Disparition de la revue Genava

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4/2/22 - Revue - Genève, Musée d’Art et d’Histoire - Les revues sont comme les civilisations : mortelles. On se souvient avec tristesse que la Gazette des Beaux-Arts, doyenne des revues d’art françaises avait disparu après 140 ans d’existence par la seule décision de la famille Wildenstein qui avait non seulement arrêté de la publier mais aussi refusé que quiconque en reprît l’héritage et le titre, position anti-patrimoniale mais aussi incompréhensible sinon par une sorte d’égocentrisme familial après la mort de Daniel Wildenstein : un sardanapalisme peu glorieux. Mais il s’agissait d’un organe privé, quelque « institutionnel » qu’il fût devenu par sa longévité et son prestige.

Avec Genava, le cas est encore plus grave puisqu’il s’agissait de la publication officielle du Musée d’Art et d’Histoire de Genève. Fondée en 1923, Genava, tout d’abord « Bulletin du Musée d’Art et d’Histoire de Genève et de la Société auxiliaire du Musée, la Bibliothèque publique et universitaire et la Commission cantonale pour la conservation des monuments et la protection des sites », était devenue en 1953 la Revue des musées d’Art et d’Histoire de Genève [1]. Étant donnée la diversité des collections de cette institution, cette publication couvrait de nombreux domaines, depuis l’archéologie et l’ethnographie jusqu’à l’art sous toutes ses formes et au patrimoine genevois. Les articles scientifiques de haut niveau y étudiaient les collections, les enrichissements du musée et tout sujet en rapport avec les richesses historiques et artistiques du canton. Malmenée à partir du milieu des années 2010, tandis que divers soubresauts secouaient l’institution sur lesquels il n’y a pas ici lieu de revenir, la revue avait commencé par prendre du retard avant de cesser de paraître en 2017. La dernière livraison étudiait encore divers objets égyptiens, se consacrait à Ferdinand Hodler dans l’optique de son centenaire (2018) ou encore à un spectaculaire nu dû à Léonor Fini. On pouvait espérer que Genava survécût à la véritable descente aux enfers de ce musée, dont les projets architecturaux contestés et la gestion erratique s’étaient accélérés avec le départ de Paul Lang pour Ottawa en 2011.

Malheureusement il n’en fut rien et la mort de Genava est désormais définitivement actée. On ne peut que regretter la disparition de cette publication rigoureuse et savante qui traitait réellement d’histoire de l’art d’autant que ce qui est censé la « remplacer » laisse un goût amer. Le premier numéro semestriel du MAGMAH (sic) paru récemment se présente comme une sorte de brochure illisible sur le fond comme dans la forme, mélange de textes dont la prétention le dispute à l’abscons, le tout parsemé d’images « décalées » (selon la novlangue en vigueur désormais) où un mannequin nu pose complaisamment devant des œuvres, le tout sans queue ni tête, si l’on ose dire. Citons le programme de ce nouveau périodique : « MAGMAH a l’ambition d’être un espace de rencontres où les professionnels du musée, le public et des spécialistes d’horizons variés sont mis sur un pied d’égalité. Les connaissances scientifiques évoluent ici sur le même plan que les émotions exprimées devant une œuvre de la collection. Et cette linéarité est source d’énergie : le rapport entre les objets et les sujets est renouvelé, les images s’entrechoquent, créant une ébullition, un rythme, un langage propre au magazine, à mille lieux de la progression usuelle que l’on trouve dans la presse actuelle. Le but est de surprendre, de provoquer des collisions inattendues ou insoupçonnées. » En effet ! Etienne Dumont, le célèbre et sévère critique genevois a fait récemment à cette parution le sort qu’elle mérite et nous y renvoyons avec plaisir. Nous avons eu en recevant l’objet en question la même réaction que lui, celle de la tentation d’un « classement vertical » immédiat, avant de réaliser de quoi il s’agissait. À Genève, plus encore qu’ailleurs, l’art n’a plus la cote, au profit de son utilisation à des fins pseudo conceptuelles et aussi bavardes qu’ineptes. Les amoureux de cette belle ville et de son magnifique patrimoine ne peuvent que regretter cette dérive.

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