Comment l’Académie des Beaux-Arts bafoue le legs de Paul Marmottan

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1. Le Musée Marmottan à Paris
Photo : Didier Rykner
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La nomination de Patrick de Carolis à la tête du Musée Marmottan (ill. 1) donne une actualité particulière à la parution de cet article que nous préparions depuis plusieurs mois, sur la manière dont l’Académie des Beaux-Arts gère l’héritage extraordinaire que lui a légué Paul Marmottan. Car l’arrivée d’un nouveau directeur doit faire espérer que les dérives – un euphémisme - que l’on constate désormais depuis de nombreuses années, et que personne jusqu’à présent n’a jamais dénoncées, vont enfin cesser.

Certes, Patrick de Carolis n’a a priori aucune formation pour diriger un musée et il serait souhaitable qu’un jour l’Institut se décide à cesser cette tradition absurde d’élire en son sein le directeur d’un musée. Mais, dans ces conditions, ce choix était le seul qui s’imposait. Deux candidats s’étaient en effet présentés contre lui. Le premier, le peintre Pierre Carron, est né en 1932. Il avait abandonné juste avant l’élection comme l’a révélé Le Figaro. Le second, Antoine Poncet, qui était resté en lice, est né en 1928 ! Et sa visite récente au musée était particulièrement édifiante : il se contenta d’aller visiter le pavillon du jardin (ill. 2) qui fait office de logement de fonction. Il devait penser sans doute que le Musée Marmottan est une maison de retraite de luxe. Est-il normal que l’Institut ne précise pas dans ses statuts de limite d’âge ni de compétence particulière pour présider à la gestion d’un tel établissement ?

2. Pavillon dans le jardin du Musée Marmottan
Aujourd’hui utilisé comme logement de fonction
Photo : Didier Rykner
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Pour rédiger cet article, nous avons demandé, à plusieurs reprises, à rencontrer Arnaud d’Hauterives, secrétaire perpétuel de l’Académie des Beaux-Arts, qui tient la haute main sur ces deux institutions que sont le Musée Marmottan et la Bibliothèque Marmottan de Boulogne-Billancourt réunis au sein de la Fondation Marmottan, et est à ce titre le premier responsable de ce que nous révélons ci-dessous. Cela nous a été constamment refusé. Malgré nos multiples requêtes, il ne nous a pas davantage permis d’accéder au testament de Paul Marmottan conservé par l’Institut. En dépit de cela, nous avons pu en consulter des copies partielles qui sont déjà suffisamment édifiantes.
Nous avions pu parler par téléphone avec Jacques Taddéi, le précédent directeur, peu avant son décès en juin dernier mais depuis, malgré nos nombreuses tentatives, nous n’avons pas davantage eu la possibilité de rencontrer les responsables par intérim du musée. En revanche, l’adjointe au maire en charge de la Culture de la ville de Boulogne a accepté de répondre à nos questions. A l’heure où arrive un nouveau directeur, on doit rappeler comment l’Académie des Beaux-Arts, et son responsable principal, Arnaud d’Hauterives, ont traité le Musée et la bibliothèque Marmottan. Il est en effet temps que ces deux institutions soient respectées et que la mémoire du généreux donateur cesse d’être bafouée comme elle l’a été depuis des années.

Les statuts de l’Académie des Beaux-Arts définissent ainsi sa mission : « Contribuer à la défense et à l’illustration du patrimoine artistique de la France, ainsi qu’à son développement, dans le respect du pluralisme des expressions ». C’est peu dire, hélas, que cette vocation a été largement dévoyée. Le traitement réservé au legs de Paul Marmottan, que celui-ci avait consenti à l’Institut en espérant qu’il serait ainsi préservé au profit des générations futures, le prouve.

Les ventes d’objets du musée Marmottan

Nous avions, il y a plusieurs années, dénoncé la vente en catimini d’un mobilier appartenant au musée. Nous avons appris depuis qu’elle n’était pas la première. C’est ainsi à une véritable mise à sac du musée que s’est livré, pendant plusieurs années, l’Académie des Beaux-Arts sous la responsabilité d’Arnaud d’Hauterives.

Seule la première vente dont nous avons pu retrouver la trace, qui date de 1970, ne peut être imputée à l’actuel secrétaire perpétuel. En revanche, elle contient en germe la procédure qui sera reprise à chaque fois. Le 4 mars 1970 en effet, lors de la séance de la Commission administrative de l’Académie des Beaux-Arts, le « conservateur » du musée, l’architecte Jacques Carlu, explique que : « Dans les dépendances du Musée est entreposé un mobilier en très mauvais état, dont la réparation entraînerait des frais d’ébénisterie d’au moins 10 000 Frs, et ne présentant aucun intérêt pour les collections du Musée ».
Ces arguments seront repris à chaque fois : du mobilier sans intérêt et en mauvais état est entreposé dans les réserves du musée, on peut donc s’en débarrasser à bas prix. Il est difficile de dire si les œuvres alors cédées, pour 11 000 F, directement à un particulier qui avait fait une offre, sont ou non importantes [1]. Lorsque l’on voit ce qui sera cédé plus tard, dans les mêmes conditions, on peut en douter fortement.

Près de trente ans après, en 1998 (Arnaud d’Hauterives est secrétaire perpétuel depuis deux ans), est proposée à la Commission Administrative de l’Académie des Beaux-Arts une nouvelle vente. Les arguments sont imparables : « Des meubles provenant du legs Paul Marmottan, mais qui avaient été acquis par Jules Marmottan encombrent nos réserves. D’une part, ces meubles, qui sont des copies tardives dans les styles Louis XIII et Louis XIV, n’ont rien à voir avec les collections du musée et ne sont pas dignes d’être exposés. D’autre part, conservés depuis des années dans les réserves, ils sont abîmés et continuent de s’abîmer. Aussi nous sollicitions de la Commission Administrative de l’Académie des Beaux-Arts l’autorisation de placer ces meubles dans une vente aux enchères et d’utiliser la recette de cette vente pour restaurer des meubles empire du musée que nous désirons exposer dans les salles. »

Les justifications sont donc identiques à celles utilisées en 1970, mais apparaît un nouvel argument, supposément vertueux : la recette de la vente serait utilisée pour restaurer du mobilier du musée. Il sera repris systématiquement par la suite, sans que les restaurations en question puissent être aussi bien tracées. Il est dommage qu’Arnaud d’Hauterives, qui est cité explicitement comme à l’origine de la vente, ait refusé de répondre à nos questions. Il aurait pu nous expliquer exactement à quoi avait servi cet argent.
Les seules œuvres sauvées de la vente furent six fauteuils de style Régence qui furent mis en dépôt au Musée Jacquemart-André.
La liste des meubles vendus est cette fois beaucoup plus longue, et elle précise à chaque fois le numéro d’inventaire, ce qui prouve qu’il s’agit bien d’œuvres du musée. L’inaliénabilité, l’Académie des Beaux-Arts n’en a manifestement jamais entendu parler. On y trouve notamment : « un fauteuil de bureau signé Jacob vers 1830 en noyer. Siège Canné. Inv. 794 », estimé à 25.000 F, ce qui fait en monnaie constante près de 5000 euros d’aujourd’hui. Pas si mal, pour un fauteuil sans intérêt, et sachant, on le verra plus loin, que les estimations de ces ventes sont systématiquement très sous-évaluées ce qui implique des prix de réserve très bas. On y trouve aussi, parmi un grand nombre de meubles qualifiés « de style » (sans que l’on puisse vérifier désormais si cette mention est exacte) et « un lit empire en bois blanc. Inv. 1165 » estimé 10.000 F, « une console Louis XV en bois sculpté à dessus de marbre. Inv. 290 », estimée 15.000 F. En tout, 25 lots, dont certains composés de plusieurs meubles, qui passeront aux enchères sous le marteau de maître Binoche le 17 juin 1998, à l’Hôtel Drouot.

Il aurait été dommage de s’arrêter là. Moins d’un mois plus tard, de nouveaux meubles « appartenant aux collections du Musée Marmottan » (c’est Marianne Delafond, alors conservateur du musée, qui l’écrit ainsi) sont déposés dans un local appartenant à l’étude Binoche, sans doute à des fins d’expertise et de vente. Nous ne savons pas ce qu’est finalement devenu ce mobilier, qui sera repris un an et demi plus tard par le Musée Marmottan qui devra à cette occasion payer pas moins de 8 683 F en frais de magasinage et de livraison !

Le 24 avril 2001, une opération identique, mais de plus grande envergure, est à nouveau mise en place : dans une lettre à Arnaud d’Hauterives signée du directeur du musée, alors Jean-Marie Granier, on apprend en effet qu’ : « Un mobilier en très mauvais état est actuellement entreposé dans le petit pavillon du musée. Il ne présente pas d’intérêt pour les collections du musée et s’abîme un peu plus chaque jour. […] Je souhaiterais obtenir de la commission administrative l’autorisation de procéder à une vente de ce mobilier par l’intermédiaire d’un commissaire priseur et d’utiliser la recette de cette vente pour restaurer des meubles empire du musée que je désire exposer dans les salles. »
Arnaud d’Hauterives aurait pu crier au pastiche, les arguments et les expressions sont les mêmes que ceux qu’il avait utilisés deux ans plus tôt.

La vente est cette fois nettement plus ambitieuse. Le mobilier « sans intérêt pour les collections du musée » est par exemple constitué d’un « retable en bois sculpté polychrome […] éléments anciens remontés au XIXe siècle » estimé 15 000 F et d’un autre retable « en bois sculpté polychrome représentant une scène biblique », estimé 8 000 F. Plusieurs statues, des lustres, des armes anciennes, de nombreux sièges, des tables, des coffres… A l’origine constituée de 63 lots (dont certains comprennent plusieurs objets), elle sera un peu réduite par le dépôt à l’Académie de quelques meubles. Quant à un lot de mobilier de salon en bois naturel sculpté estimé 20 000 F et composé d’une part de deux chaises, deux fauteuils et un canapé Louis XV et d’autre part de meubles « de style », la commission des Beaux-Arts du 10 juillet, qui a la fibre commerciale, décide de « le scinder en deux proposant le mobilier d’époque d’une part et de style d’autre part »

Le tout sera vendu pour un montant total de 553 600 F par Etienne Jonquet le 6 décembre 2001 à Boulogne-sur-Seine, les deux retables dont nous parlions plus haut, « sans intérêt pour le musée », ayant atteint respectivement les sommes de 20 000 et surtout 152 000 F !

Le 13 octobre 2004, la mauvaise plaisanterie recommence : la Commission administrative des Beaux-Arts autorise à nouveau à procéder à une vente de meubles et d’objets mobiliers du musée. « Ces meubles et objets mobiliers, entreposés dans le petit pavillon du Musée, seraient vendus car leur état et les choix muséologiques engagés depuis plusieurs années ne justifient pas leur conservation dans les réserves du Musée. Le produit de cette vente, réalisée en salles des ventes, permettrait de restaurer d’autres meubles, de grande qualité, qui pourraient ainsi être exposés dans de meilleures conditions. » Arnaud d’Hauterives confirme cette autorisation à Jean-Marie Granier par un courrier daté du 27 octobre.


3. France, vers 1800 ?
Athéna
Bronze - H 90 cm
Vendu par le Musée Marmottan le 7/4/05
Photo : Christie’s
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Cette nouvelle vente, celle dont nous avions déjà parlé, sera effectuée par Christie’s le 7 avril 2005 (lots 625 à 713). Une fois de plus, on monte en gamme puisque l’on y trouve de très nombreux objets importants dont certains sont aujourd’hui conservés dans de grandes collections parisiennes ou se trouvent encore sur le marché comme la Minerve (ill. 3) dont nous parlions dans un article précédent. La vente rapportera au total 257 085 euros soit plus de trois fois le montant de la précédente. Le catalogue est encore disponible sur internet (le lien conduit vers le premier lot concernant Marmottan, il suffit de cliquer sur Next pour voir les suivants), il permettra ainsi de se faire une idée de ce que l’Académie des Beaux-Arts a osé vendre, contribuant ainsi à « la défense et à l’illustration du patrimoine artistique de la France ».


4. Mobilier de salon d’époque Directoire
Estampillé G. Jacob
Vendu par le Musée Marmottan le 7/4/05
Photo : Christie’s
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5. Chaises d’époque Empire
Estampillées Jacob D. R. Meslee
(d’un ensemble de cinq)
Vendues par le Musée Marmottan le 7/4/05
Photo : Christie’s
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On trouvait notamment un mobilier de salon d’époque Directoire estampillé par G. Jacob (ill. 4 ; lot 665), cinq chaises d’époque Empire, estampillées Jacob D. R. Meslee (ill. 5 ; lot 668 ), trois chaises d’époque Louis-Philippe estampillées Jacob (ill. 6) ; lot 666), et beaucoup d’autres meubles de grande qualité datant de la fin du XVIIIe et de la première moitié du XIXe siècle. On aimerait savoir comment « les choix muséographiques » du Musée Marmottan peuvent se passer d’un tel mobilier lorsque l’on connaît les goûts de Paul Marmottan. Il est vrai que depuis quelques années, le nom de l’établissement est devenu officiellement « Musée Marmottan Monet » et on peut imaginer que si l’Académie pouvait enlever le patronyme encombrant qui précède celui du peintre impressionniste, elle le ferait.


6. Trois chaises d’époque Louis-Philippe
Estampillées Jacob
Vendues par le Musée Marmottan le 7/4/05
Photo : Christie’s
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7. Deux sculptures en marbre
XVIIe siècle (?)
Vendues par le Musée Marmottan le 7/4/05
Photo : Christie’s
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Parmi les sculptures, on remarquera « deux statues en marbre blanc représentant chacune un évêque » (ill. 7) sans davantage de précisions, mais qui semblent d’excellente qualité.

Suite à notre article sans doute, qui cette fois médiatisait (trop tard hélas) cette vente scandaleuse, et appelait le ministère de la Culture à réagir, la direction des musées de France se manifestait pour la première fois. Un courrier de Francine Mariani-Ducray adressé à Arnaud d’Hauterives s’étonnait en effet de cette vente sans que ses services n’aient été prévenus. Elle nous apprend surtout qu’« un certain nombre de pièces […] estampillées Jacob, ou Jacob Desmalter […] provenaient de palais royaux et impériaux (Palais des Tuileries, Château de Fontainebleau) ».
Nous n’avons pas identifié quel était le mobilier des Tuileries. En revanche, il semble que le mobilier de salon que nous avons illustré plus haut (ill. 4) soit celui qui venait du château de Fontainebleau.


8. Vue ancienne d’une salle du Musée Marmottan
Le lit d’époque Empire fait partie de la vente Christie’s
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9. Lit d’époque Empire
Vendu par le Musée Marmottan le 7/4/05
Photo : Christie’s
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10. Vue ancienne d’une salle du Musée Marmottan
Les chaises à droite ont été vendues en 2005
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Le 2 juin, Arnaud d’Hauterives répondait à la directrice avec un aplomb sans faille que le mobilier vendu n’était pas inscrit au catalogue (ce qui est faux), et qu’il n’avait jamais été exposé, ce qui est un mensonge éhonté comme le prouvent les exemples suivantes. On distingue en effet - et ce ne sont que deux exemples - sur une photographie ancienne d’une salle du Musée Marmottan (ill. 8), le lit Empire vendu par Christie’s sous le numéro 652 (ill. 9), et sur une autre représentant un « salon rond Directoire » (ill. 10), on distingue très clairement deux des chaises du mobilier de Georges Jacob pour Fontainebleau (ill. 4). En réalité, tout le mobilier vendu par Christie’s a été, à un moment ou à un autre et parfois récemment, exposé dans le musée.
Le secrétaire perpétuel ajoute que rien ne l’obligeait à prévenir le ministère de la Culture et que « [le] seul souci [de l’Académie des Beaux-Arts était] de pourvoir à [son] obligation principale : pérenniser les meubles et bibelots de valeur en utilisant les fonds réunis par la vente pour leur restauration. » Pérenniser les meubles de valeur surtout en les vendant. Rien n’indique d’ailleurs, une fois de plus, que l’argent réuni ait servi à de quelconques restaurations.

Les volontés de Paul Marmottan bafouées par l’Académie

Lors de notre premier article, nous nous interrogions sur l’inaliénabilité ou non de la collection du Musée Marmottan. Sur le fonds, nous n’avons toujours pas réussi à répondre à cette question. Mais si l’établissement n’est pas « musée de France », ce qui rendrait ipso facto ses collections inaliénables, on peut douter que Paul Marmottan ait, en léguant ses œuvres, autorisé implicitement qu’elles soient vendues.

On comprend qu’Arnaud d’Hauterives ne nous ait pas autorisé à lire le testament de Paul Marmottan qui pourtant, établi depuis plus de 70 ans, peut parfaitement être rendu public. Si nous n’avons pas retrouvé le notaire en charge de celui-ci et si une interrogation rapide du minutier-central ne nous a pas encore permis de le localiser, nous avons pu consulter, à la Bibliothèque Marmottan, la partie consacrée à celle-ci (sur laquelle nous revenons plus loin).

Nous avons aussi pu prendre connaissance d’un projet de testament de Paul Marmottan où il écrit très précisément : « Aucun tableau d’art ou objet de même nature provenant de ma libéralité ne pourra à tout jamais, être détruit ou vendu, ni éliminé des galeries d’exposition »
Il écrit également que le pavillon Empire situé au fond du jardin à droite (ill. 2), c’est-à-dire celui qui fait office aujourd’hui de logement de fonction, « [qui] ne se prête pas aux visites du public », mais qui conservait à l’époque « une collection de meubles et de bronzes de l’Empire » (probablement une partie de ce qui a été vendu) soit ouvert « aux artistes, [aux] amateurs éclairés et [aux] critiques d’art. » On sait ce qu’il en est.

Nous avons pu également lire, à la bibliothèque Marmottan de Boulogne (dont nous parlons plus loin) la partie du testament définitif la concernant. Il y est notamment écrit : « Je dois cependant spécifier si je ne l’ai pas déjà fait qu’à Passy [l’actuel Musée Marmottan] tout ce qui a un caractère ancien et de style doit être sévèrement contrôlé et gardé par le dit musée. » Paul Marmottan précise, et c’est à ce moment là seulement qu’il parle de meubles meublants, car il a prévu effectivement leur vente, à Boulogne et à Passy, que « le lot en dehors de cette catégorie passera aux commissaires priseurs et sera vendu sans bruit c’est à dire sans mon nom et augmentera l’actif de ma succession ».

Les volontés de Paul Marmottan étaient donc clairement exprimées : ses exécuteurs testamentaires pouvaient organiser une vente immédiatement après sa mort des meubles meublants qui n’avaient pas de caractère ancien ou de style, et tous les autres objets devaient être conservés, sans jamais être vendus.
Ces conditions furent acceptées au nom du Président de la République Française Albert Lebrun par un décret signé par le ministre de l’Education Nationale le 30 juillet 1934.

Le directorat de Jacques Taddéi

Il faut reconnaître à Jacques Taddéi, qui fut le directeur du Musée Marmottan de novembre 2007 à sa mort en juin 2012, d’avoir mis un terme à ces ventes. On peut mettre également à son crédit la création d’une société des amis du musée assez active, ou la restauration d’une partie du mobilier, soi-disant restauré auparavant grâce au produit des ventes... Il a également remis le musée sous les feux de l’actualité, mais à quel prix ?

11. Plafond découvert à l’été 2011 dans une
salle du rez-de-chaussée du Musée Marmottan
en cours de destruction
Photo : Jean-Pierre Ravignon
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En août 2011, des travaux ont été menés dans deux salles du rez-de-chaussée pour refaire les plafonds. Sous l’un d’entre eux, relativement banal, qui datait de l’époque Marmottan, a été mis au jour un très beau plafond peint de l’ancien pavillon de chasse du duc de Valmy, datant du milieu du XIXe siècle. C’était l’été, la mission de l’Académie des Beaux-Arts n’est finalement que de contribuer à la défense du patrimoine artistique, que décida-t-on ? De le détruire, purement et simplement (ill. 11 [2]). L’hôtel n’étant pas – c’est une nouvelle anomalie – protégé au titre des monuments historiques, on ne peut dire que cette destruction fut illégale. On peut en revanche affirmer qu’elle est parfaitement lamentable.
Alerté par un ami qui avait pu prendre une photo lors d’une visite du musée, nous avions eu le temps d’interroger Jacques Taddéi sur ce vandalisme lors de notre rendez-vous téléphonique. Il nous expliqua que l’installation de la nouvelle salle des miniatures de la donation Wildenstein au premier étage, avec des vitrines trop lourdes, avait nécessité de renforcer le plancher, et que la solution proposée par les architectes (pourtant responsables de ce surpoids) avait été de consolider le plafond. En le détruisant.


12. Ascenseur actuel du Musée Marmottan
En panne...
Photo : Didier Rykner
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13. Escalier principal du Musée Marmottan
Il est envisagé d’y installer un ascenseur
Photo : Didier Rykner
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Jacques Taddéi est également à l’origine de l’annexion en logement de fonction du pavillon du jardin qui n’avait jamais eu cette vocation, et qui devait au contraire être ouvert aux amateurs éclairés et aux critiques d’art. Pour s’y installer, il fit percer de nouvelles fenêtres ! Et le vandalisme devait encore continuer : alors qu’il existe déjà un ascenseur, vétuste, actuellement en panne (ill. 12), mais qu’il suffirait de réparer ou de remplacer, le précédent directeur avait l’intention, et ce projet n’a semble-t-il pas été abandonné avec sa disparition, d’installer un ascenseur dans la belle cage de l’escalier principal (ill. 13).

Le directeur du Musée Marmottan est également en charge de la fondation du même nom et garde, à ce titre, un certain pouvoir sur la bibliothèque léguée par Paul Marmottan et qui se trouve à Boulogne-Billancourt.
Les ventes successives de meubles, notamment de chaises et de fauteuils, ont fini par créer un manque au Musée Marmottan. Jacques Taddéi a alors décidé, purement et simplement, d’en « emprunter » à la bibliothèque. La galerie des estampes a ainsi été dépouillée de plusieurs chaises et fauteuils Empire, au profit du musée. Une gestion quelque peu curieuse, comme si les deux collections étaient miscibles, alors qu’elles ont été complètement séparées par la volonté du donateur.

L’avenir incertain de la bibliothèque Marmottan

14. Bibliothèque Marmottan à Boulogne-Billancourt
Photo : Didier Rykner
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La bibliothèque de Boulogne-Billancourt, construite par Paul Marmottan dans le style néoclassique, fut léguée par lui comme un établissement distinct du musée. Bien que possédant une collection importante de meubles, de tableaux, de dessins et d’estampes, datant essentiellement de l’Empire, elle n’est pas au sens strict un musée. La bibliothèque léguée à l’Académie des Beaux-Arts comporte aujourd’hui plus de 20 000 livres consacrés au Premier Empire, portant sur tous les domaines (histoire, histoire de l’art…). Certains ouvrages qu’elle conserve sont particulièrement rares (on y trouve notamment « des collections de journaux allemands, hollandais, italiens, espagnols, des recueils de différents bulletins de lois [qui] permettent de suivre l’action napoléonienne dans son souci de modernité ») et elle constitue donc un outil indispensable pour les chercheurs.

En 1996, l’Académie des Beaux-Arts signa une convention avec la ville de Boulogne-Billancourt, renouvelée en décembre 2012. Selon l’adjointe à la culture de cette ville, il ne s’agit que d’un « remodelage pour l’actualiser, lui redonner une nouvelle dimension et la faire mieux connaître ». Malheureusement, malgré notre demande, nous n’avons pu obtenir cette convention.
A l’origine, celle-ci fut très fructueuse pour la bibliothèque. Boulogne-Billancourt construisit en effet une extension moderne (ill. 14) mais édifiée avec le respect du bâtiment d’origine, qui permit de mieux accueillir le public, de construire un auditorium en sous-sol et de disposer de salles d’exposition, tout en préservant la bibliothèque de Paul Marmottan, son bureau et sa chambre qui se trouvait à l’étage, le tout entièrement meublé et qui devait rester intact. Si le premier étage est parfaitement conservé et ouvert sur demande, la chambre sert aujourd’hui de débarras et n’est pas visitable.

La ville permit alors, sous la direction scientifique de Bruno Foucart, d’ouvrir largement la bibliothèque, et d’organiser de très belles expositions en rapport avec les collections et l’esprit du lieu, comme Les Clémences de Napoléon en 2004, Brésil panoramique. Papiers peints du XIXe siècle en 2005, Lancelot-Théodore Turpin de Crissé en 2007, Charles Meynier en 2008 ou Charlet. Aux origines de la légende napoléonienne en 2009.
En 2011 encore, une exposition montrait des paysages suisses et italiens dessinés au XIXe siècle par Johann Jacob Meyer et peints par Turpin de Crissé, mis en parallèle avec des vues récentes des mêmes lieux de Dominique Laugé. Et depuis ? Plus rien. Aucune exposition digne de ce nom n’est désormais programmée.


15. Bibliothèque Marmottan
Organisation du goûter le 24 novembre 2012
Photo : Didier Rykner
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16. Séance photo (au flash) à la bibliothèque Marmottan
le 24 novembre 2012
Photo : Didier Rykner
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En novembre 2011, puis un an plus tard, le 24 novembre 2012, la ville de Boulogne-Billancourt a organisé une fête de quartier. Nous avons assisté à cette dernière, où chacun entrait sans vraiment de contrôle (alors qu’il s’agit d’un musée-bibliothèque conservant des collections insignes), où les enfants pouvaient goûter dans les salles d’exposition (ill. 15), où un photographe municipal prenait de nombreuses photographies avec flash dans des salles où se trouvaient des dessins et des gravures (ill. 16), où une borne interactive diffusait des clips promotionnels pour la ville de Boulogne (ill. 17), où dans la première salle était présenté un misérable accrochage consacré au thème de la ferme et l’exploitation du lait à Boulogne (ill. 18), tandis que des galeristes contemporains envahissaient la galerie.
Certes, des visites guidées gratuites de la bibliothèque, étaient également proposées aux visiteurs. Mais tout cela n’était pas digne du lieu.


17. Borne interactive vantant les mérites de la
ville de Boulogne-Billancourt sous les yeux de Napoléon
Bibliothèque Marmottan, 24 novembre 2012
Photo : Didier Rykner
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18. Panneau sur l’élevage laitier et hygiène public
Bibliothèque Marmottan, 24 novembre 2012
Photo : Didier Rykner
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Isaure de Beauval, maire adjoint à la Culture, défend cette opération en expliquant que « le rôle d’un élu est de faire connaître au maximum les lieux culturels » et en affirmant que « l’opération a été très bénéfique, nous avons associé les galeristes du quartier qui ont pu entrer dans ce lieu qu’ils ne connaissent pas. C’est un public nouveau ».
Il est fort louable de vouloir faire mieux connaître un musée, ou une bibliothèque à un nouveau public. A deux conditions toutefois. Il faudrait d’abord que celui auquel il est d’abord destiné puisse s’y rendre effectivement. Or, l’absence d’un programme d’exposition et surtout la fermeture quasi permanente de la bibliothèque est particulièrement gênant pour les amateurs et les chercheurs. Depuis juin 2010 et le départ à la retraite du bibliothécaire (qui aurait pu rester deux ans de plus et qui n’a pas été remplacé depuis), la bibliothèque n’est ouverte que deux après-midi par semaine [3]. A quoi sert de faire venir un public nouveau lorsque l’on n’est pas capable d’accueillir l’ancien, lecteurs et visiteurs [4].
Ensuite, cela ne doit pas se faire n’importe comment. Organiser des visites guidées et gratuites de la bibliothèque est parfaitement louable, mais ce n’est pas le lieu d’y organiser des fêtes de quartier.


19. Pavillon dans le jardin de la
bibliothèque Marmottan
Photo : Didier Rykner
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La galerie des estampes se trouve au rez-de-chaussée d’un autre bâtiment, situé dans le jardin (ill. 19). Son aménagement par Paul Marmottan est conservé intact – à l’exception du mobilier confisqué par Jacques Taddéi pour le Musée Marmottan - avec ses tableaux accrochés au mur à touche-touche et avec son grand meuble en bois de huit mètres de long au centre de la salle qui abrite les précieuses œuvres graphiques.
Le reste de cette dépendance était affecté au logement du directeur scientifique. Depuis le départ de Bruno Foucart, celui-ci est vide, et l’adjointe à la Culture souhaite installer sa permanence au rez-de-chaussée et au premier étage semblant considérer qu’il s’agit d’un bâtiment municipal comme les autres. On peut s’interroger sur la pertinence de cette destination, on peut surtout s’inquiéter pour la sécurité du bâtiment. Madame de Beauval nous a certifié que l’accès à la galerie des estampes sera fermé, ce dont nous ne doutons pas sans que cela nous rassure outre-mesure.

Une bibliothèque-musée presque entièrement fermée, sans moyens suffisants pour subsister et sans projets de vraies expositions, est-ce vraiment l’ambition de la ville de Boulogne-Billancourt pour ce lieu ? Mais, après tout, était-ce vraiment à elle de le faire vivre, ou à l’Académie des Beaux-Arts qui conserve un droit de regard et qui s’est en réalité presque totalement défaussée de ses responsabilités. On aimerait savoir ce que sont devenus les 1 830 000 francs qu’a légués Paul Marmottan à l’Académie pour l’entretien de l’hôtel, qui représenteraient en 2013 plus de 1 200 000 € et qui devaient être placés en « rente sur l’Etat français » Sans doute ont-ils entièrement fondu au cours des ans mais on ne le saura pas puisqu’Arnaud d’Hauterives n’a pas répondu à nos questions.

Patrick de Carolis directeur de la Fondation Marmottan

Il reste maintenant à Patrick de Carolis à gérer l’établissement qu’il vient de prendre en charge (probablement pour longtemps) d’une manière plus respectueuse que ses prédécesseurs et que sa tutelle. Il est ainsi incroyable que l’Institut refuse que ses musées bénéficient du label « Musée de France », cas unique pour des musées de cette importance. Il est vrai que ce classement obligerait à nommer un responsable scientifique des collections et rendrait celles-ci inaliénables, sans ambiguïté. On comprend que cela puisse gêner Arnaud d’Hauterives.

Le nouveau directeur doit, quoi qu’il en soit, respecter le testament de Paul Marmottan. A ce titre, il serait souhaitable qu’il demande une enquête sur les précédentes ventes : étaient-elles légales, alors qu’elles allaient contre les volontés de Paul Marmottan ? Qu’est devenu l’argent de ces ventes et a-t-il effectivement été consacré à des restaurations ?
On ne sera pas assez naïf pour croire que cela aura lieu. En revanche, il faut sans ambiguïté rappeler que les œuvres du musée et de la bibliothèque doivent être conservées et ne peuvent être vendues.

Il devra renoncer aux projets d’aménagement du musée Marmottan qui ne respecteraient pas son architecture. Il serait plus que souhaitable aussi qu’il fasse enfin protéger le bâtiment par une inscription, voire un classement monument historique, et qu’il renonce à occuper le pavillon du jardin qui devrait revenir au musée et ne plus servir de logement de fonction.
Il devrait s’intéresser aussi aux collections non impressionnistes. On peut, à cet égard, s’inquiéter de la lettre d’intention qu’il a envoyée aux académiciens pour défendre sa candidature. On y lit ainsi qu’il faut « préserver et développer ce fleuron de l’impressionnisme français », ce qui est bien sûr louable, mais on n’y trouve nulle mention concernant les collections anciennes, ni celles de l’Empire. Or, le Musée Marmottan a été avant tout créé autour de ce fonds [5]. Un directeur de musée doit mettre en valeur l’ensemble de ses collections.


20. Dirck van Baburen (vers 1595-1624)
Fumeur de pipe, 1623
Huile sur toile - 80 x 64 cm
Paris, Musée Marmottan
Photo : Caroline Léna Becker
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La politique d’exposition est d’ailleurs discutable : quel sens cela a-t-il d’organiser une exposition sur les peintures flamandes des Musées Royaux des Beaux-Arts de Bruxelles que ce dernier ferait bien mieux d’exposer lui-même. Il est paradoxal que Marmottan soit l’un des rares musées français à posséder une œuvre de Dirck van Baburen (ill. 20), un artiste caravagesque dont même le Louvre ne possède pas de tableau et qu’il ne le montre pas, préférant faire venir une collection nordique de Bruxelles [6].
A chaque exposition, les œuvres impressionnistes sont systématiquement déménagées pour être présentées au rez-de-chaussée alors que le sous-sol avait été créé spécialement pour elles (ill. 21). Quant aux aménagements récents, outre la destruction d’un beau plafond, ils ont abouti à créer des salles d’une rare médiocrité architecturale où les tableaux sont accrochés dos à dos sur des panneaux de verre (ill. 22). Il est certainement possible de mieux faire.


21. Sous-sol du Musée Marmottan construit par
Jacques Carlu pour exposer les tableaux de la
donation Monet
Elles servent aujourd’hui de salles d’exposition temporaire
Photo : Didier Rykner
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22. Le médiocre aménagement d’une salle du
rez-de-chaussée du Musée Marmottan
Photo : Didier Rykner
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Quant à la bibliothèque Marmottan, Patrick de Carolis qui en assurera la tutelle pour le compte de l’Académie des Beaux-Arts, devra veiller à ce qu’un vrai directeur scientifique soit nommé (ce dont nous a assuré Isaure de Beauval). Il faudra également ouvrir les lieux largement au public de chercheurs à qui ils sont destinés, que des expositions dignes de ce nom y soient à nouveau programmées et qu’on ne la transforme pas en « maison de quartier ».

Bref, il est temps de faire l’inverse de la politique pratiquée depuis trop d’années par l’Académie des Beaux-Arts et Arnaud d’Hauterives.

Didier Rykner

Notes

[1La vente concerne « un piano droit Boulle moderne, une table Second Empire marquetterie (sic) Boulle, deux pendules Boulle, un grand bureau de style Boulle, un fauteuil de bureau très délabré (sic), une console style Régence ».

[2Nous remercions Jean-Pierre Ravignon, qui a eu l’amabilité de nous communiquer ce cliché.

[3Auparavant, elle était ouverte trois après midi de la semaine, ainsi que le samedi matin et après-midi.

[4La numérisation des collections et leur mise en ligne sur internet, que nous a annoncé fièrement Isaure de Beauval, ne remplaceront pas l’accès directe aux livres et aux œuvres.

[5Il n’est pas inutile de rappeler que, selon P. Fleuriot de Langle, Bibliothèque Paul Marmottan : Guide analytique, Boulogne-sur-Seine, 1938, Paul Marmottan « abhorrait » les impressionnistes.

[6Signalons d’ailleurs, sur les œuvres nordiques du Musée Marmottan non exposées, la note 2 dans l’article Les Régents d’Isaac Palingh. Un rare tableau à l’Académie nationale de médecine à Paris, par Jacques Foucart publié sur ce site.

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