Emmanuel Macron fait ses courses au musée de l’Armée

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Alors que le Sénat vient de voter à l’unanimité la loi qui prévoit de transférer au Bénin et au Sénégal des œuvres théoriquement inaliénables de notre patrimoine, sa commission de la culture, de l’éducation et de la communication vient de se fendre d’un tweet rageur (accompagné d’un communiqué) pour dénoncer le dernier mauvais coup porté par le président de la République aux collections des musées français.
Celui-ci vient en effet d’ordonner au Musée de l’Armée de déposer à Madagascar, en attendant une prochaine « restitution » qui devrait faire l’objet d’une nouvelle loi, donc, le couronnement du dais de la reine Ranavalona III. Nous avions été les premiers à révéler cette revendication du pouvoir malgache d’un objet qui était d’abord présenté contre toute évidence, comme une couronne royale (voir l’article).



Mais ce que vient de faire Emmanuel Macron va bien au-delà de tout ce qu’on avait vu jusqu’à présent. Nous sommes, on le sait, totalement opposé à ces prétendus « restitutions », qui hélas sont désormais un fait, entériné par une loi. Mais il n’est même plus question ici de « restituer » une prise de guerre, ni même un vol. Nous avons pu nous procurer un document du musée de l’armée, qui circule notamment au sein du ministère de la Culture (et que Le Monde, qui a publié cette après-midi un article, a pu également consulter), démontrant clairement que ce couronnement de dais n’est pas issu d’une conquête, mais qu’il a très probablement été acquis parfaitement légalement par son propriétaire, Georges Richard, qui l’a offert en 1910 au Musée de l’Armée.


Couronnement du dais de la reine Ranavalona III
Paris, Musée de l’Armée
Photo : Musée de l’Armée
Voir l´image dans sa page

La démonstration du Musée de l’Armée, basée sur les faits et les archives connus, laisse penser que jamais ce sommet de dais n’a été considéré comme une œuvre suffisamment importante pour être conservée dans le musée du palais, ni comme devant faire l’objet d’une indemnisation. Les membres de la famille royale dont les biens avaient été confisqués ont en effet été compensés pour leurs pertes. Jamais, par ailleurs, la reine n’a demandé la moindre indemnisation pour la disparition hypothétique de cette couronne, que Richard a probablement acheté comme souvenir et qui n’était alors pas considéré comme un bien de valeur. Il ne s’agit, quoi qu’il en soit, aucunement d’un « symbole de [la] souveraineté nationale [de Madagascar] » comme le prétend le président malgache.

On sort donc ici de tous les cas connus de restitution. Aucune « morale » ne peut être appelée en renfort pour justifier ce qui est clairement illégal à plusieurs titres. Le président de la République croit désormais pouvoir disposer à sa guise des œuvres inaliénables des musées français. Et inaliénable ici encore davantage puisqu’il s’agit d’un don, et qu’un don ne peut même pas faire l’objet d’un déclassement. Va-t-on désormais assister régulièrement à des votes du parlement pour régulariser le bon plaisir d’un président qui n’a clairement pas conscience de ses responsabilités et qui se croit littéralement tout permis.

Nous conclurons avec un paragraphe du communiqué du Sénat : « Ce retour précipité et en catimini, effectué au mépris de toute consultation de la représentation nationale, seule autorité compétente pour autoriser la sortie de ces biens des inventaires nationaux, illustre de nouveau la tentation du Gouvernement de faire systématiquement prévaloir les enjeux diplomatiques sur l’intérêt culturel, scientifique et patrimonial des biens composant les collections publiques françaises. Ces biens, juridiquement inaliénables, ne sont pourtant pas cessibles au gré de l’évolution des relations internationales. » C’est bien pourtant ce qu’a fait le gouvernement français avec les œuvres du Bénin et du Sénégal. Et avec l’approbation du Sénat.

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