Flèche de Saint-Denis : des pierres neuves et un état qui n’a jamais existé

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Façade de la basilique Saint-Denis
Photo : Thomas Clouet (CC BY-SA 4.0)
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Le 30 janvier, le ministère de la Culture a décidé de réunir la Commission nationale des monuments historiques, section travaux, pour lui soumettre le projet de reconstruction de la flèche de Saint-Denis. On se rappelle que ce projet très ancien avait été relancé en 2013 (voir cet article).

Les dernières informations que nous avons pu obtenir à ce sujet (de manière évidemment non officielle) démontrent encore plus clairement le scandale dont il s’agit, et les deux mensonges - qui pèsent évident lourd dans la balance - proférés par ceux qui tentent depuis plusieurs années de faire passer cette idée folle :

 « les pierres ont été soigneusement conservées et seront réutilisées dans la reconstruction ». Le maire proclame : « tout le matériel est stocké au chevet de l’église, il s’agit de remonter les pierres taillées, qui reposent depuis cent cinquante ans aux pieds de la basilique [1]. » La municipalité de Saint-Denis, lorsque nous l’interrogions, nous indiquait que les pierres étaient en partie au chevet de l’église, et en partie conservées dans le dépôt archéologique de la ville. Mais alors que nous avons à plusieurs reprises, par mail et par téléphone, demandé à les voir, curieusement, cela ne nous a jamais été accordé.
Car évidemment, c’est faux. Nous nous en doutions depuis longtemps puisque cet argument n’avait pas été utilisé lorsque nous nous étions penché sur cette affaire il y a quatre ans. Les polémiques qui ont suivi ont donc donné une idée aux promoteurs de la reconstruction : dire que les pierres sont conservées, et qu’on ne fait que les remettre en place.
Non seulement une grande partie des pierres a été perdue (sinon, pourquoi ne pas nous les montrer ?), mais il n’est pas question de réutiliser celles qui subsistent, pour des raisons évidentes de solidité. L’architecte a juste prévu de les prendre comme modèle pour retailler de belles pierres toutes neuves.

 « la flèche sera reconstruite à l’identique, selon le modèle du XIIIe siècle déposé en 1846 ». L’architecte en chef des monuments historiques, Jacques Moulin (celui qui a sévi à Fontainebleau - lire notamment cet article) affirme à la presse (qui le reprend comme un seul homme) qu’« il dispose de tous les documents nécessaires pour reconstruire à l’identique la tour de 86 m de haut démolie il y a 170 ans. » (voir cet article du Parisien). Et le président de l’intercommunalité Plaine Commune et ancien maire, Patrick Braouzec, explique que « nous proposons de remonter la flèche à l’identique [2]. »
C’est faux. L’objectif est en réalité de construire selon un plan prévu, mais non réalisé, de l’architecte François Debret.

Ces deux arguments sont repris abondamment par une partie de la presse qui croit tout ce qu’on lui dit sans chercher à enquêter [3] ».

Peut-on accepter des décisions absurdes élaborées à partir d’informations fausses ? Cette construction de la flèche de Saint-Denis n’est pas une reconstruction d’un état historique (une pratique déjà contestable). Il s’agit d’édifier un édifice neuf, avec des pierres modernes, pour créer quelque chose qui n’a jamais existé. Ajoutons que le poids occasionné par cette flèche va fragiliser la façade, ce qui, selon un spécialiste, nécessitera d’injecter du béton dans les fondations, rajoutant un coût non négligeable à ces travaux. Nous avons interrogé Jacques Moulin sur ces trois points (la non utilisation des pierres anciennes, la reconstruction selon le plan de Debret, et la technique de consolidation de la façade), mais celui-ci a refusé de nous répondre [4].

Le ministère de la Culture et le Président de la République ont donné ordre aux fonctionnaires présents dans la commission nationale des monuments historiques - qui sera probablement présidée par Vincent Berjot, le directeur général des Patrimoines - de voter pour le projet. On voit bien ce que l’architecte en chef a à y gagner, on entrevoit ce que la ville de Saint-Denis espère en terme de publicité, on comprend moins en revanche pourquoi Audrey Azoulay et François Hollande en constituent des soutiens actifs, sinon pour des raisons politiques. Interrogé, le ministère a répondu : « à ce stade, le ministère ne souhaite pas communiquer sur ce sujet tant que la commission n’a pas eu lieu ». Il faudra qu’on nous explique ce qu’il y a de confidentiel et que les citoyens ne devraient pas connaître dans la question de savoir si ce projet consiste ou non en une construction avec des pierres neuves d’un plan jamais exécuté et si des travaux de consolidation des fondations seront ou non nécessaires. L’opacité avec laquelle le ministère de la Culture instruit ses dossiers en niant le débat est un véritable déni démocratique.

Les autres membres de la commission, c’est-à-dire les « personnalités qualifiées », ont été averties par la presse de la réunion le 30 janvier, le Moniteur ayant publié cette information alors qu’ils n’avaient pas encore reçu la convocation ni l’ordre du jour. Une manière de montrer en quelle considération le gouvernement tient cette instance dont il rêve qu’elle agisse comme une chambre d’enregistrement (ce qu’elle est hélas souvent - mais pas toujours). Il faut espérer que le bon sens lui dictera la seule réponse possible à ce scandale : non.

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