Des spécialistes de la sculpture confirment les dangers du transport des Bains d’Apollon

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François Girardon (1628-1715) et
Thomas Regnaudin (1622-1706)
Apollon servi par les Nymphes
Marbre
En 2006, encore en place
Photo : Didier Rykner
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L’Avenir de l’Artois du 20 août dernier est revenu sur l’article que nous avons consacré récemment aux Bains d’Apollon, à leur envoi à Arras, puis à Abu Dhabi, en lui consacrant une pleine page.
Sous le titre : « Un véritable combat de sourds » [1] le journal explique que « De Versailles à Arras, les spécialistes de l’art ne comprennent pas la polémique lancée par Didier Rykner ». Et l’établissement public de Versailles, notamment Catherine Pégard, sa présidente, et Béatrix Saule, la directrice des collections, envoient pour répondre à leur place une attachée de conservation du patrimoine. On lit dans l’article : « Selon Hélène Delolex [2] [Didier Rykner] n’est pas apte à juger de l’état et de la conservation. "Il n’est pas conservateur. Des commissions se sont réunies pour décider du déplacement des œuvres, ce n’est pas une décision prise à la légère. Monsieur Rykner est contre la délocalisation de l’art en général. Il s’agit bien d’un problème plus général que la sécurité de la sculpture pour lui", lâche-t-elle, une pointe d’agacement dans la voix. » L’article se conclut sur cette phrase définitive : « La polémique ne semble pas avoir dépassé les frontières de la capitale ».

On pourrait faire remarquer à Hélène Delalex qu’on peut ne pas être conservateur et avoir un avis sur la question (comme elle le prouve elle-même), que les commissions de prêts donnent en général, dès qu’il y a une volonté politique, leur acquiescement à presque tout, et qu’il suffit de lire La Tribune de l’Art pour comprendre que je ne suis pas opposé « en général » aux déplacements des œuvres, tout dépendant de quelles œuvres et dans quelles circonstances. Mais la meilleure réponse qu’on puisse faire à celle-ci, et surtout à Catherine Pégard et à Béatrix Saule (mais aussi à Jean-Luc Martinez qui, hélas, se prête à ce scandale pour l’envoi des œuvres à Abu Dhabi), viendra du témoignage de cinq spécialistes incontestés de la sculpture.

Nous avons ainsi contacté Jean-René Gaborit, ancien directeur du département des sculptures du Musée du Louvre, qui a souhaité rester sur un plan technique. Son analyse est particulièrement intéressante car il énumère les différents risques que vont courir les Bains d’Apollon. « Les marbres sont les objets les plus susceptibles d’avoir des accidents irréparables, contrairement par exemple aux plâtres et aux terres cuites qui peuvent être restaurés de manière souvent invisible. Un fil noir finit toujours par apparaître sur les cassures des marbres, quelle que soit la technique de restauration utilisée.
Plus un marbre est gros, plus le risque d’accident est considérable, en raison de sa manutention difficile. Dans le cas précis du groupe d’Apollon, le danger est d’autant plus important qu’il est composé de sept éléments (je crois que c’est ce nombre) qu’il faut à chaque fois, pour le transporter, démonter et remonter. Il y aura donc un démontage à Versailles, un remontage à Arras, un démontage à Arras, un remontage à Abu Dhabi, un démontage à Abu Dhabi et un remontage à Versailles, ce qui multiplie d’autant les risques d’accident.
Enfin, si le déplacement vers Arras se fera sans doute par camion, ce qui permet d’accueillir les groupes de grande dimension debout (qui souffriront cependant des vibrations), l’avion impose parfois de les transporter couchés. Il y a quelques années, le groupe d’Adrien de Vries du Louvre,
 Mercure enlevant Psyché, un bronze pourtant, avait été transporté debout à Copenhague, mais nous avions refusé son envoi au Getty. En effet, redresser une grande sculpture est en soi un acte risqué. »

Enfin, nous publions ici un texte signé de quatre spécialistes mondialement connus de la sculpture, dont trois étrangers : le Dr Charles Avery (ancien conservateur au Victoria & Albert Museum), Sir Timothy Clifford (ancien directeur des National Galleries of Scotland), le Dr Jennifer Montagu [3] (spécialiste de la sculpture baroque) et François Souchal (professeur honoraire à l’Université, auteur notamment de l’ouvrage faisant autorité sur la sculpture française sous Louis XIV : French Sculptors of the 17th and 18th Centuries. The Reign of Louis XIV). Celui-ci est sans ambiguïté :

« Le remplacement des sculptures composant le groupe des Bains d’Apollon par des copies avait pour objectif, en abritant les originaux, de les sauvegarder pour les générations à venir. Ces œuvres fragiles ne sont pas des objets de musée que l’on peut transporter, surtout en dehors de tout objectif scientifique.
C’est donc avec consternation que nous avons appris que ce groupe devait être envoyé à l’automne 2014 dans une exposition de Cent chefs-d’œuvre du château de Versailles, organisée au Musée des Beaux-Arts d’Arras, puis faire partie de la première exposition d’œuvres des musées français louées à Abu Dhabi. En tant que spécialistes de la sculpture, nous condamnons fermement ces déplacements des Bains d’Apollon qui constituent une grave menace pour leur conservation. L’objectif premier des musées est de protéger leurs œuvres. Il est donc indigne de la part des musées français de mettre ainsi en danger, pour des objectifs sans rapport avec l’histoire de l’art, l’un des groupes les plus importants de la statuaire mondiale.
 »

Manifestement, hors Versailles et Arras les historiens de l’art comprennent la polémique que nous avons lancée, et celle-ci a dépassé les frontières de la capitale.

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