les conditions d’application de la loi Elan : il ne lui aura donc finalement fallu que quatre ans pour s’apercevoir qu’il y avait là une grave menace, alors que les associations (et La Tribune de l’Art) s’en étaient aperçus dès avant son vote au Parlement ! Mais les choses pressent, notamment à Foix où des destructions d’immeubles anciens en bon état, dont le code du patrimoine imposait la préservation, a pu commencer en raison d’un détournement d’une loi déjà viciée à son origine (ill. 1 et 2).


1. Les bords de l’Ariège, avec vue sur le château de Foix, état actuel avec les
immeubles anciens au premier plan
Photo : Sites & Monuments
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2. Les bords de l’Ariège, avec vue sur le château de Foix, état prévu après démolition des immeubles anciens
Photo : Action Cœur de Ville
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Rappelons de quoi il s’agit [1].
Six immeubles appartenant à l’établissement public foncier d’Occitanie vont y être démolis, alors qu’il s’agit [2] de beaux bâtiments des XVIIe et XVIIIe siècles qui s’inscrivent dans la composition urbaine de la ville ancienne, le long de l’Ariège, et en covisibilité avec le château et l’abbatiale Saint-Volusien. L’importance de ces édifices se voit sur les photographies publiées par l’association (ill. 1).

Comme le rappelle l’article de Sites et Monuments : « Les six immeubles ont été progressivement acquis par l’établissement public foncier d’Occitanie, deux parmi eux étant placés sous arrêté d’insalubrité par le préfet en avril 2019 et quatre d’entre eux sous arrêté de péril ordinaire par le maire en mars 2020. » La demande de démolition de ces immeubles a été refusée expressément par l’Architecte des Bâtiments de France qui écrit entre autre qu’« elle constituerait une perte irrémédiable sur le plan architectural, historique et patrimonial de nature à altérer gravement et définitivement le caractère et la qualité » du site.

S’agissant d’un avis portant sur les abords d’un monument historique, celui-ci est normalement « conforme », c’est-à-dire qu’il s’impose aux décideurs, ce qui signifie que les bâtiments devraient être sauvegardés. Sauf que dans le cadre de la loi Elan, les avis de péril font sauter l’avis conforme qui devient un avis simple. La destruction est donc possible malgré l’opposition de l’Architecte des Bâtiments de France. 
Cette loi, comme nous l’avions écrit pour l’affaire de Saint-Florentin (voir l’article), est facile à détourner : il suffit qu’un expert décrète un avis de péril ou d’insalubrité pour permettre la démolition. Contrairement à ce que nous pensions, un avis de péril imminent n’est même pas nécessaire : le péril simple suffit. Et l’insalubrité suffit également. On peut donc sans difficulté détruire ce que l’on veut dans un site patrimonial remarquable ou aux abords d’un monument historique : il suffit de décréter le péril ou l’insalubrité du monument, et si on ne trouve pas d’ « expert » suffisamment compréhensif, de laisser l’immeuble sans entretien.

3. Porte du XVIIIe siècle d’un des immeubles devant être détruit
Photo : Sites & Monuments
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L’absence de réaction du ministère est ici incompréhensible. L’utilisation de la loi ressemble à celle que nous avons dénoncée à Saint-Florentin : ces bâtiments anciens, qui possèdent de très beaux éléments (ill. 3), doivent être conservés car il s’inscrivent dans le panorama de la ville, en covisibilité avec plusieurs monuments historiques. Ils doivent être conservés à ce titre, même s’ils ne méritent pas une inscription. Il s’agit bien d’un détournement de la loi car l’architecte des bâtiments de France, spécialiste du bâti ancien, considère qu’ils ne sont pas menacés. Il écrit même : « l’état du bâti concerné ne justifie pas en lui-même une démolition, car il ne présente aucun défaut structurel, l’ensemble repos[ant] sur une base solide de caves adossées aux anciennes modifications. » Le ministère, parfois si enclin à suivre l’opinion de l’ABF, même s’il y a une erreur manifeste d’appréciation comme dans le cas de la chapelle Saint-Joseph de Lille où tous les autres spécialistes insistaient sur l’importance d’une protection, refuse ainsi d’écouter celui qui, à Foix, demande la préservation des immeubles. La responsabilité plus large du gouvernement dans cette affaire est écrasante, les destructions bénéficiant, comme le fait remarquer Sites & Monuments, de subventions liées aux projets Action Cœur de Ville qui viennent ainsi renforcer le vandalisme de la loi Elan.

4. Démolition commencée d’un des deux immeubles
Photo : Sites & Monuments
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Contrairement à ce qu’a répondu le ministère de la Culture au journaliste de La Dépêche du Midi dans cet article [3], il s’agit bien ici d’un « scandale patrimonial majeur » comme le montrent les photos et l’avis de l’ABF. Et si le chantier est « avancé » comme le dit le ministère de la Culture - la destruction du dernier étage d’un immeuble a commencé (ill. 4), il ne l’était pas lorsque l’association Sites & Monuments a demandé l’instance de classement, et il l’était encore moins il y a plus d’un an quand l’architecte des bâtiments de France a donné son avis. Non seulement ces bâtiments ne sont pas menacés contrairement à ce que prétendent le maire et le préfet, mais leur conservation serait moins coûteuse que la destruction-reconstruction comme va le démontrer un article de Sites & Monuments à paraître d’ici demain.

Le « en même temps » cher au président de la République semble donc sévir également au ministère de la Culture. On sauvegarde, mais on laisse détruire. Or l’efficacité d’un ministre de la Culture ne se jugera pas aux monuments qu’il aura pu sauver, mais bien à ceux qu’il aura laissé détruire alors qu’il aurait pu les protéger. Le ministère de la Culture est en charge de la protection du patrimoine. Il ne devrait jamais accepter sa destruction et encore moins lorsque ses agents rejoignent les associations de protection du patrimoine pour l’en avertir. C’est pourtant ce qu’a décidé ici Roselyne Bachelot comme l’article de La Dépêche du Midi le confirme, en titrant : « La ministre tranche [4]. »

Didier Rykner

Notes

[1Nous ne sommes pas allé sur place mais nous connaissons cette affaire via l’article de Sites & Monuments, les discussions que nous avons eues avec son président Julien Lacaze, et les articles de La Dépêche du Midi.

[2À l’exception d’un seul, plus récent, mais parfaitement intégré.

[3Nous renvoyons également à la réponse que fait Sites & Monuments aux arguments irrecevables du ministère.

[4Remarquons que contrairement à ce que Roselyne Bachelot affirme dans un courrier que nous avons reçu à ce sujet, nous n’ignorons évidemment pas que « la loi 2004-809 du 13 août 2004 a transféré, avec les crédits afférents, la compétence sur le patrimoine non protégé aux collectivités locales ». Mais dans aucun des dossiers que nous avons traités il ne s’agissait de crédits à affecter à un patrimoine non protégé, particulièrement pas dans celui de Foix. Et il reste bien de la compétence du ministère de protéger le patrimoine qui ne l’est pas...

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