Des peintures murales de Constant Delaperche menacées au château de La Roche-Guyon

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L’exposition consacrée aux frères Delaperche à Orléans (voir l’article), même si elle a été contrariée par le Covid et des fermetures imposées, a néanmoins permis de découvrir pendant plusieurs mois ces deux artistes, dessinateurs, peintres et sculpteur. Elle a été prolongée jusqu’au 24 janvier 2021 et rouvrira, ne serait-ce que quelques jours, si les musées sont autorisés à le faire d’ici là. Elle ne pourra pas en revanche être encore prolongée, mais il est possible de la visiter de manière virtuelle ici.


1. Constant Delaperche
La Présentation de la Vierge au Temple, 1816-1819
Éléments de terre cuite assemblée
La Roche-Guyon, château
Photo : Didier Rykner
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Constant Delaperche, élève de David et entré en loge en 1801 pour le concours du prix de Rome, fut à la fois peintre et statuaire. Il entra au service des Rohan-Chabot à La Roche-Guyon en 1804 et y resta jusqu’en 1828. Le château a conservé par le passé de très nombreuses œuvres de lui comme le montrait l’exposition, et il n’y reste aujourd’hui que les quatre bas-reliefs en terre cuite dans la chapelle [1], protégés comme immeubles par destination (et une peinture dans l’église du village). Son œuvre sculpté est rare, et son œuvre peint l’est encore davantage. Or il se trouve que derrière un de ces reliefs (ill. 1), dont deux étaient montrés à l’exposition à la suite de leur restauration, ont été découverts les restes d’une peinture murale de sa main qui reprend les mêmes figures que la sculpture. Peut-être voulait-il, une fois les deux premiers reliefs mis en place, regarder ce que donnerait la composition d’ensemble quand les deux dernières sculptures seraient réalisées. Si la majeure partie a été piquetée pour favoriser l’accroche du plâtre de scellement, une des figures est très bien conservée (ill. 2) et il s’agit d’un exemple précieux de son art pictural, et de sa technique.


2. Photo du panneau explicatif de l’exposition Delaperche montrant la
peinture murale conservée à côté de la sculpture qu’elle prépare
Photo : Didier Rykner
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Les deux reliefs sont déjà revenus cette semaine à La Roche-Guyon, et il est prévu qu’ils soient réinstallés la semaine prochaine. Se posait donc la question de la conservation et de l’éventuelle dépose de ces peintures murales. Des devis ont été établis et selon nos informations, de tels travaux coûteraient entre 5 et 10 000 €, une somme très abordable qui pourrait aisément être financée soit par le Conseil général du Val-d’Oise, qui s’occupe du château [2], ce qui permettrait de conserver les peintures à proximité des sculptures qu’elles préparent, soit par du mécénat ou une souscription publique, soit même par un musée qui pourrait alors les exposer. Le panneau de l’exposition (ill. 3) qui présentait ces reliefs précisait : « Reste à savoir si une dépose de la peinture pourra trouver un financement afin de préserver une des rares traces de commandes des Rohan-Chabot [commanditaires de l’œuvre et fidèles soutien de Constant Delaperche] ».
Pourtant, c’est un tout autre choix qu’a fait la DRAC d’Île-de-France : celui de recouvrir la peinture d’un plâtre censé la protéger, puis de replacer les sculptures par dessus, en agissant comme pour une fouille archéologique que l’on ne peut pas mener. Cela reviendrait donc à la faire disparaître (car qui peut penser qu’on les redécouvrira un jour si on ne le fait pas aujourd’hui ?).


3. Photo du panneau explicatif de l’exposition Delaperche
Photo : Didier Rykner
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Nous avons contacté la directrice du château, Marie-Laure Atger, qui nous a dit ne pas avoir de compétence de conservation et se reposer entièrement sur l’avis de la Direction Régionale des Affaires Culturelles d’Île-de-France. Nous avons donc contacté celle-ci, qui nous a fait la réponse suivante, et nous demandant d’ajouter que ces précisions sont celles « apportées par la DRAC Île-de-France  », ce que nous faisons bien volontiers.
Voici donc ses arguments : « La DRAC a en effet refusé que l’on dépose les esquisses qui sont au-dessous des sculptures car cela n’a aucune logique structurelle. Si cela fut fait par le passé, on ne sépare plus les strates d’une œuvre murale pour montrer les éléments sous-jacents pour des raisons de conservation. Les peintures déposées et mises sur nid d’abeille pour être conservées en tant que telles résistent très mal dans le temps, et ce d’autant plus que la paroi est gorgée de sels. Le service des monuments historiques est garant, sauf dégradation trop grave, de la conservation in situ des œuvres, telle que les artistes les ont réalisées. »

Nous pouvons répondre point par point aux arguments de la DRAC, qui sont à la fois erronés, et dangereux pour l’œuvre. Nous avons pour cela interrogé des restaurateurs. Mais pas Olivier Rolland, celui qui a restauré les reliefs, car il nous a répondu que la DRAC lui avait interdit de nous parler directement, lui demandant de nous renvoyer vers elle. C’est ainsi que la DRAC Île-de-France conçoit la liberté d’expression et la liberté de la presse.
Parmi les personnes que nous avons pu interroger, néanmoins, et qui ont pu prendre connaissance du dossier grâce aux éléments publiés lors de l’exposition, figure une restauratrice spécialiste des peintures murales et notamment de leur dépose. Elle nous a confirmé qu’il était faux de dire que l’on ne dépose plus de peintures murales et que leur conservation serait menacée à terme par leur pose sur nid d’abeille. C’est au contraire la technique employée qui a fait toutes ses preuves. Elle a ajouté que recouvrir les peintures de plâtre était la dernière chose à faire car cela menacerait leur conservation.
Ajoutons que la présence d’une paroi « gorgée de sels » rend d’ailleurs cette dépose d’autant plus nécessaire.

Nous ajouterons, pour sortir du champ de la conservation-restauration, que le choix de la DRAC est également une hérésie sur le plan de l’histoire de l’art et du patrimoine. Puisque les sculptures doivent être remises in situ (cela ne se discute pas), la conservation in situ d’une peinture murale qui resterait cachée indéfiniment, alors qu’elle pourrait être exposée sans danger pour elle, n’a pas de sens. Nous avons récemment parlé des dilemmes qui peuvent se poser aux conservateurs des monuments historiques lorsqu’une œuvre en recouvre une autre (voir l’article). On ne peut être dogmatique sur cette question et chaque cas est spécifique. Prenons l’exemple de la fresque du XVe siècle de l’église du Quillio dont nous parlions dans cet article, devant laquelle était placée un retable du XIXe siècle. Celui-ci pouvant, sans trop de dommages historiques, être déplacé ailleurs pour montrer la fresque, la bonne solution était trouvée. Admettons qu’il s’agisse d’un retable faisant partie d’un important décor entier : enlever le retable aurait été un choix discutable. On aurait alors pu envisager la dépose de la fresque à condition que cela soit réalisable sans l’abimer. Dans le cas contraire, on aurait pu décider de laisser le retable en place, quitte à masquer la fresque. Imaginons aussi que celle-ci ne soit qu’à l’état de trace : la documenter pouvait suffire avant de remettre le retable en place.
Nous sommes ici dans un cas où la dépose de la peinture n’est pas difficile ni dangereuse pour sa conservation, ni même essentielle à l’œuvre murale. Parler de séparer des « strates » d’une œuvre murale, comme s’il s’agissait de déposer une fresque pour en détacher la sinopia [3] sans aucune raison. Tel n’est pas le cas ici.

Le château de La Roche-Guyon, déjà vidé de son mobilier il y a quelques années, n’avait pas besoin de ce nouveau scandale. Détacher une peinture murale est une technique désormais très rodée. On ne comprendrait pas qu’elle ne soit pas mise en œuvre ici avant que les sculptures ne soient remises en place, surtout pour un artiste dont si peu d’œuvres existent.
Au moins faudrait-il dans ce type de cas que la décision ne repose pas sur une seule personne, conservatrice des monuments historiques. Il est nécessaire ici de prendre tous les avis éclairés possibles, notamment ceux de restaurateurs spécialisés, mais aussi d’autres conservateurs, au sein d’un comité scientifique qui pourrait être réuni pour prendre une décision collégiale et argumentée. Il est urgent que la ministre de la Culture que nous avons contactée sans pour l’instant de réaction de sa part démontre dans un cas comme celui-ci qu’elle souhaite vraiment faire évoluer les choses, en donnant à ses services déconcentrés des consignes fermes : protéger le patrimoine, pas l’effacer…

Droit de réponse publié le 18 février 2021.

La DRAC nous a demandé un droit de réponse suite à la publication de cet article. Nous le publions ici bien volontiers, et nous répondons ensuite à ce droit de réponse.

Rectification par la DRAC d’affirmations erronées publiées dans l’article de La tribune de l’Art intitulé « Des peintures murales de Constant Delaperche menacées au château de la Roche Guyon »

La peinture de mise en place n’est en rien comparable à l’œuvre originale. Il s’agit d’une simple mise en place très littérale qui reproduit l’emplacement et le contour des personnages des bas-reliefs qui eux, constituent l’œuvre définitive. Il ne s’agit en aucun cas d’une peinture murale destinée à être visible. Les vestiges de ces peintures sont de plus extrêmement lacunaires et seraient peu lisibles si elles étaient déposées. C’est pourquoi la DRAC Ile de France depuis 2010 a travaillé sur un protocole sécurisé de restauration des bas-reliefs en terre cuite qui a abouti en 2020 et qui a concentré toute l’attention des restaurateurs et des conservateurs. L’attribution à Constant Delaperche ne date pas de l’exposition au Musée d’Orléans : elle était déjà connue auparavant par une archive privée.

Les peintures de mise en place, contrairement aux sculptures, ne sont pas dégradées, ce qui montre que l’œuvre a trouvé un équilibre mécanique physique et chimique avec la paroi qu’il serait risque de perturber par une dépose. Déposer une peinture murale n’est pas du tout un acte anodin mais une opération si risquée qu’elle n’est pratiquée qu’en cas de destruction ou de dégradation trop grande du support, ce qui n’est pas le cas ici.

En effet, cet acte consiste, quelle que soit la technique retenue, en un arrachement de la couche picturale du support qui occasionne systématiquement des pertes de matières (le support étant cassant et friable) et met en péril sa conservation à long terme. Le fait qu’elle soit gorgée de sels plaide d’autant plus pour un maintien en place qui évite de perturber l’équilibre dans lequel elle se trouve ; La transposer sur un support après arrachement tout en la conservant dans la chapelle humide présenterait des risques considérables pour la conservation des peintures à long terme. Ici, la DRAC a donc appliqué le principe de précaution qui consiste à la maintenir en place au prix d’un recouvrement, selon sa structure initiale telle a été conçue. Le procédé adopté est totalement réversible et protecteur.

Des prises de vue en haute définition étaient prévues de longue date, elles sont en cours de réalisation aujourd’hui avant repose des bas-reliefs

Ce droit de réponse n’est qu’un extrait d’un communiqué de presse de la DRAC publié après notre article ; il en reprend la dernière partie, la première s’attachant surtout à l’historique.

Notre réponse au droit de réponse de la DRAC

Nous n’avons évidemment jamais prétendu que les peintures que la DRAC appelle « de mise en place » seraient une œuvre définitive destinée à l’origine à être visible.
Nous trouvons très amusant ces deux affirmations de la DRAC : « les vestiges de ces peintures sont de plus extrêmement lacunaires et seraient peu lisibles si elles étaient déposées » et, un peu plus loin : « les peintures de mise en place, contrairement aux sculptures, ne sont pas dégradées ». Celles-ci sont en effet complètement contradictoires, puisque nous aurions « des peintures extrêmement lacunaires » et « peu lisibles » mais qui « ne sont pas dégradées » !

En réalité, si les peintures sont extrêmement lacunaires en effet, les photos que nous avons publiées ou que publie la DRAC sur son site montrent qu’une d’entre elles au moins est parfaitement conservée.
Nous n’avons évidemment jamais prétendu qu’une dépose de peintures murales serait une opération anodine et qu’il ne fallait pas des circonstances particulières pour la mettre en œuvre. Nous estimons (et beaucoup d’autres personnes également, restaurateurs et historiens de l’art, que nous avons interrogés) qu’elle se justifie ici et que les recouvrir à nouveau avec les sculptures n’avait rien de protecteur et pas grand-chose de réversible (car qui peut penser qu’on reviendra un jour en arrière ?). Sur la possibilité de le faire, et la conservation après dépose, nous renvoyons à notre article auquel nous n’avons rien à changer.

Que la DRAC puisse se satisfaire de photographies en haute définition plutôt que de la conservation des œuvres originales (car si elles ne sont pas définitives, elles sont bien originales, comme peut l’être une sinopia ou une esquisse préparatoire) en dit long sur la conception du patrimoine que peuvent avoir certaines personnes de la DRAC.

Didier Rykner

Notes

[1L’attribution s’était perdue et a pu être redécouverte à l’occasion de la préparation de la rétrospective.

[2Il n’en est pas propriétaire comme nous l’avions écrit par erreur, mais bénéficie d’un bail emphytéotique.

[3Rappelons que les sinopie sont les dessins préparatoires que les artistes faisaient sur un mur avant d’y peindre à fresque ; pour des raisons de conservation, ou de destruction de la fresque originale (au Campo Santo de Pise par exemple), on retrouve parfois les sinopie qui sont exposées comme des œuvres à part.

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