De Tiepolo à Solimena...

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Estimé 500 à 700 000 €, le modello de Francesco Solimena (ill. 1) que vendait Tajan aujourd’hui (voir la brève du 21/6/22) est finalement monté jusqu’à 1 million d’euros, prix marteau, soit 1 207 500 € avec les frais. Un prix élevé certes, mais certainement pas déraisonnable pour un chef-d’œuvre de la peinture baroque napolitaine par un de ses plus grands représentants. Un excellent état de conservation et une provenance française venaient encore ajouter à l’importance d’une œuvre préparatoire pour le décor de la sacristie de l’église San Domenico Maggiore de la ville.


1. Francesco Solimena (1657-1747)
Le Triomphe de la Foi sur l’Hérésie par l’intercession des Dominicains, vers 1704-1705
Huile sur toile - 229,5 x 93 cm
Vendu chez Tajan, à Paris le 22 juin 2022
Photo : Cabinet Turquin
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Contrairement à ce que certains semblent penser, nous ne sommes pas des extrémistes du classement Trésor national. Cette œuvre aurait pu se voir refuser son certificat d’exportation, mais il était tout simplement possible, et certainement souhaitable, de simplement la préempter en laissant jouer le jeu des enchères. Car même si les goûts peuvent être discutés, il est certain que ce tableau était la redécouverte la plus importante de ces derniers mois, et que son acquisition pour un musée français s’imposait. Compte tenu du prix d’adjudication, ce musée aurait sans nul doute dû être le Louvre, à moins que le ministère de la Culture ne se décide à aider davantage les musées de province.


2. Giambattista Tiepolo (1696 - 1770)
Junon au milieu des nuées, vers 1735
Fresque transposée sur toile et montée sur bois - 350 x 210 cm.
Paris, Musée du Louvre
Photo : RMN-GP/H. Lewandowski
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Penser qu’une œuvre ruinée et sans intérêt de Giovanni Battista Tiepolo (ill. 2) a été acquise pour 4,5 millions d’euros et que ce Solimena n’a pas suscité l’intérêt du département des peintures du Louvre laisse pantois. On nous rétorquera probablement que ce musée possède déjà plusieurs œuvres du même artiste dont un grand modello, celui représentant Héliodore chassé du temple préparatoire pour le revers de la façade de l’église du Gesù Nuovo, également à Naples. Et alors ? C’est probablement cette même mentalité, comparable à celle de philatélistes sans envergure qui ne pensent qu’à boucher des cases dans leur album, qui a fait acheter un grand décor de Tiepolo qui manquait au Louvre, fût-il moche et en mauvais état, et qui empêche aujourd’hui de faire rentrer dans ce musée une œuvre qui y avait complètement sa place. Curieusement, ce n’est d’ailleurs valable que pour la peinture étrangère : pour les œuvres françaises, on ne craint pas d’accumuler les tableaux de certains artistes, parfois sans réelle justification.

Nous critiquons rarement les acquisitions des musées parce qu’il s’agit d’un domaine où le consensus est difficile à trouver, et qu’il ne faut pas décourager ce type d’initiative. Le Tiepolo est une des exceptions tant son achat est scandaleux, sans compter que s’il est accroché dans le musée, il viendra prendre la place de beaucoup d’autres œuvres beaucoup plus intéressantes [1] Mais une collection se caractérise également par les choix en creux, ceux des œuvres qu’on préfère ne pas acheter. Et à la longue litanie des chefs-d’œuvre qui auraient dû être acquis et qui ne le sont pas doit désormais s’ajouter ce tableau de Solimena.

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