Coupes d’arbres à la tour Eiffel : petite étude de texte

Hier, dans l’émission C à Vous, Emmanuel Grégoire opérait un rétropédalage en règles à propos de l’abattage des arbres au pied de la tour Eiffel, prévu dans le cadre du projet dont nous parlions dans cet article, que nous abordons également dans notre livre La Disparition de Paris et dans un article publié hier sur le site du Figaro.
Voilà, en deux plans ce qui attendait le site après les travaux prévus par la mairie. Le premier schéma (ill. 1) est issus de SOS Paris et montre les endroits qui doivent être construits, le deuxième (ill. 2), que l’on doit à Quentin Divernois, les arbres qui devaient être coupés.


1. Plan des aménagements
projetés autour de la tour Eiffel
(Gustafson Porter + Bowman),
le mur de verre déjà existant est
souligné en orange, et les bâtiments prévus en rouge par SOS Paris
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2. Plan du jardin autour de la tour Eiffel avec les arbres qui devaient être coupés soulignés en rouge par Quentin Divernois
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Ce qu’a dit le premier adjoint de la maire de Paris à cette occasion mérite d’être examiné attentivement car il s’agit véritablement d’un chef-d’œuvre [1].

« On a bien vu que ce sujet de sensibilité aux coupes d’arbres était important, c’est tout l’objet de la concertation de l’écouter et de le prendre en compte, et donc d’ores et déjà on a sur les 42 arbres qui étaient anticipés pour être coupés baissé ce chiffre à 22 et avec la maire de Paris nous avons réorienté le travail des équipes pour faire en sorte qu’il n’y ait aucun arbre abattu. C’est un peu la philosophie de l’urbanisme que nous portageons, c’est de s’adapter aux contraintes, s’adapter à la nature plutôt que l’inverse. Ce n’est pas forcément dans le logiciel habituel de l’aménagement urbain. Il y aura des sacrifices à faire et clairement ce ne sont pas les arbres qui en seront victimes, les arbres seront sauvés ».

Une explication de texte est donc nécessaire :

« On a bien vu que ce sujet de sensibilité aux coupes d’arbres était important » : les coupes d’arbres ne sont pas un « sujet de sensibilité » (sic). C’est un sujet majeur de la politique de la municipalité parisienne qui procède à des coupes d’arbres massives partout, et en permanence. Si ceux du Champ-de-Mars seront peut-être sauvés, qu’en est-il de ceux de la porte de Montreuil, où 76 platanes en parfaite santé ont été abattus pour un projet immobilier et où d’autres suivront bientôt ? Cette véritable déforestation urbaine est un classique de la Ville de Paris dirigée par Anne Hidalgo. Il suffit d’aller voir sur Google Earth pour découvrir l’ampleur de ce massacre, dont certains sont documentés sur Twitter avec le hashtag #deforestationurbaine.

« c’est tout l’objet de la concertation de l’écouter et de le prendre en compte » : il faut un sacré culot pour oser prétendre que la Mairie de Paris pratique la concertation. Vue par elle, la concertation se passe ainsi : vous êtes d’accord, elle y va ; vous n’êtes pas d’accord, elle y va quand même. Et c’est exactement ce qui s’est passé au Champ-de-Mars où une « concertation » très large a eu lieu, via l’enquête publique. Celle-ci a été sans aucune ambiguïté : 90 % des participants rejetaient le projet. Vous n’en voulez pas ? On le fera quand même a poursuivi sans hésiter la mairie, faisant ainsi un grand bras d’honneur aux Parisiens. En réalité, comme l’a démontré cette affaire, seule la médiatisation, et mieux encore la reprise par des personnalités médiatiques (Hugo Clément, Guillaume Canet, Nagui, Guillaume Gallienne…), ainsi qu’une pétition largement diffusée qui dépasse désormais les 110 000 signatures les ont convaincus de faire marche arrière.

« donc d’ores et déjà on a sur les 42 arbres qui étaient anticipés pour être coupés baissé ce chiffre à 22 » : oui, le rétropédalage est un art en plusieurs temps. Emmanuel Grégoire a d’abord assuré qu’aucun arbre « centenaire  » ne serait abattu, feignant de croire que le problème ne concernait pas tout le projet et sous-entendant ainsi que la coupe d’arbres non centenaires était acceptable.

« avec la maire de Paris nous avons réorienté le travail des équipes pour faire en sorte qu’il n’y ait aucun arbre abattu » : cette phrase est particulièrement intéressante. Il serait donc possible de mettre en œuvre leur projet sans couper d’arbres, et pourtant c’est ce qu’ils s’apprêtaient à faire. Dans quel but ? On pourrait croire d’ailleurs à lire cela (« avec la maire de Paris ») qu’Emmanuel Grégoire et Anne Hidalgo sont les sauveurs des arbres puisqu’ils ont choisi de « réorienter » le travail de leurs équipes. Rappelons que les coupes devaient avoir lieu dans les semaines à venir ! Et remarquons que cette « réorientation » a été faite sans aucune concertation avec les associations (Amis du Champ-de-Mars, France Nature Environnement, SOS Paris…). Bizarre pour une mairie si éprise de « concertation ».

« C’est un peu la philosophie de l’urbanisme que nous partageons, c’est de s’adapter aux contraintes, s’adapter à la nature plutôt que l’inverse » : nous renvoyons au début de notre analyse pour comprendre combien cette phrase est surréaliste. Pompidou voulait adapter Paris à la voiture (sa mort nous a permis d’échapper à cette catastrophe), Hidalgo et Grégoire adaptent Paris à la promotion immobilière, et ils prétendent que la nature est prioritaire. La seule nature qui semble les intéresser, ce n’est pas celle qui existe encore à Paris et qu’il faudrait conserver, entretenir, et développer là où c’est possible et souhaitable. Celle qu’ils défendent, c’est la nature qu’ils installent aux pieds des arbres (avec le succès que l’on sait - ill. 3), les toits végétalisés au-dessus des immeubles qu’ils laissent construire sur de vrais jardins, les forêts urbaines où les arbres dépériront avant d’avoir poussé ou ceux que l’on veut planter devant des monuments historiques et qui en cacheront les façades (comme sur la place de la Concorde).

« Ce n’est pas forcément dans le logiciel habituel de l’aménagement urbain. » : oui, c’est exact, cela n’a rien à voir avec leur logiciel…

« Il y aura des sacrifices à faire et clairement ce ne sont pas les arbres qui en seront victimes, les arbres seront sauvés » : s’il s’agit de sacrifier des bagageries, des restaurants et boutiques de souvenirs et des bureaux au pied de la tour Eiffel, ce sacrifice ne nous pose à vrai dire aucun problème. Il suffit de regarder lesvisuels diffusés par SOS Paris pour comprendre que ces constructions auront un fort impact négatif, non seulement sur la végétation, mais aussi sur les perspectives vers la tour Eiffel. Comment l’architecte des bâtiments de France a-t-il pu les valider reste une vraie question.

Mais qu’en est-il en réalité ? Faut-il croire Emmanuel Grégoire ? On nous permettra d’en douter. C’est bien tout le projet pompeusement appelé « projet OnE » qui doit être remis en cause. Rejeté par une très grande majorité de Parisiens, affreusement coûteux alors que la dette de la Ville devient abyssale, ce chantier est la dernière chose dont ont besoin le Champ-de-Mars et la tour Eiffel. Ce que nous voulons, c’est l’enlèvement du mur de verre qui ne protège en rien du terrorisme (voir notre article) mais défigure les lieux et empêche de se promener librement dans les jardins entourant le monument, c’est l’entretien du Champ-de-Mars, la remise en état des pelouses et des fontaines et le retour de la sécurité dans un lieu fréquenté désormais par les vendeurs à la sauvette et les joueurs de bonneteau… Et bien entendu, sans les grilles que voudrait instaurer Rachida Dati (une grille pour rendre plus sûr le mur de verre antiterroriste sans doute ?).


3. Platane bicentenaire menacé par une construction trop proche de lui qui endommagera irréversiblement son réseau racinaire
Photo : Tangui Le Dantec/FNE
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4. Tangui Le Dantec, spécialiste des arbres et membre de France Nature Environnement
expliquant pourquoi certains d’entre sont menacées par les constructions, même si on ne les coupe pas
Photo extraite d’une vidéo
de Charlotte Rocher, à voir ici
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Cette affaire est loin d’être terminée : nous ne croyons pas Emmanuel Grégoire, et nous ne croyons pas qu’on peut en un claquement de doigts revoir un projet qui, même sans couper d’arbres, en mettra plusieurs en danger. Les constructions en menacent en effet plusieurs, dont un magnifique platane bicentenaire qui a vu construire la tour Eiffel (ill. 3), car elles sont trop près d’eux et détruiront leur réseau racinaire (ill. 4). Comme vient de le démontrer Tangui Le Dantec dans un fil Twitter, plusieurs d’entre eux ont déjà dépéri et ont été supprimés à la suite des travaux déjà menés au Champ-de-Mars. Nous publions ici un exemple qu’il donne (ill. 5 à 8). Une fois de plus, Google Streets s’avère un outil indispensable pour montrer les méfaits de cette mairie.


5. Sophora vieux de plus de cent ans, qui se trouvait près de la tour Eiffel, en 2015
Photo : Google Streets, tweetée par Tangui le Dantec
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6. Le même arbre, pendant les travaux de construction du mur de verre
Photo : Google Streets, tweetée par Tangui le Dantec
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7. Le même arbre mourant à cause des travaux du mur de verre, qui a abîmé ses racines au printemps 2019
Photo : Google Streets, tweetée par Tangui le Dantec
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8. Après la coupe du sophora. Il est vrai, pour reprendre les arguments de la Ville de Paris, qu’il était dépérissant...
Photo : Google Streets, tweetée par Tangui le Dantec
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Nous sommes trop habitués aux fausses promesses de la mairie pour ne pas être circonspects. Méfiance donc, et continuons à signer la pétition que l’on trouve ici et dont le nombre de signature sdépasse, à l’heure où nous mettons en ligne cet article, les 115 000.

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