Fouilles archéologiques et Musée de l’Œuvre : un projet pour Notre-Dame

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Dans la brève mise en ligne le 25 mars dernier, où nous avions publié les premières images de quelques sculptures du jubé découvertes à la croisée du transept (ill. 1 et 2), nous espérions que les fouilles seraient un peu prolongées. C’est finalement ce qui a été fait, puisque le chantier a duré deux semaines supplémentaires. Nous citions par ailleurs Dominique Garcia, président de Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP), qui nous avait dit que depuis 2019 des recherches avaient été menées dans toute la cathédrale avec les technologies (radar, électromagnétisme) permettant de se faire une idée des structures ou des objets potentiellement présents dans le sol, sans résultats réellement probants. Mais comme l’explique La Croix, cela n’est pas d’une efficacité absolue : les archéologues n’avaient pas vu que des sculptures aussi importantes se cachaient à la croisée du transept, « Sans que l’on sache encore pourquoi – une hypothèse pourrait être que la forte teneur du sol en argile aurait brouillé le signal radar –, les recherches menées à la main, avec truelles et pinceaux, se sont, au contraire, révélées particulièrement riches. » C’est le moins qu’on puisse dire.


1. Vue du chantier de fouille à la croisée du transept de Notre-Dame de Paris
On distingue des fragments du jubé à droite
Photo : Didier Rykner
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L’archéologue à la tête de l’INRAP nous avait également affirmé que toutes les découvertes relatives au jubé avaient été faites. Il ne parlait cependant que de cet endroit précis, celui qu’on lui avait demandé de fouiller. Car l’INRAP ne traite en principe que d’archéologie « préventive », à savoir celle qui a lieu avant des travaux potentiellement destructeurs. Mais comme l’a révélé Le Canard enchaîné du 6 avril dernier : « les scientifiques estiment que plus de la moitié des restes de l’ancien jubé dorment dans des zones pour l’instant inaccessibles », une information confirmée par Le Monde notamment.


2. France, deuxième tiers du XIIIe siècle
Fragment du jubé de Notre-Dame
Photo : Didier Rykner
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Si les zones sont inaccessibles, c’est qu’elles sont pour l’instant recouvertes d’échafaudages qui consolident la cathédrale (ill. 3) et permettront de restaurer la voûte. Mais que se passera-t-il à la fin des travaux, lorsque ces structures seront enlevées, alors que la seule idée d’Emmanuel Macron est d’ouvrir la cathédrale au public le plus rapidement possible, dès avril 2024, date officiellement annoncée et sur laquelle il n’est pour l’instant pas question de revenir. Ni l’établissement public, qui fait ce que le président de la République lui ordonne, ni l’INRAP, autre établissement public du ministère de la Culture, lui aussi le doigt sur la couture du pantalon et qui n’a pas vocation à intervenir là où les restes archéologiques ne sont pas menacés, ne sont responsables de la décision de mener ces fouilles après la fin des travaux de restauration de la voûte. Celle-ci relève bien de l’État, du ministère de la Culture et surtout du président de la République.


3. Vue des échafaudages de la nef, prise de la croisée du transept
Photo : Didier Rykner
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Disons-le tout net : ne pas profiter de l’opportunité exceptionnelle qui nous est offerte pour retrouver tous les éléments du jubé serait inacceptable. Des fouilles comme celle-ci sont impossibles à mener de front avec l’exercice du culte et les visites touristiques. Si l’on ne profite pas de l’occasion, elle n’auront jamais lieu, en tout cas pas avant un siècle ou deux. Les quelques mois de délai et les moyens nécessaires pour mener à bien ces fouilles complémentaires, notamment dans le chœur, doivent être pris. Ils le seront d’ailleurs, car l’inverse semble impossible tant les voix qui se font déjà entendre sont fortes et le seront évidemment toujours davantage au fur et à mesure que le temps passera.


4. France, deuxième tiers du XIIIe siècle
Fragment du jubé de Notre-Dame
Photo : Denis Gliksman/INRAP
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Ces découvertes déjà effectuées (ill. 4), et celles à venir, posent la question du devenir des œuvres. Leur nombre empêche déjà d’envisager une conservation pérenne au Musée de Cluny qui vient d’ailleurs de refaire sa muséographie (il souhaiterait en revanche organiser une exposition temporaire faisant le point sur ces découvertes). La même question se pose pour le Louvre qui n’a pas vocation à recueillir tout ce qui concerne Notre-Dame. En réalité, l’unique solution possible, souhaitable, et même indispensable serait la création de ce grand Musée de l’Œuvre dont rêvent tous les amoureux du patrimoine et des musées. Nous avions conclu notre précédent article en regrettant que le ministère de la Culture et la mairie de Paris ne le demandent pas. Cela semble erroné : Le Canard Enchaîné, toujours lui, a en effet écrit que cette idée ne laisserait « indifférents ni le ministère, ni le clergé, ni la Mairie de Paris ». Si tel est le cas, ceux-ci devraient s’exprimer haut et fort dès maintenant, car en revanche l’Assistance publique et son directeur général Martin Hirsch souhaitent clairement maintenir leur projet confié au promoteur Novaxia.


5. France, XVIIIe siècle
La nef de Notre-Dame à la fin du XVIIIe siècle
Huile sur toile - 71 x 91,5 cm
Société des amis de Notre-Dame de Paris
Charenton, Médiathèque de l’architecture et du patrimoine
Photo : Société des amis de Notre-Dame de Paris/B. Colly
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6. France, vers 1780
Intérieur de Notre-Dame à la croisée du transept
Huile sur toile - 47 x 58 cm
Société des amis de Notre-Dame de Paris
Charenton, Médiathèque de l’architecture et du patrimoine
Photo : Société des amis de Notre-Dame de Paris/B. Colly
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Les collections de ce musée sont toutes trouvées : outre les sculptures du jubé, il pourrait accueillir les œuvres de l’ancien Musée de Notre-Dame appartenant à la Société des amis de Notre-Dame de Paris, fermé définitivement il y a plusieurs années, dont une grande partie est aujourd’hui conservée à la Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine (ill. 5 et 6), mais aussi quelques-uns des Mays qu’Arras ni le Louvre ne pourront jamais présenter (voir l’article), un ou deux des grands tableaux du chœur (celui de Jean Jouvenet, Le Magnificat) y restera, et un autre sera sans doute exposé au Musée du Grand Siècle… De nombreuses œuvres en lien avec la cathédrale sont également dans ses tribunes, et dans différentes réserves, et ce nouveau musée pourrait bénéficier de dépôts d’autres institutions. Ce n’est pas la matière qui manque, c’est la volonté. Là encore, nous militerons âprement pour que ce musée voit le jour.

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