Disparition de Claudie Ressort

1. Claudie Ressort, en 2012, à l’Instituto Amatller de Barcelone
Photo : Véronique Gérard-Powell
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20/2/20 - Disparition - Claudie Ressort (ill. 1) est décédée à Paris, le 9 février dernier, à l’âge de 87 ans. Sa carrière professionnelle, totalement consacrée au musée du Louvre, a été caractérisée par une passion pour la peinture espagnole qu’elle a continué à développer bien au-delà de la retraite.

Après ses études à l’École du Louvre et plusieurs années de travail au service éducatif du musée du Louvre, elle entra à la fin des années 1960 comme documentaliste au Département des peintures que Michel Laclotte dirigeait depuis 1966. Une fois accomplie sa première tâche, la partie concernant « le département des peintures » dans le Guide du Louvre, (L’Indispensable, 1971), Claudie partagea pendant plusieurs années son activité en collaborant soit avec Jeannine Baticle (1920-2014), chargée de la peinture espagnole, soit avec Michel Laclotte. C’était l’époque bénie des expositions « dossiers du département des peintures » au Pavillon de Flore. Elle seconda Michel Laclotte dans son exposition pionnière Copies, Répliques, Pastiches (1973-1974) et rédigea avec lui le modeste Petit Journal n° 3 qui résumait les mises au point que permettait cette confrontation d’œuvres originales peintes par plusieurs mains, d’originaux qui se révèlent être des copies, d’imitations libres d’œuvres anciennes, de pastiches et de faux. Ce mélange d’érudition et de clarté pédagogique, cette révélation d’une histoire de l’art en construction se retrouvèrent dans un second dossier fait en commun, Retables italiens du XIIIe au XVe siècle (dossier 16, 1978).

2. Catalogue de l’exposition Murillo dans les musées français
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La première contribution de Claudie Ressort à l’histoire de la peinture espagnole fut un autre catalogue qui accompagnait l’exposition Eugenio Lucas et les satellites de Goya montée par Jeannine Baticle au musée des Beaux-Arts de Lille et au musée Goya de Castres (1972), à la suite de sa grande exposition Goya à l’Orangerie (1970). D’apparence presque misérable (six feuillets publiés par La Revue du Louvre), la réalisation de ce catalogue dut en fait être très difficile car l’on ignorait alors presque tout du sujet terriblement complexe que sont les suiveurs de Goya. Deux ans plus tard, Claudie organisait seule, à Castres, une exposition sur un sujet lui aussi non défriché, Mariano Fortuny et ses amis français (1974) qui commémorait le centenaire de la mort de Marià Fortuny y Marsal (1838-1874). Claudie était très sensible à la création espagnole de cette période qu’elle aimait collectionner.
C’est un nouveau dossier du département des peintures, Murillo dans les musées français (1983), qui fit d’elle une spécialiste internationalement reconnue du peintre sévillan (ill. 2). Ce catalogue est aujourd’hui encore une mine de références avec son étude approfondie des chefs d’œuvre conservés en France et du goût français pour Murillo depuis le XVIIIe siècle. Elle se pencha à nouveau sur l’exceptionnelle collection de ses dessins conservée au Cabinet des Dessins du Louvre lors de l’exposition Dessins espagnols : maîtres des XVIe et XVIIe siècles (Louvre, 1991, avec Lizzie Boubli et Alfonso Pérez Sánchez).

Ce sur quoi Claudie Ressort aimait travailler par-dessus tout, c’était la peinture espagnole des XIVe et XVe siècles, notamment la peinture catalane et valencienne avec ses nombreux contacts avec l’Italie. Sa disparition sera vivement ressentie parmi les spécialistes de cette période qui respectaient énormément ses travaux et ses jugements. Elle avait pour ces tableaux un œil fantastique et une excellente mémoire visuelle. À deux articles écrits avec Mathieu Hériard-Dubreuil, « Aspetti fiorentini della pittura valenzana intorno al 1400 » Antichita viva, 1977 et 1979 –aujourd’hui ouvrages de référence – succédèrent de nombreux autres sur les œuvres de cette époque conservées ou acquises par les musées français. Son intérêt pour les techniques du Laboratoire de recherches du Louvre et son exceptionnelle aptitude à travailler en collaboration engendrèrent plusieurs publications très importantes tel l’article écrit avec Nicole Reynaud sur Les portraits d’Hommes illustres du studiolo d’Urbino par Juste de Gand et Pedro Berruguete (Revue du Louvre, 1991) ; leurs conclusions ont été contestées par certains mais sans apporter une analyse aussi fine et solide. L’étude qu’elle fit avec Jean-Pierre Cuzin de la Crucifixion de Peeter Kempeneer (Pedro de Campaña), acquise par le Louvre en 1986, a considérablement aidé à éclaircir la longue période sévillane de cet artiste.


3. Luis de Morales (vers 1515-1586)
Pietà, vers 1565
Huile sur panneau - 125 x 96 cm
Paris, Musée du Louvre
Photo : Mossot (CC BY-SA 4.0)
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Lorsque Claudie reçut la responsabilité de la peinture espagnole au Louvre après le départ en retraite de Jeannine Baticle, qu’elle avait beaucoup secondé pour sa dernière exposition – Zurbarán (1989, RMN Grand Palais et Metropolitan Museum, New York) – dans une période d’intenses travaux pour le musée, elle poursuivit les acquisitions espagnoles– une Pietà de Morales (ill. 3), un superbe panneau de Juan de Borgoña, trois panneaux du Maître d’Alcobacer – tout en continuant à publier de nombreux articles et à aider les musées de province. En premier lieu le musée Goya de Castres, où elle établit le catalogue des Peintures et sculptures espagnoles des XIVe et XVe siècles (2000) et contribua à l’acquisition de plusieurs œuvres importantes comme La Multiplication des pains de Herrera l’Ancien ou un panneau de Juan Rexach. Elle assuma également pendant plusieurs années un cours de spécialisation sur la peinture médiévale espagnole à l’Université de Paris-IV Sorbonne d’où émergèrent plusieurs solides travaux d’étudiants.

4. Catalogue des peintures espagnoles et portugaises du Louvre
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Très attachée à la tradition érudite des musées, Claudie Ressort tenait à achever sa carrière professionnelle en réalisant le catalogue raisonné des peintures espagnoles et portugaises du Louvre (ill. 4), entreprise à laquelle elle voulut bien m’associer. Les historiens d’art hispanistes internationaux ont reconnu l’importance de cette publication dont elle a été le fer de lance.
La retraite lui avait donné la liberté de pouvoir se rendre plus longuement en Espagne, qu’elle faisait découvrir à son mari. Elle aimait séjourner en février à Séville, dans la petite rue Mateo Gago, à l’époque où les orangers laissent tomber leurs fruits sur les passants. Lorsque fut lancé un premier projet de recensement des œuvres espagnoles conservées dans les collections publiques françaises, elle n’attendit pas d’éventuels financements pour se mettre, avec la complicité de son mari, au travail en Bourgogne, en Franche-Comté ou en Aquitaine. Elle se réjouissait de la toute récente résurrection du projet rebaptisé Retib.
Toujours infatigable, Claudie avait entrepris il y a près de dix ans, en m’y associant à nouveau, un énorme travail de recensement des œuvres espagnoles passées par la France entre 1800 et 1914 et d’étude de leurs collectionneurs. Elle a pu achever ses chapitres les plus importants et son souvenir me soutiendra pour terminer ce travail le plus vite possible.
Claudie Ressort était la générosité même, c’était pour elle la chose la plus naturelle du monde. Généreuse de son temps, de son travail, de son savoir, attentive aux besoins du jeune stagiaire, de l’étudiant comme à ceux de l’érudit confirmé, elle aimait recevoir dans son appartement de la rue d’Assas ou sa charmante propriété de campagne, en particulier tout spécialiste étranger de l’art espagnol de passage dans la capitale. Cet accueil affectueux et cette chaleur de l’amitié, qui n’empêchait pas son franc-parler, ont enrichi la vie de ceux qui ont eu le bonheur de la connaître et garderont précieusement son souvenir dans leur cœur.

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